50.000 euros, sinon... rien

Par Philippe Mabille, éditorialiste à La Tribune.

"Les Raisins de la colère ", roman publié en 1939 par John Steinbeck et porté à l'écran en 1940 par John Ford (avec Henry Fonda dans le rôle de Tom Joad), raconte l'errance d'une famille de paysans de l'Oklahoma, ruinés par la crise des années 1930 et partis retrouver du travail en Californie. Soixante dix ans plus tard, le désespoir qui frappe la France industrielle de 2009 ressemble à cette allégorie anticapitaliste. Des familles entières se révoltent, frappées par des fermetures brutales d'usines dans des territoires en cours de désertification, sans espoir de retrouver du travail avant longtemps.
Dans ce contexte, chacun peut comprendre la colère qui s'empare des salariés de Continental, New Fabris, SKF, Nortel... et la radicalisation de leur combat pour obtenir quelque chose, le plus possible. La stratégie, plus médiatique que réelle heureusement, de la bonbonne de gaz prend le pas sur le dialogue social. L'exemple est venu d'en haut, de ces parachutes dorés ou de ces retraites chapeau que se sont auto-attribués tant de patrons ou de cadres supérieurs.
La nouvelle norme devient : "50.000 euros, sinon l'usine saute." La "prime à tout prix " remplace la recherche de solutions pour préserver l'emploi. Les salariés concernés disent n'avoir plus rien à perdre et les syndicats sont obligés de cautionner des comportements contraires à l'État de droit. Il y a dans cette colère sociale une dimension psychologique, presque affective : la douleur de perdre son emploi, le sentiment d'être trahi par l'entreprise à laquelle on était attaché, tout cela justifie aux yeux des licenciés la réparation de ce qui apparaît comme un préjudice.
Ces arguments portent dans l'opinion qui manifeste une grande tolérance, sans doute parce que chacun se dit : un jour, ce sera peut-être moi ! Les institutions traditionnelles, l'entreprise, les syndicats, sont court-circuités et l'État devient le médiateur ultime, sous la menace de la destruction de l'outil de travail. Cette surenchère sociale est une dérive dangereuse, pas seulement pour des raisons d'ordre public.
Car qu'y aura-t-il après les 50.000 euros, sinon rien ? Plus d'argent pour revitaliser le territoire, pour accompagner le reclassement et la formation des salariés. Plus de travail, car plus d'investisseurs, français ou étrangers, pour réindustrialiser ces territoires, par crainte de passer un jour à leur tour à la caisse. Un cercle vicieux s'installe, délétère pour l'économie française. Et, des raisins de la colère, on risque fort de ne plus avoir que les pépins.

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Commentaires 3
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Oui, bonne analyse... On laisse en fait l'émotif s'exprimer au détriment du pragmatisme. On privilégie l'individuel au collectif. Bref, tout ce qui fait plaisir sur l'instant, mais grève sérieusement l'avenir... Décidemment, De Gaulle avait bien rais...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Je ne comprends pas que de tels chantages à l'explosion de l'usine et à la destruction de l'outil de travail ne soient pas sanctionnés sévèrement ! Où est l'état de droit ? Nous sommes dans un pays civilisé ou chez les sauvages ? Nous avons déjà vu e...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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Les parachutes dorés ont fait des émules. Certes il s'agit plutôt de parachute en bronze mais les salariés ont bien compris qu'un monde est entrain de s'écrouler sous nos yeux. Ces même salariés ne tenaient dans ces organisations tayloriennes et souv...

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