Un monde "démondialisé"

Par Dani Rodrik, qui enseigne l'économie politique à la John F.Kennedy School of Government de Harvard (dernier ouvrage : "Nations et mondialisation, les stratégies nationales de développement dans un monde globalisé").

Cela prendra quelques mois, voire quelques années, mais les Etats-Unis et les autres économies avancées finiront bien par se remettre de la crise. Mais l'économie mondiale ne sera plus la même, elle se sera démondialisée. Le rythme du commerce international se sera ralenti, les financements externes seront amoindris et les pays riches auront perdu leur appétit pour les comptes courant déficitaires. Les pays en développement vont-ils pâtir de ce nouveau monde ? Pas forcément. Leur croissance revêt en effet trois variantes distinctes.

Dans la première, la croissance est stimulée par l'emprunt à l'étranger. Dans la deuxième, la croissance est soutenue par un prix des marchandises élevé et dans le dernier cas, elle est portée par une restructuration économique et une diversification de la production. Les deux premiers modèles sont plus en danger que le troisième. Mais nous ne devons pas nous en soucier car ils génèrent de mauvais résultats et doivent par conséquent être rejetés ? En revanche, nous devrions nous préoccuper du fardeau que les pays du dernier groupe pourraient avoir à supporter.

Ces pays ont en effet connu une croissance solide et régulière au cours des soixante dernières années. Leurs gouvernements n'ont pas seulement suivi de bons "fondamentaux" (stabilité macroéconomique, ouverture sur l'extérieur), mais aussi ce qu'on pourrait appeler des mesures "productivistes" (sous-évaluation de la monnaie, politiques industrielles, etc...).

La Chine en est un bon exemple. Elle doit son dynamisme à son extraordinaire et rapide développement vers un portefeuille de segments industriels de plus en plus sophistiqué. Mais il n'y a pas que la Chine. Les pays dont la croissance s'est vite développée avant la crise affichaient des excédents commerciaux ou de très légers déficits. Et ces pays ne souhaitaient pas recevoir beaucoup de capitaux étrangers pour conserver une devise compétitive.

L'opinion générale admet que les balances commerciales importantes avec l'étranger ont joué un grand rôle dans le crash de l'économie. Pour retrouver une certaine stabilité, il faudra donc éviter des échanges trop déséquilibrés. Mais pour revenir à une croissance vigoureuse, les pays en développement doivent se remettre au commerce des biens et services. Dans le passé, ces explorations étaient acceptées, voire facilitées, par les Etats-Unis et quelques autres nations développées qui étaient prêts à enregistrer des déficits commerciaux. Or, il existe aujourd'hui une intolérance mondiale pour les déséquilibres commerciaux.

Cette nouvelle donne sera-t-elle incompatible avec les conditions de croissance des pays en développement ? En fait, l'incompatibilité n'est qu'apparente. La taille de l'excédent commercial et le volume des exportations ne constituent pas l'essentiel de la croissance des pays en développement. Ce qui compte, c'est leur production de produits (et services) industriels modernes, qui peut augmenter tant que la demande augmente. Maintenir une devise sous-évaluée a certes l'avantage de soutenir la production mais l'inconvénient de grever la consommation intérieure, donnant naissance à l'excédent commercial.

L'une des solutions serait donc d'encourager directement la production industrielle. Ceci peut se faire de diverses manières, notamment par des investissements ciblés dans les infrastructures. Autre instrument encore plus puissant : une politique industrielle explicite. Le plus important est de donner le temps aux pays en développement pour laisser s'apprécier leur devise tout en soutenant leurs activités industrielles de manière plus directe. La bonne nouvelle est que les pays en développement peuvent donc se permettre de poursuivre leur croissance rapide dans un monde où les échanges internationaux risquent de ralentir.

Leur potentiel de croissance ne sera pas profondément touché à la condition que chacun assimile la nouvelle donne et en tire toutes les implications. L'une d'entre elles sera de voir les pays développés remplacer leurs politiques industrielles par des politiques sur le taux de change. Une autre que les organisations internationales, comme l'Organisation mondiale du commerce, devront être plus tolérants sur les mesures de soutien. Appliquer plus de politiques industrielles, voilà le prix à payer pour réduire les déséquilibres.

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