Crise financière, question de valeurs

Par Stéphane Arpin, économiste (cabinet Gouvernéo).

Depuis l'éclatement de la crise des "subprimes", il est de bon ton dans la classe politique, de gauche comme de droite, de fustiger les dérives du "capitalisme financier", de dénoncer les égarements de la "finance" ou encore de vilipender la "mondialisation" comme autant de vecteurs d'instabilité économique et sociale, facteurs de déséquilibres systémiques. Autant d'anathèmes et d'incompréhension anxiogènes face à l'essor spectaculaire de l'industrie financière lors des vingt dernières années de part et d'autre de l'Atlantique.

L'heure est désormais à la "régulation" et les discours politiques prospèrent sur le thème de la "moralisation" du capitalisme financier. "Morale", "transparence", "responsabilité", autant d'injonctions politiques formulées sur le registre des "valeurs" : le capitalisme, via la finance de marché, aurait trahit ses propres valeur ; les "vraies", celles de l'économie "réelle" centrée sur la production marchande de biens et de services.

Or, comme l'avait analysé, non sans fascination, son meilleur contempteur, Marx, le capitalisme est bien ce mode de production se caractérisant par une accumulation illimitée du capital. Celui-ci n'est pas intrasèquement "immoral" mais tout simplement "amoral" : les valeurs morales et les considérations philosophiques sont donc extérieures au calcul économique de l'homo economicus. C'est pour cette raison que les seules périodes de prospérité collective stables de l'Histoire correspondent à un régime de croissance régulé par l'Etat au nom de "l'intérêt général". Le capitalisme se soumet aux règles démocratiques non aux incantations politiques.

S'il y a "crise de valeurs" dans cette crise financière c'est d'abord d'un point de vue comptable. En tant qu'outil de pilotage de la performance économique, la comptabilité revêt une dimension centrale dans la dynamique du capitalisme et la formation des compromis sociaux de notre société salariale. Comme tout dispositif de mesure et de contrôle, elle revêt éminemment une dimension idéologique : la comptabilité mesure la réalité économique qu'elle créé.

Incontestablement, le passage aux normes comptables IFRS ("International Financial Reporting Standards"), d'inspiration anglo-saxonne, a eu un effet procyclique, amplifiant l'ampleur de la crise. En effet, les normes IFRS ont fait de nombreux débats quant à la valorisation des actifs des entreprises non plus par la méthode des coûts historiques (valeur d'acquisition) mais, dorénavant, à leur juste valeur (fair value) fixée au prix actuel de marché.

La comptabilisation des actifs selon cette méthode a fragilisé le bilan des banques en leur imputant des pertes excessives qu'une autre méthode de valorisation aurait atténué. Phénomène qui a d'abord fait chuter le cours de bourse des banques avant d'entraîner dans son sillage la chute massive des cours d'autres entreprises qui ont vu fondre leur capitalisation boursière en dépit d'une bonne santé économique : chaque opérateur souhaite se départir de ses titres au plus vite anticipant une nouvelle chute des cours. Amplifiée par la comptabilité des actifs à leur juste valeur, la course à la liquidité des acteurs financiers se transforme alors vite en un problème de solvabilité. Par comparaison, si depuis fin juillet un volume de 50 milliards de perte de crédit a été enregistré, plus de 425 milliards de dollars d'actifs ont été détruits, selon une étude la Banque de France.

Si la survenance d'une crise financière s'explique toujours par la formation antérieure d'une bulle par la surévaluation d'actifs, elle se concrétise immanquablement par un processus, brutal, de destruction de la valeur artificiellement formée afin de revenir "aux fondamentaux" comme disent les économistes. Cependant, il n'est pas juste économiquement ni souhaitable socialement que les normes comptables amplifient de façon disproportionné ces destructions de valeur. Comme le disait John Maynard Keynes, "la situation devient difficile lorsque l'entreprise devient une bulle d'air dans le tourbillon spéculatif."

Ainsi, le difficile mais nécessaire chantier de régulation entrepris sur les déboires du système financier doit passer par un réexamen des normes comptables afin de garantir une meilleure appréciation des actifs des entreprises, notamment des banques en temps de crise. Chaque crise, après tant d'égarements, fournit l'occasion de revenir aux sources de l'analyse économique. Déjà, à partir de la fin du XVIIIème siècle, les querelles autours de la "théorie de la valeur" avait cour : qu'est ce que la valeur ? Comment se forme-t-elle ? Comment est-elle distribuée ? Néanmoins, l'histoire des crises financières nous a enseigné cette loi économique immuable : les arbres ne montent pas jusqu'au ciel...

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Nier le role essentiel de la morale dans la conduite des affaires financières et industrielles est représentatif de la politique de Reagan à Bush en passant par Tatcher.On sait ou cela conduit: à la misère pour les plus faibles. Les controle et proc...

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