Grenelle de l'environnement : une ardoise à 40 milliards d'euros

Alors que le projet de loi du Grenelle I devrait être examiné au Sénat le 6 janvier, l'avant-projet du Grenelle II qui doit mettre en musique les orientations retenues vient d'être rendu public. Alors que la commission des Finances du Sénat déplore l'absence de traduction budgétaire du projet, Rémy Prud'homme, économiste des transports, ancien membre de la direction de l'environnement de l'OCDE, a évalué son coût.

La loi dite du Grenelle de l'environnement votée en première lecture au parlement le 21 octobre propose un objectif abracadabrant et des mesures coûteuses. L'objectif, énoncé dans l'article 2 de la loi votée, est de faire de la France en 2020 "le pays le plus efficient en carbone de l'Union européenne". L'ennui, c'est que la France est déjà, et depuis longtemps, le pays européen qui rejette le moins de CO2 par milliard de PIB produit (c'est cela l'efficience en carbone). Nous faisons mieux, beaucoup mieux, que tous les autres grands pays, environ deux fois mieux que la moyenne de l'Europe à vingt-cinq?; il n'y a que la Suède à faire un peu mieux que nous. En somme, la loi nous propose d'aller là où nous sommes déjà. Pour atteindre cet objectif admirable, la loi instaure une vingtaine de mesures. Elle n'en estime guère le coût?: dans la bonne bourgeoisie française, on ne parle pas argent à table. Au risque d'apparaître mal élevé, nous avons cherché à estimer le coût d'une douzaine de ces mesures.

Donnons quelques exemples de ces estimations. Tous les logements neufs seront soumis au plus tard en 2010 à la norme "très haute performance énergétique" et, au plus tard en 2012, à la norme "bâtiment basse consommation". Avec l'hypothèse déraisonnablement optimiste d'un surcoût de 5.000 euros par logement, cela fait 2,5 milliards de dépenses supplémentaires par an. Pour le coût de la rénovation thermique des bâtiments publics d'ici à 2020, on trouve un chiffre dans les travaux préparatoires: 24 milliards, soit 2 milliards d'euros par an. Pour les 2.000 km de lignes TGV prévues, comptez 70 milliards, soit près de 6 milliards par an. à peu près autant pour les tramways, également inscrits dans la loi. L'éolien prévu ne se développe que parce la loi fait obligation à EDF d'acheter de l'électricité éolienne à 8 centimes le kwh, quatre fois plus cher que l'électricité nucléaire qu'il remplace?: le surcoût que cela entraîne va augmenter d'année en année, et atteindra 3 milliards par an en 2020.

Le total des coûts des douze mesures examinées s'élève à environ 40 milliards par an. Il faudrait en soustraire les économies de chauffage liées à l'amélioration de l'isolation, qui s'étaleront dans le temps et qui ne pèseront pas très lourd dans les dix prochaines années. Environ la moitié de ces dépenses sont à la charge des budgets publics. Le reste est à la charge des ménages et des entreprises. Quelle est la signification de ce coût?? Elle diffère beaucoup selon que l'on considère le pouvoir d'achat ou le PIB et l'emploi.

Ces dépenses sont une perte sèche pour le pouvoir d'achat. Ou bien elles sont à la charge des ménages (isolation, éolien), et réduisent directement leur niveau de vie. Ceux qui achètent des logements ou de l'électricité plus cher dépenseront moins en légumes ou en meubles. Ou bien ces dépenses sont à la charge des administrations (subventions aux tramways) et entraînent une hausse des impôts ou de la dette publique, c'est-à-dire une baisse du pouvoir d'achat dans l'immédiat ou à terme. La baisse de pouvoir d'achat entraînée par ces mesures est d'environ 4%. En contrepartie, on a bien entendu une baisse des rejets de CO2. Mais la baisse des rejets de CO2 n'entre pas dans le panier de la ménagère. On peut justifier par ce gain environnemental cette perte de pouvoir d'achat. Mais on ne peut pas la nier.

Ces dépenses n'entraînent heureusement pas une baisse comparable du PIB et de l'emploi. Elles s'analysent comme un changement dans la structure de l'activité plus que dans son volume. Plus de dépenses, d'activité et d'emplois dans le domaine de l'isolation ou des tramways, moins de dépenses, d'activité et d'emplois dans les secteurs des légumes et du meuble. Le gouvernement ? et les secteurs ou les lobbys bénéficiaires de toutes ces mesures ? met en avant les emplois "créés", qu'ils estiment à 500.000. On ne sait pas comment ce chiffre a été calculé, mais il est tout à fait plausible, et sans doute même un peu faible. Mais il faut voir aussi les emplois qui seront détruits par la baisse de consommation dans les autres secteurs.

En moyenne, 1 milliard d'euros de dépenses des ménages crée environ 20.000 emplois (on obtient ce chiffre en divisant le nombre d'emplois du secteur marchand par la dépense de consommation des ménages). Les 40 milliards d'euros de dépenses des ménages en moins du Grenelle de l'environnement font donc en moyenne 800.000 emplois en moins. L'idée, souvent avancée en France, que la dépense publique ou la dépense privée contrainte "crée" de l'emploi (hors les périodes de relance strictement keynésiennes) est enfantine. Si elle était vraie, la France, qui est championne du monde de la dépense publique (après la Corée du Nord) n'aurait plus un chômeur depuis longtemps.

Au mieux, donc, ce changement imposé de structure de l'économie ne créera ni activité ni emplois. Au pire, il en détruira, parce qu'il déplacera des activités de secteurs productifs vers des secteurs moins productifs, et qu'il pénalisera certaines entreprises dans la compétition internationale.

Estimer les coûts du Grenelle de l'environnement n'est pas nécessairement le condamner. On peut légitimement être prêt à payer 4% du pouvoir d'achat des Français pour le plaisir de battre les Suédois sur le poteau. Ou estimer au contraire et tout aussi légitimement que le jeu n'en vaut pas la chandelle. Il s'agit là de choix politiques. Mais on voudrait être sûr que les parlementaires, qui sont certainement conscients des gains qu'ils vont obtenir, le sont aussi des coûts qu'ils vont causer.

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Commentaires 8
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Enconre un "expert" qui fait semblant de croire que l'électricité nucléaire n'est pas chère. Pendant ce temps, la majorité de projets de nouveaux réacteurs sont annulés (cf USA en particulier) et le raid d'EDF en Grande-Bretagne tourne déjà au fiasco...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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je trouve l'argumentaire du professeur Prud'homme trés incomplète et partisane: - le fait pour les ménages de consacrer une dépense de 5000 euros ne signifie pas qu'ils consommeront moins de légumes ou de meubles; ou bien ils taperont dans leur épar...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bien vu Antinuke, encore un "docteur" qui s'offusque que la société envisage de prendre d'autre décisions. 40 milliards d'euro sur 1352 millards d'euros de dettes publiques, ca reste finalement raisonnable pour faire un pas dans la bonne direction. D...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Un des prochain créneau économique, qui sera créateur d'emploi c'est justement l'environnement. Les américains l'ont compris (cf les start up de Silicon Valley en solaire et autres..), les allemand aussi, les suisses.... Comment un journaliste économ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Résumer l'article ci-dessus à un duel nucléaire-anti est une bêtise. Le nuclaire dans la démonstration pose problème à hauteur de 3 milliards sur 40...Le raisonnement reste réaliste, désolé... Autant l'économie future sera a-pétrolière(cf les object...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Pourquoi un professeur émérite en économie peut-il écrire n'importe quoi, dans n'importe quel journal, sans risquer aucune contradiction argumentée de la part d'autres "experts en économie" ? Et qu'il faille lire des commentaire de bon sens rédigés s...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C'est un peu "light" à mon sens... light ou partisan. Etaler des "coûts" bruts de la sorte ne me semble pas très sérieux. Surtout qu'il est assez aisé de les pondérer : acheter un bâtiment neuf présentant de fortes performances énergétiques permet, m...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je reste très surpris que vous publiiez un point de vue aussi incomplet que réducteur, il est l?image même d?un conservatisme primaire proche de celui d?un Claude Allègre et visant à auto disculper une génération qui se sera éteinte lorsqu?il nous fa...

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