G20 : les renards invités à organiser la protection du poulailler

"Régulation" et "réglementation" financières sont deux faux amis qui conspirent à ne rien faire. Le premier terme, en anglais, ne se traduit pas par la même expression en français mais par le mot "réglementation". Autrement dit, cette ambiguïté lexicale exprime la différence des approches entre Européens et Anglo-Saxons pour sortir de la crise économique, et pose des problèmes méthodologiques distincts, estime l'économiste Philippe Brossard.

La presse nous entretient dans l'espoir qu'une nouvelle régulation financière nous sortira de la crise économique et nous en immunisera pour le futur. Une première pierre serait posée le 2 avril à Londres, lors de la réunion du G20. Mais puisque la réunion se passe à Londres, il y a peu de chance pour que cela se produise. On y parlera anglais, et les anglophones ont un autre ordre du jour : ils viennent débattre d'une nouvelle réglementation financière.

Le malentendu réside dans une mauvaise traduction du mot anglais "regulation", un faux ami de notre régulation française, qui signifie réglementation. Les termes sont proches, mais les ambitions sous-jacentes totalement différentes.

La régulation est l'action d'un dispositif permettant à un système de fonctionner à un régime régulier. Pour le "Littré", ce terme viendrait de l'horlogerie. C'est un terme propre à l'analyse des systèmes (mécaniques, thermiques, etc.). Par analogie, une régulation financière serait un dispositif tel, que le système financier ne soit plus enclin à des phases de surchauffe suivies de phases de glaciation.

Une réglementation est un ensemble de lois, de décrets ou de règles. Le terme appartient au régime juridique. Une réglementation financière nouvelle serait un ensemble de mesures juridiques précises, de portée internationale.

Chercher à mettre en place une réglementation nouvelle semble plus pragmatique que de vouloir mettre sur pied une nouvelle régulation, projet dont la vaste ambition (politique, économique, plus que juridique) peut paraître idéaliste. Mais la démarche réglementaire soulève deux questions : 1. Est-il possible d'avancer internationalement sur ce terrain, alors que la législation diffère d'un État à l'autre aux États-Unis, et bien sûr au sein de l'Union européenne ? 2. Est-ce important pour sortir de la crise ?

Ce serait dire que le système financier actuel est presque parfait, avec un petit nombre de défauts repérables, auxquels il suffirait de remédier par des règlements ciblés, comme on répare avec un bouchon la coque d'un grand navire. La liste des mesures évoquées pour l'instant, limitation des ventes d'actions à découvert, des "hedge funds", des bonus, etc..., laisse songeur. Sont-elles à la dimension de la maladie et de la prévention d'une rechute ?

L'approche réglementaire semble vouer à se perdre dans le pointillisme. Réglementer sans avoir d'abord identifié quelle régulation peut tempérer le système financier, c'est mettre la charrue avant les b?ufs. Trouvons d'abord les lignes directrices de la régulation souhaitable, avant d'entrer dans les détails des instruments juridiques.

Trois principes pour une nouvelle régulation financière

- un premier principe pour cette régulation serait la séparation stricte des 2 modes de financement de l'économie : avec, d'un côté, le système financier stricto sensu, chargé de faciliter le financement (désintermédié) des agents non financiers (ménages, entreprises, Etats) par d'autres agents non financiers, à travers les marchés obligataires et les marchés boursiers ; et, d'un autre côté, le système bancaire, assurant le financement à crédit. Ces deux circuits devraient rester concurrents et parallèles ; une crise bancaire ne devrait pas entraîner un gel des marchés financiers.

Et les intermédiaires financiers ne devraient pas financer leur spéculation pour compte propre par un accès direct au crédit. La généralisation de la banque universelle depuis les années 1980, tout à la fois banque de crédit, gestionnaire de l'épargne publique à travers ses OPCVM et intermédiaire sur le marché monétaire, obligataire et boursier, a au contraire augmenté la confusion des métiers et la propension à l'instabilité financière et bancaire ;

- un second principe serait de mettre la sphère financière au service des agents non financiers. C'est un secteur économique à part, d'importance systémique. La norme de son fonctionnement devrait être non pas le profit maximum, mais le bon fonctionnement de l'ensemble de l'économie. Or, depuis le big-bang boursier des années 1980 (fin du régime particulier des agents de change et de leur rémunération à la commission) et la mise en place de marchés financiers décentralisés, les plus grandes firmes financières mondiales sont devenues essentiellement des structures de spéculation pour compte propre. Les services à la clientèle sont là pour faciliter cette spéculation, soit en captant l'information sur les flux de ventes ou d'achats pour surenchérir sur la tendance, soit en soldant une position auprès de clients moins initiés.

Cette dérive s'est produite parce que les marchés de "market makers", où l'intermédiaire est en théorie rémunéré par l'écart entre le prix d'achat et prix de vente qu'il affiche, fonctionnent avec des marges inexistantes. Les clients vivent dans le mirage de la gratuité des transactions. En réalité, ils alimentent à leurs dépens les profits spéculatifs de leurs intermédiaires. Il faut revenir à des marchés financiers centralisés, avec une rémunération des services prédéterminée, transparente, et non pas acquise ex post par spéculation, ou par subvention d'un service par un autre, comme, par exemple, celle du marché primaire par le marché secondaire ;

- enfin, un troisième principe, pour ne pas dire un préalable, serait d'exclure les dirigeants des grandes banques et autres intermédiaires financiers des instances de réflexion et de proposition sur la régulation financière ! Les renards sont-ils conviés à l'organisation de la protection du poulailler ?

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Dans le déferlement d?articles et de chroniques suscité par la crise, on ne trouve presque jamais de texte témoignant d?une réelle connaissance des mécanismes monétaires. Le texte de Ph. Brossard repose à cet égard sur des bases claires et exactes. I...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Merci pour cette longue dissertation, je vais y réfléchir et en discuter autour de moi ... d'emblée je suis d'accord avec le troisième principe qui coule de source.

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