Les conditions à remplir pour un retour du crédit

La crise bancaire est loin d'être terminée, et les préalables d'un retour au fonctionnement normal du crédit ne sont pas encore réunis. Pour cela, il importe que nos gouvernants acceptent de briser certains tabous et de l'expliquer aux opinions, en défendant certains principes : des fusions bancaires transfrontalières, un recours à l'investissement provenant du "private equity" et des nationalisations, estime Nicolas Véron, économiste (centre Bruegel) et associé de la société de conseil Ecif.

La mécanique du crédit continue de se dérégler, en France comme ailleurs. En réaction, le gouvernement a mobilisé les préfets et créé le poste nouveau de médiateur du crédit, confié à René Ricol. La pression ainsi exercée sur les banques permettra de débloquer certaines situations, mais ne suffira pas à rétablir des conditions normales. Le problème n'est pas tant la mauvaise volonté des banques que leur angoisse quant à leur capacité à faire face durablement à leurs engagements. Une banque sous-capitalisée ne prête pas. L'expérience de la crise japonaise indique même que dans un environnement économique dégradé, il faut sans doute que les banques soient surcapitalisées pour réamorcer la pompe du crédit.

Les bilans bancaires sont hélas de peu d'utilité pour apprécier l'ampleur du défi. Les normes comptables et leur application en Europe laissent encore trop de marge aux banques pour cacher les mauvaises nouvelles, alors qu'il leur faudrait au contraire nettoyer leurs bilans le plus vite possible. La modification précipitée de certaines normes à la mi-octobre n'a rien arrangé. Surtout, les ratios de capitalisation actuels donnent une image trop optimiste car les banques s'attendent à ce que leurs fonds propres aient à absorber des pertes supplémentaires sur des prêts déjà accordés, même s'il est encore trop tôt pour constater celles-ci comptablement.

Or, les efforts de relance des pouvoirs publics ne suffiront sans doute pas à enrayer une montée des difficultés de paiement. Comme le résumait avec fatalisme pour le Financial Times (23 octobre) l'ancien banquier central japonais, Teizo Taya, "il ne faut pas s'attendre à ce que les banques [européennes et américaines] puissent prêter, car elles ont trop à faire pour amortir leurs créances douteuses. Ce qui doit arriver arrivera".

Le 6 novembre, une étude de Morgan Stanley estimait les besoins totaux de recapitalisation du secteur bancaire européen à 83 milliards d'euros, en plus des 117 milliards déjà levés en 2008 à cette date. Depuis, les mauvaises nouvelles ont continué à tomber, rendant le besoin de recapitalisation encore plus élevé. D'où les milliards nécessaires peuvent-ils venir ?

L'appel au marché est peu attractif avec des cours de Bourse déprimés, et la plupart des fonds souverains, qui avaient fait l'appoint il y a un an, sont tétanisés par leurs moins-values. Seules les banques restées solides, comme Santander qui a mené avec succès sa récente augmentation de capital au prix d'une forte décote, peuvent affronter le choc sans remise en cause radicale. Les autres, nombreuses, n'ont pour l'essentiel que trois options.

Premièrement, certaines banques fragilisées n'assureront la pérennité de leur activité qu'en acceptant de se faire racheter par d'autres, comme par exemple lors du rachat d'Alliance&Leicester au Royaume-Uni par Santander en octobre dernier. En France, comme dans d'autres pays d'Europe, la consolidation domestique est déjà avancée ; pour être compatibles avec l'indispensable maintien de la concurrence, les options de fusion les plus prometteuses sont donc transfrontalières.

Ceci exige des Etats deux orientations : une mise en veilleuse de leurs pulsions protectionnistes, illustrées en France lorsque François Fillon assurait en janvier, après l'affaire Kerviel, que la Société Générale "resterait une grande banque française"; et la construction d'un cadre crédible pour la supervision des banques paneuropéennes, aujourd'hui déficiente faute d'institutions adaptées.

Deuxièmement, il faudra accepter dans certains cas de faire appel aux fonds d'investissement en actions non cotées ("private equity"). La classe politique soupçonne en général ceux-ci de toutes sortes d'exactions pour engranger des profits rapides. Mais ils pourraient catalyser les changements de stratégie, d'organisation et de culture dont ont besoin certaines banques mal gérées, et ont encore les moyens d'investir des fonds très importants. La reprise d'une grande banque par des fonds d'investissement ne relève pas de la science-fiction : un tel scénario est actuellement à l'étude en Irlande, et des opérations similaires ont été menées avec succès au Japon et ailleurs après la crise asiatique.

Troisièmement, en l'absence d'autres options, l'Etat devra utiliser ses propres ressources, au-delà des titres super subordonnés actuellement utilisés en France. En dépit de leur inclusion dans les fonds propres réglementaires, ceux-ci restent un hybride entre dette et capitaux qui répond mal aux besoins de recapitalisation les plus sérieux ? sauf à en faire une subvention déguisée, ce qui serait non seulement contraire à nos engagements européens mais surtout inacceptable pour le contribuable. N'en déplaise aux états-majors bancaires, il faudra sans doute briser le tabou de la nationalisation, comme l'a déjà fait le Royaume-Uni que ses voisins continentaux seraient bien inspirés d'imiter sur ce point aussi.

Fusions bancaires transfrontalières, appel au "private equity", nationalisations : ces trois options forceraient nos gouvernants à renoncer à bien des préjugés, et à faire ?uvre d'une difficile pédagogie vis-à-vis de l'opinion. Le redémarrage du crédit à un horizon raisonnable est sans doute à ce prix.

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