Marché du CO 2, la fausse bonne idée d'un prix plancher

Par Emmanuel Fages, analyste (marché de CO2) chez Société Générale-Orbeo.

Les prix du quota de CO2 échangé sur le marché européen sont passés de plus de 30 euros la tonne en juillet 2008 à 10 euros la tonne actuellement. L'ampleur de la baisse - 66% entre le pic et aujourd'hui - n'est pas fondamentalement différente de celle d'autres actifs cotés, par exemple le pétrole (- 70%) ou le Dow Jones (- 52%). Cependant, dans le cas de ce système d'échange si particulier, créé à l'origine par la régulation, la chute a relancé le débat sur le fonctionnement d'un tel marché.

Celui-là, visant à donner une valeur au CO2 reflétant son coût social, ne jouerait plus son rôle dès lors que le prix est trop bas pour fournir aux acteurs économiques le signal nécessaire à la prise de décision en faveur d'investissements sobres en émissions de gaz à effet de serre. Certains évoquent donc l'idée d'un prix plancher, qui garantirait un signal minimum pour le long terme.

Avant de discuter des mérites d'un tel instrument, revenons à la signification des mouvements de prix actuels, et à leurs causes. Le marché est censé refléter la tension entre l'offre et la demande de quotas. Une baisse n'est pas surprenante avec la récession économique?: les industriels émettent moins de CO2 du fait d'une moindre activité, et la rareté relative du quota, donc son prix, doit se réduire. Ce mouvement montre donc un bon fonctionnement du mécanisme.

Quand l'économie repartira et que les émissions augmenteront, le prix justifiera à nouveau des investissements dans des technologies vertueuses en carbone. Certains déploreront que cette variabilité ne fournisse pas un horizon de décision stable. Mais cela est vrai pour tous les biens dont les prix varient. Les décisions d'investissement dans l'exploration et l'extraction de pétrole, les choix d'ensemencement de céréales ou encore les mises en chantier de logements sont pareillement régulés par des rentabilités qui proviennent de l'évolution de l'offre et la demande.

Un point important différencie cependant le CO2?: la baisse de prix ne conduit pas à l'ajustement de l'offre. Celle-ci est le fait des Etats, qui fournissent les quotas selon des volumes et des échéances fixées administrativement à l'avance. Ainsi, la chute observée récemment s'explique en partie par le fait que les Etats membres de l'Union européenne procèdent actuellement à la distribution des allocations 2009 dont les entreprises n'ont pas immédiatement besoin.

Certains industriels monétisent ainsi ces actifs pour obtenir de la trésorerie de court terme, dont ils ont besoin. Inversement, les prix pourraient remonter brutalement plus tard si tous ces acteurs doivent simultanément racheter pour leur conformité les quantités qu'ils ont vendues, voire sacrifiées, aujourd'hui. La rigidité de l'offre explique que le prix du CO2 puisse atteindre, à la baisse comme à la hausse, des niveaux "irrationnels" par rapport aux fondamentaux de long terme.

Pour remédier à cet inconvénient, un prix plancher est une solution possible. Cependant, on distord alors la fixation du prix par le jeu de l'offre et de la demande, ce qui est le principe même du choix du marché comme instrument de régulation. Une telle intervention désigne le carbone comme un marché "anormal", affecté d'un fort risque de régulation, ce qui, au final, pourrait dissuader les acteurs nécessaires à son succès. De plus, où se situe le niveau souhaitable??

En revanche, un organisme du type Banque centrale du carbone (BCC) viserait la régulation de l'afflux des volumes d'allocations sur le marché, qui sont à la source du problème. En se situant comme un filtre entre les Etats et les comptes des industriels dans les registres nationaux de quotas, une telle institution pourrait conserver les volumes arrivant à un moment où les acteurs n'en ont pas besoin, pour les relâcher lorsque les prix indiquent une tension supérieure du système. Cela n'implique pas de perte ou report de revenus pour les Etats (dans un système futur où les quotas seront mis aux enchères) puisque la captation des volumes pourrait se faire à prix de marché payé au moment de l'opération.

Sans forcément fixer une bande de prix, la BCC pourrait ainsi, comme une banque centrale classique le fait par le biais de l'outil monétaire, guider les anticipations du marché sur les quantités disponibles. Elle ajouterait la composante sociale, la considération du long terme, qu'il est difficile d'exiger des acteurs industriels soumis à des contraintes de gestion quotidienne. De facto, elle conduirait à une réduction de la variabilité des prix sans introduire l'arbitraire d'un niveau administré.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Cette usine à gaz (un comble !) apparaîtra à la postérité comme le summum de l'idéologie dépassée des marchés financiers rationnels, omniscients et efficaces. Ce sont des foires mimétiques, délirantes et désinformées, qui échouent dans leur raison d'...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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je trouve cet article tres interressant, mais je ne le comprends pas tres bien, quelqu'un pourrait me l'expliquer vite fait please...

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