Les mathématiques, le cerveau et le temps des finances

Par Christian Schmidt, professeur à l'université Paris-Dauphine.

Dans les causes de la crise, on pointe généralement les mathématiques financières, la vitesse de circulation des informations qui permettent aux marchés financiers de fonctionner en temps continu et le développement des notations financières émanant des agences. Or, c?est l?interaction entre ses trois phénomènes qui est à interroger, en particulier à la lumière des neurosciences.

Le temps n?est plus au débat sur la rationalité (ou l?irrationalité) des marchés. Les conséquences de leur exubérance, dénoncées dès 2000 par Robert Shiller, sont aujourd?hui plus que confirmées. Les phénomènes de paniques boursières ont été largement expliqués, depuis les travaux pionniers du sociologue Robert K. Merton, jusqu?aux analyses de Michel Aglietta et André Orléan sur les bulles financières. Les origines de l?incompréhension de la crise que nous traversons doivent donc être recherchées ailleurs.

Trois facteurs sont souvent invoqués sans en dégager leurs liens?: la généralisation des modèles de mathématique financière, l?accélération de la vitesse de circulation des informations qui permettent aux marchés financiers de fonctionner en temps continu, le développement des notations financières émanant des agences. Tous se réfèrent au nombre et renvoient, plus au moins directement, au progrès du numérique. Leur mise en relation, grâce à cette révolution technologique, soulève de nouveaux problèmes, d?autant plus redoutables qu?ils se manifestent au c?ur même des arbitrages financiers, puisqu?ils affectent les temps de la décision.

Pris séparément, aucun des facteurs mentionnés ne peut légitimement être considéré aujourd?hui comme responsable de cette crise. Les mathématiques financières, pratiquées depuis près d?un demi-siècle, ont à leur actif d?indéniables succès. L?interdépendance des marchés mondiaux, qui existe depuis vingt ans, a aussi permis de lisser les effets de nombreux chocs locaux. Quant aux informations fournies par les agences de notation, il suffit d?imaginer un monde sans cette information pour admettre que leur intervention n?a pas que des effets pervers. Evitons donc la chasse aux boucs émissaires. Mais c?est de la rencontre de ces éléments, en certaines circonstances, que peuvent émerger des situations aberrantes et, donc extrêmement dangereuses. Ces situations sont souvent la conséquence d?incompatibilités ou de contradictions dans leurs exigences temporelles.

Commençons par la relation entre la modélisation mathématique des risques financiers et la transmission, presque instantanée des informations sur les marchés. Leur rencontre s?effectue par l?intermédiaire des opérateurs dans les salles de marché. Elyes Jouini et d?autres spécialistes des mathématiques financières ont rappelé que ces modèles abstraits, qui servent de référence aux opérateurs, se devaient toujours d?être interprétés par rapport au contexte dans lequel ils sont appliqués. Cette sage recommandation se heurte cependant, dans la pratique, à une barrière bien concrète. La réduction du délai de transmission des informations raccourcit le temps laissé à la décision. Or, les neurosciences enseignent que le cerveau travaille lentement. Pis, ce sont les fonctions émotionnelles qui se trouvent d?abord activées, à travers des réseaux neuronaux empruntés par des neurotransmetteurs aujourd?hui bien identifiés.

La pression de l?urgence alimentée par la rapidité de transmission des informations risque, dès lors, de court-circuiter le temps de la réflexion qu?exige le maniement intelligent de ces modèles. Cela peut aboutir au résultat surprenant d?avoir à choisir sur une base émotionnelle une option, pourtant dérivée d?un modèle logique rigoureusement établi.

Autre aspect de cette rencontre entre la diffusion des informations et le recours aux modélisations mathématiques du risque. Plus le nombre des informations disponibles sur le marché s?accroît, plus les chances que l?opérateur se trouve confronté à ce que les spécialistes qualifient de situations "ambiguës" augmentent. Dans de telles situations, les informations fournies par les marchés donnent lieu à des signaux contradictoires. On sait, depuis un moment, que cette ambiguïté n?est pas réductible au risque.

On a appris récemment que le traitement de l?ambiguïté ne mobilisait pas les mêmes régions du cerveau. Mais là encore, parce que son traitement est plus difficile, il exige davantage de temps. Sous la contrainte du temps, la tentation est grande alors de se rabattre sur des outils mathématiques plus simples, dont l?essentiel porte sur le risque et ses mesures. Sont-ils pour autant adaptés?? Il est permis d?en douter.

Considérons maintenant la relation entre l?accélération de la vitesse de transmission des informations et l?activité des agences de notation. Les conséquences de cette accélération sur le fonctionnement des marchés sont connues. En témoignent la nervosité des cours et la volatilité des cotations. Du côté des agences, on sait que les problèmes soulevés par leur intervention sont moins, peut-être, ceux de la note elle-même que ceux posés par sa diffusion publique. Au moment où les notateurs décident des notes qu?ils attribuent, ils ignorent évidemment la situation exacte dans laquelle se trouveront les marchés au moment où ces notes tomberont dans le public, et il est sage qu?il en soit ainsi.

Or, c?est leur rencontre avec l?environnement financier de l?instant qui transforme l?information dont elles sont porteuses en signaux pour l?opérateur. L?augmentation de la vitesse de circulation des informations peut entraîner de brusques changements de tendances dans une même séance. Elle creuse ainsi, paradoxalement, l?écart contextuel qui sépare ces deux temps de la notation. Il en résulte également des conséquences difficilement prévisibles et d?autant plus dommageables que ce divorce s?ajoute aux phénomènes déjà décrits.

Il serait tout à fait illusoire de s?attaquer à la source de ces contradictions qui émanent du progrès des techniques. Il est urgent, en revanche, d?étudier soigneusement les mécanismes qui les engendrent, en mobilisant de manière raisonnée les différents savoirs capables de les éclairer, depuis les mathématiques jusqu?à la neuroéconomie, sans oublier, bien sûr, les sciences de l?information. Car les clés de cette crise n?appartiennent pas à la seule macroéconomie financière, comme semble le confirmer la faible réactivité des places boursières aux importantes injections pourtant répétées de liquidités.

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Commentaires 11
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Il faut " trader " au " graph " et sans tenir compte des informations. Tout est dans le " graph "

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Une tentative d'explication scientifique qui tend à défendre le postulat des mathématiques financières mais que je ne partage que partiellement. Certe le psychologique et la vitesse d'information sont des facteurs agravant de la crise boursière. Il...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Encore un autre article pondu par un prof fustré et qui n'a probablement jamais les pieds dans une IB (à part Natixis...)

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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C' est vrai que schmidt a l' air d' être un sacré guignol... lol

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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ce schmidt est un ane savant, le vrai coupable de la crise c est une formule mathematique qui permettait SOI DISANT d'evaluer le risque et de determiner le prix d'une option, elle a ete mise au point par deux Prix Nobel, et cela a suffi pour convai...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Moi le paysan qui me lève 365 jours par an pour aller traire mes vaches, je trouve votre prose bien triste. C'est vrai qu'avec mon bac -3 je ne suis pas une lumière. Je ne fais pas de fric uniquement avec le fric des autres, mais avant tout, chaque j...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Alors qu'il suffit simplement de regarder ce qui se passe autour d' une mm 20...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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La Bourse n' a jamais été une science, et ne le sera jamais, tout simplement car ce sont des hommes qui sont aux manettes...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Il est angoissant de penser que de telles acrobaties intellectuelles aient un droit puissant sur la cité des hommes;L'ex-trader expose la fabrication industrialisée de fausse monnaie ,vecteur de cette inimaginable crise ,et ravageuse de toute Confian...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bernard, les financiers ne perdent jamais. Ils rebondissent toujours...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les rigolos du " 203 " finissent tous au backoffice lol. Même pas capable de faire un trade...

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