Dépenses publiques : désacralisons la loi de finances !

En atteignant un nouveau record à 56 % du PIB, la France doit se demander si l'airbag économique de la dépense publique ne va pas devenir un frein pour la reprise. La question de son efficacité, qui est d'abord celle de son évaluation, est donc cruciale. Le Parlement, au cœur de cette révolution, doit consacrer plus d'énergie à l'analyse de l'exécution du budget qu'à sa présentation, qui n'est qu'une prévision.

La dépense publique sous toutes ses formes, étatique, sociale et locale fait partie de notre consensus républicain. C'est la principale explication au fait que plus de la moitié de la richesse nationale y est consacrée chaque année depuis des décennies. Un nouveau record, aux alentours de 56 % du PIB, sera établi l'an prochain, nous plaçant loin en tête des pays comparables. L'écart avec l'Allemagne, qui n'est pas de tradition ultralibérale, est de l'ordre de 10 points de richesse nationale, l'équivalent de 200 milliards d'euros.

La crise que nous traversons a révélé que cet énorme bourrelet de dépenses pouvait servir d'"airbag" économique et social en cas de choc majeur. Le moindre repli de notre PIB en 2009, comparé à nos principaux partenaires, doit beaucoup à l'indifférence de la dépense publique vis-à-vis de la crise. Ni la masse salariale des administrations, ni leur consommation, ni leurs investissements, quand il en reste, ni les revenus transférés aux ménages n'ont été affectés par la crise, atténuant ainsi son impact.

Se réjouir dans l'instant ne dispense pas de s'interroger sur la suite, lorsque la masse de nos dépenses publiques repassera du statut d'amortisseur à celui de frein. En mobilisant chaque année plus de la moitié des revenus de la Nation, elles exercent en effet une influence décisive sur nos performances économiques et sociales.

Faire ce constat, ce n'est pas seulement poser la question du niveau de la dépense publique dans notre pays, tant au citoyen qui en est friand, qu'au gouvernant qui la dispense volontiers au nom de l'idée séduisante "je dépense, donc je suis" ; ou bien celle de son financement, que la gravité de nos déficits et de notre endettement placera au centre du débat public dans les années qui viennent.

C'est soulever celle de son efficacité : dans quelle mesure notre niveau exceptionnel de dépenses collectives contribue-t-il à améliorer le bien-être des individus, les performances des entreprises et la cohésion de la société tout entière ? Y a-t-il en la matière, un modèle français ? C'est l'ambition de la réforme budgétaire que d'apporter des réponses grâce aux outils d'analyse et d'évaluation des effets de la dépense publique sur ses destinataires, en comparant les résultats avec les objectifs retenus. C'est l'ambition de la réforme de l'État que de tirer les conséquences de cette évaluation sur les organisations qui pilotent les politiques publiques et les instruments qui les servent.

La diffusion des outils de la gestion privée dans les organisations publiques est engagée. C'est vrai pour la culture de résultat qui prend le pas sur la culture de moyens, avec la détermination systématique des objectifs en amont de l'action publique et le recours à des indicateurs chiffrés qui en mesurent les effets. C'est vrai pour les ressources humaines où, sans disparaître, la logique du statut s'accommode de modes de recrutement, de gestion des parcours et des rémunérations apparentés à ceux des entreprises.

Les usagers commencent à percevoir ce mouvement, dès lors qu'il facilite leurs relations avec le service public, par exemple, télédéclarer l'impôt ou obtenir la délivrance rapide d'un document d'identité. Mais, si bénéfiques soient-elles, ces évolutions des administrations ne garantissent pas qu'à un niveau record de dépense correspondent des performances record. Ainsi, les dépenses de santé du Japon, pays dont l'espérance de vie est supérieure à la nôtre, sont inférieures de 3 points de PIB à celles de la France. Dans d'autres domaines majeurs, éducation, formation, accès à l'emploi ou réduction des inégalités, les résultats comparés avec d'autres pays ne sont pas à notre avantage, en dépit des moyens colossaux que nous y affectons.

Nous devons certes réduire la part de la dépense collective dans la richesse nationale et rendre un peu d'espace aux ménages et aux entreprises pour leurs choix individuels, mais nous devons aussi accroître très fortement le retour des dépenses publiques mesuré en termes de compétitivité des entreprises, de bien-être des citoyens et de cohésion de notre société.

Ces objectifs, maintes fois énoncés, ne seront pas atteints si l'exécutif n'est pas aiguillonné de l'extérieur, c'est-à-dire par le Parlement, tel que les auteurs de la réforme budgétaire l'ont voulu. C'est à lui de développer la culture de contrôle et d'utiliser les outils dont il dispose pour apprécier l'efficacité et le coût des politiques publiques. Le signe tangible de cette évolution sera la désacralisation de la loi de finances, qui est le temps des annonces, et la concentration de l'énergie du Parlement sur son exécution, qui est le temps des réalités. La création à l'Assemblée nationale d'un comité d'évaluation et de contrôle qui a pour ambition de passer en revue la qualité et l'efficacité de notre dépense publique est à cet égard un pas important. D'autres doivent suivre, notamment une véritable attention portée à la loi de règlement qui est pour l'État l'équivalent des comptes dans l'entreprise. Alors nous pourrons espérer une révolution des mentalités, la dépense publique cessant d'être une fin de l'action publique, pour en redevenir un moyen.

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Commentaire 1
à écrit le 30/10/2009 à 8:55
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Je ne vois pas ce qui vous permet d'affirmer que nous traversons mieux la crise que d'autres pays. Par ex, notre taux de chomage est au niveau de celui des US alors que ce dernier est nettement inférieur hors crise. L'évolution de notre PIB et le niv...

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