Il ne suffit pas de moraliser le capitalisme, il faut le dépasser

Par Gérard Lafay, professeur émérite à l'Université de Paris II.

La crise de l'économie mondiale remet en cause le fonctionnement actuel du capitalisme. Après s'être assagi pendant la plus grande partie du siècle précédent, il est revenu depuis lors à ses errements du 19ème siècle, aggravés par la disparition de tout encadrement du crédit, étant ainsi à l'origine de la situation présente. Il convient donc de combattre les méfaits du capitalisme sauvage : la démocratie doit retrouver ses droits dans les Etats nationaux, ceux-ci reprenant le contrôle des institutions internationales au lieu qu'elles soient soumises aux lobbies. C'est pourquoi la réunion du G20, hier, s'est efforcée d'édicter des règles permettant d'éviter les excès qui ont été observés au cours des dernières décennies, afin que ce système soit refondé et moralisé.

Il est évidemment exclu d'en venir à une quelconque forme de socialisme. Celui-ci avait engendré la tyrannie dans les pays de l'Est ; lorsqu'il est resté démocratique, il s'est traduit par la montée inexorable des dépenses publiques, étouffant la croissance économique par la bureaucratie et les impôts. La seule logique efficace est libérale, celle de l'économie de marché et de son corollaire, la propriété privée. En permettant l'accroissement régulier des niveaux de vie pendant les "Trente glorieuses", le libéralisme a triomphé des régimes communistes.

Pour sortir de la crise, le G20 va donc tenter de mettre en place une régulation de l'économie de marché. Celle-ci est certes nécessaire, mais elle ne suffira pas pour instaurer durablement un système viable. Il faut comprendre, à ce sujet, la nature de l'entreprise, en observant que le capitalisme ne représente que l'une des formes possibles du libéralisme économique.

La valeur d'une entreprise correspond, lors de sa création, aux apports de fonds. Il est normal que les apporteurs de fonds à risque, qui ont financé le capital productif et les actifs financiers, profitent des résultats obtenus. Cependant, dès que l'entreprise se met à fonctionner, elle engendre une création de valeur, fruit de l'association entre un capital humain (les travailleurs, de l'entrepreneur aux ouvriers) et un capital financier (les apporteurs de fonds). La création de valeur, exprimée par le concept de "survaleur" ou goodwill, correspond à une extension de la notion traditionnelle du "fonds de commerce" ; elle rassemble le savoir-faire, l'innovation, la réputation, l'image de marque, la localisation, la clientèle, l'environnement, le réseau de relations et de correspondants, etc.

Dans le système capitaliste, les travailleurs n'apportent que leur force de travail. L'appropriation unilatérale de la création de valeur par les seuls actionnaires, instituée par le capitalisme, ignore délibérément la nature de l'entreprise et le rôle du capital humain représenté par les travailleurs. Les fondements mêmes du système capitaliste sont donc contestables car illégitimes. Il convient par conséquent de changer le statut des entreprises, afin que les travailleurs puissent peser sur leurs orientations stratégiques.

Le principe de la participation, selon la vision prophétique du général de Gaulle, pourrait aller dans le bon sens s'il n'était pas perverti par l'idée de s'en servir pour augmenter le pouvoir d'achat. Au lieu de transformer la structure du capital, un tel projet consisterait à remplacer les hausses de salaires par un intéressement conjoncturel aux résultats. Cela reviendrait, par un tour de passe-passe, à provoquer une élévation artificielle des profits, puis à redonner aux salariés une partie de l'argent qui en résulterait. En fait, après la sortie de crise, les salaires devront pouvoir augmenter graduellement, en étant négociés par les représentants élus par le personnel, sur présentation des syndicats.

En revanche, il faut dépasser le capitalisme en créant un nouveau statut, celui de la « compagnie », ensemble de compagnons réunissant un capital humain et un capital financier. Pour transformer chaque travailleur en un propriétaire, la participation doit faire l'objet d'une attribution gratuite d'actions ou de parts, calculée proportionnellement aux salaires perçus. En éliminant les verrous actuels, la réserve de participation peut être plus que quadruplée, s'étendre à toutes les entreprises (quelle que soit leur forme juridique et leur taille), et restée bloquée jusqu'à la retraite.

Parallèlement peut être organisée une forme mutualisée de placement par corps de métier, afin d'assurer la diversification des risques. A côté des autres propriétaires, les "travailleurs propriétaires" pourront ainsi peser sur les orientations stratégiques de toutes les entreprises, de sorte que la sortie de crise débouchera sur un système viable.

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Commentaires 5
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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En acceptant la notion de "crise", on fait du socialisme; le capitalisme met à la disposition des consommateurs les biens qu'ils souhaitent sans esprit de morale; le capitalisme continuera à agir de même en s'adaptant constamment

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je suis d'accord avec l'analyse, moins d'accord avec la solution proposée. L'histoire du mouvement coopératif montre que si le bonis de liquidation (plus value sur la revente distribué entre actionnaire) est possible : les rachats et délocalisation ...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Cher professeur émérite, votre idée a du bon. Il s'agit d'organiser maintenant une séance de travaux dirigés. Comment comptez-vous fixer le ratio de capital disponible aux salariés sur le report à nouveau? Avant de passer éventuellement aux TP...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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J'avais envisagé une entreprise basée sur les hommes et non plus sur les capitaux; mais je cale à la traduire dans la réalité; imaginons une Bourse des hommes!...Quant aux bilans? Vraiment impossible...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Déjà en finir avec les augmentations de salaire en %,oui pour les actions pour tous à condition qu'elle soit de la même valeur pour tous du plus petit au plus haut de l'échelle avec information tous les trimestre de la marche de l'entreprise,avec une...

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