Les sept piliers de la sagesse carbone

Alors que le projet de loi sur le Grenelle de l'environnement sera examiné à l'Assemblée nationale, pour une deuxième lecture, le 9 juin prochain, partisans des quotas d'émission de CO2 et défenseurs de la taxe carbone vont à nouveau s'affronter. Les modalités de lutte contre le CO2 doivent s'appuyer, quel que soit le modèle retenu, sur sept principes directeurs, estime Philippe Laget, directeur du développement durable à la Société Générale (auteur d'un essai: "Responsabilité d'entreprise et éthique sont-elles solubles dans la mondialisation ?", éditions de l'Aube).

Suite au Grenelle de l'environnement, le débat sur la contribution climat-énergie va commencer. Partisans des quotas et défenseurs de la taxe carbone vont s'affronter. Quelles que soient les modalités retenues, il convient qu'elles s'appuient sur des principes directeurs solides. Je propose sept piliers pour une sagesse carbone.

Premier principe, la gouvernance. Aucun marché ne sait internaliser spontanément les externalités négatives. Nos instruments économiques ne savent pas fonctionner efficacement pour le bien public : étroitesse et cloisonnement des marchés de permis d'émission de CO2, hétérogénéité des incitations fiscales, divergence d'intérêts nationaux et corporatistes, coûts des transactions, mouvements spéculatifs? Ce qui est vrai pour le marché l'est aussi pour le progrès. Il n'y a aucune raison pour que l'innovation soit automatiquement vertueuse du point de vue du climat.

L'intervention coordonnée des Etats est indispensable pour fournir le signal prix dont les acteurs économiques ont besoin. Le carbone est une nouvelle monnaie qui doit être gérée par une Banque centrale : en jouant sur la masse monétaire en circulation, elle contribuera à une répartition équitable des effets de richesse. Les partisans de la thèse du prix plafond ne manqueront pas de lui donner le droit de fixer des limites, comme le taux de l'usure ou la vitesse sur les routes. Le principe s'applique également si c'est la taxe qui est choisie, le gouverneur d'une Organisation mondiale du carbone devant répartir équitablement le produit de la taxe entre les pays

Deuxième principe, la cohérence. Le nouveau dispositif doit s'intégrer harmonieusement dans un paysage confus où de multiples outils économiques incitent aux énergies renouvelables et aux technologies propres (tarifs de rachat de l'électricité verte, certificats verts ou d'économie d'énergie, bonus-malus?). Sans nous faire oublier l'objectif prioritaire de l'amélioration de l'efficacité énergétique, pour lequel la réglementation reste indispensable. Dans tous les cas, un mécanisme d'ajustement aux frontières pour inclure le carbone importé devra être étudié, afin d'éviter les distorsions de concurrence internationale

Troisième principe, la progressivité. La valeur carbone est liée aux objectifs globaux de réduction que le monde doit se fixer, aujourd'hui une division par deux des émissions de CO2 en 2050. Mais elle est aussi dépendante du facteur temps, car plus on tarde, plus on accroît le coût pour demain. La formule doit intégrer les augmentations des prix des énergies fossiles en les contrebalançant, un coefficient de progression dans le temps et un taux d'actualisation qui prenne en compte la qualité de vie des générations futures.

Quatrième principe, l'efficacité. Mieux vaut inciter les producteurs, s'ils ont la possibilité de faire évoluer leur outil et de faire jouer la concurrence verte entre leurs fournisseurs, sachant qu'une partie des coûts sera répercutée sur l'acheteur final, que le consommateur, lorsque celui-ci ne peut faire jouer les effets de substitution ou si son pouvoir d'achat ne lui donne pas le choix. A moins qu'un mécanisme redistributif équitable ne soit instauré.

Cinquième principe, la redistribution. Les sommes collectées (via la taxe ou le revenu des enchères de 100% des quotas) doivent être réinjectées dans l'économie de l'environnement, en les redistribuant à chaque citoyen ou en subventionnant l'innovation et les investissements dans les énergies propres et la maîtrise de l'efficacité énergétique.

Sixième principe, l'universalité. Un kilo de carbone ayant le même impact, d'où qu'il soit émis et par n'importe qui, le prix doit s'appliquer de façon homogène à l'ensemble des acteurs. Certes, les coûts marginaux de réduction des émissions varient en fonction des secteurs. Mais d'abord, personne n'oblige les entrepreneurs à faire carrière dans la fabrication de rejets toxiques. Les ruptures technologiques les forcent régulièrement à se reconvertir, pourquoi pas les ruptures écologiques ? En outre, prétendre que réduire ses émissions serait toujours coûteux est erroné. Au contraire, diminuer ses consommations, transformer son métier pour proposer de nouveaux produits décarbonés, passer du cycle rigide "extraction-consommation-destruction" à une économie basée sur l'usage, est économiquement avantageux.

Septième principe, l'adaptabilité. Si la formule de fixation du prix du carbone doit être connue de tous, le régulateur doit prévoir, à échéances régulières, d'en actualiser les paramètres, en fonction de l'avancée des sciences et d'une meilleure connaissance des coûts des préjudices et de leur réduction. Les phénomènes climatiques ne sont pas linéaires mais sujets à emballement une fois dépassés les seuils critiques. Lorsqu'on risque l'irréversibilité, le principe de précaution doit se retrouver dans les chiffres.

Même si les scientifiques n'osent pas affirmer publiquement que le seuil fatidique des 2 degrés Celsius d'accroissement de la température sera dépassé, tous les voyants sont rouges. Le changement climatique va affecter des millions d'individus. Il reste un prix que ce propos se refuse à chiffrer : le prix d'une vie humaine.

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