La crise impose de repenser le contenu des diplômes

La crise, qui a éclaté à la fin de l'été 2007, a mis en évidence les limites de la logique financière qui a dominé le fonctionnement de l'économie mondiale au cours des dernières années. Mais sur quelles bases reconstruire le système financier ? Une partie de la réponse passe par un changement dans le contenu des programmes des diplômes, en particulier celui des MBA (Masters of Business Administration), estime Julie Battilana, "assistant professor" à la Harvard Business School.

Seule une refonte radicale de nos institutions financières et économiques permettra non seulement d'enrayer la crise, mais aussi d'éviter sa reproduction dans les prochaines années. L'enjeu n'est pas d'abandonner l'économie de marché mais de changer le comportement ses acteurs. Certes, l'application de nouvelles législations, accompagnée de mesures d'incitations et de possibles sanctions, permet de modifier le comportement des acteurs. C'était d'ailleurs l'un des enjeux de la dernière réunion du G20. Mais les autorités publiques ne sont pas les seuls prescripteurs en la matière. Les écoles et les universités qui forment les hommes et les femmes qui rejoignent ensuite les entreprises jouent, elles aussi, un rôle clef.

Ces derniers mois, certains observateurs ont pointé la responsabilité de ces institutions dans la crise actuelle, en particulier celles qui délivrent des MBA (Masters of Business Administration). Le MBA est le diplôme de référence dans le monde des affaires à l'échelle internationale. En 2008, plus de 215.000 étudiants dans le monde suivaient des programmes de MBA accrédités par "The Association to Advance Collegiate Schools of Business" (AACSB). Sans faire porter à ces programmes la responsabilité de tous les maux que nous connaissons, force est de reconnaître qu'ils n'ont pas permis d'éviter les dérives.

La crise nous impose donc de repenser leur contenu. Si l'utilité des modèles financiers qui y sont enseignés n'est pas en cause, il convient d'en assurer une utilisation informée de leurs limites, notamment des hypothèses sur lesquelles ils s'appuient concernant les comportements et les préférences des acteurs. Les modèles utilisés pour valoriser les produits financiers liés aux prêts hypothécaires à risque ("subprimes") aux Etats-Unis étaient, par exemple, fondés sur l'hypothèse que le taux de recouvrement de ces prêts resterait proche de celui historiquement élevé des prêts immobiliers. La crise, qui a montré la fragilité de cette hypothèse, a montré que le comportement des acteurs varie en fonction de leurs ressources, de leurs préférences et des circonstances.

Des enseignements transdisciplinaires, mobilisant autant des professeurs de finance que des professeurs spécialistes de l'étude des comportements humains au sein des organisations, permettraient sans doute de mieux mettre en évidence l'efficacité et les limites aussi bien des modèles financiers que des modèles de leadership que nous enseignons. On pourrait, ainsi, imaginer des cours délivrés conjointement par des professeurs spécialistes de différentes disciplines. Les discussions de cas, souvent utilisées comme support pour l'enseignement dans les programmes de MBA, se prêtent particulièrement bien à ce type d'approche transdisciplinaire, puisqu'elles se fondent sur des cas réels posant simultanément des problèmes liés à la gestion de l'humain et des ressources matérielles et immatérielles au sein des organisations.

Il convient aussi de nous interroger sur la place qu'occupent dans les enseignements de MBA les modèles d'organisation qui diffèrent du modèle dominant, tel l'entrepreneuriat social. Ces modèles, qui allient une mission sociale à la recherche du profit, ont ouvert la voie au développement d'une logique de marché nouvelle et hybride qui combine finance et développement social. Ainsi, les entreprises de microcrédit commercial allient-elles une mission sociale d'offre de crédit aux populations les plus pauvres avec un impératif de rentabilité financière permettant d'assurer leur pérennité et leur indépendance.

Le développement de telles organisations prouve que la logique financière peut-être conciliée durablement avec une logique de développement social au sein des organisations. Cette logique hybride prescrit non de maximiser le profit à tout prix, mais de faire des profits décents qui permettent à l'organisation de remplir sa mission. Cette nouvelle logique et les modèles d'organisation qui lui sont associés méritent d'être mieux compris et plus largement enseignés.

Enfin, quelle place les considérations d'ordre déontologique devraient occuper dans les programmes de MBA ? Sans imposer de réponses, les professeurs peuvent aider les étudiants à se poser les questions qui leur permettront, le moment venu, d'arbitrer entre différents cours d'action possibles. Certains réfléchissent même à la possibilité pour les diplômés de MBA de prêter serment à l'instar des avocats et des médecins. Mais le contenu et les modalités d'une telle prestation de serment, à supposer qu'elle fasse sens, restent encore à définir.

La nouvelle génération d'étudiants aspire à une évolution. L'enquête menée en 2007 par l'Aspen Institute auprès des étudiants de MBA d'une quinzaine de programmes aux Etats-Unis et en Europe a révélé leur volonté croissante de jouer un rôle positif non seulement dans la sphère économique, mais aussi dans la sphère sociale. L'enjeu est de taille pour les programmes de MBA. Il s'agit de réformer leur contenu pour accomplir la mission que la plupart s'assignent : former des hommes et des femmes capables de faire une différence non seulement dans le monde économique, mais plus largement à l'échelle de la société.

Article publié en collaboration avec le "think tank" En Temps Réel.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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enfin une reflexion longtemps attendue qui a le merite de chercher une des solutions à la crise financiere à la source .Quel que soit le problème les solutions passent TOUJOURS par la formation/education des acteurs impliqués et les changements du co...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Bonjour à tous, dans la droite ligne de cet article et des réflexions abordées, je vous invite à visiter le site de la Chaire Entrepreneuriat social de l'ESSEC (www.essec-entrep-social.com) qui depuis l'année scolaire 2002-2003 délivre un enseigne...

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