La politique face au "grand futur"

A l'heure où l'on s'interroge sur le lancement d'un grand emprunt pour sortir de la crise, rappelons que la politique est d'abord un rapport au futur. Confronté à la double menace nucléaire et climatique, le monde va découvrir les conséquences à long terme de deux révolutions technologiques : l'intelligence artificielle et le séquençage de l'ADN. La biopolitique est le nouveau défi de l'humanité.

La politique consiste aussi à gérer le futur. Or nous sommes aujourd'hui face à une rupture radicale de notre rapport à demain. Au cours du XXème siècle, découvrant deux menaces vitales - le risque d'holocauste nucléaire et le réchauffement climatique -, l'humanité a réalisé que le futur ne pouvait pas être la poubelle du présent. Mais le basculement qui s'ouvre devant nous est encore plus stupéfiant : l'humanité va devoir faire face au cours du XXIème siècle à des décisions qui l'engagent de façon probablement irréversible, dans le domaine des manipulations génétiques et de l'intelligence artificielle. Ce changement de perspective est à proprement parler vertigineux, dès lors qu'on se projette à long et très long terme : l'homme ne "désapprend" jamais une technologie, et la modification de l'espèce humaine est une possibilité technique prochaine.

1997 et 2002 sont deux dates clés pour l'avenir de l'humanité :

- 1997, c'est la naissance de Google. Google est devenu, à une vitesse stupéfiante, le premier embryon d'intelligence artificielle, et démontre qu'à l'horizon de quelques décennies ou siècles, l'émergence de formes d'intelligence non biologique est quasi certaine... et qu'elles prendront des contours inattendus. Google est en effet un vampire informationnel, qui absorbe et synthétise toute la connaissance mondiale, en intégrant les passions humaines, contrairement à un simple système informatique. Google incarne la noosphère qu'avait anticipée Teilhard de Chardin vers 1950 : la synthèse des cerveaux humains (l'émergence d'une intelligence artificielle dans Google fera l'objet de notre prochaine chronique) ;

- 2002, c'est la fin du séquençage de l'ADN de Craig Venter, le premier homme dont le génome ait été intégralement lu. Le coût du séquençage complet de notre ADN sera passé de 3 milliards de dollars en 2002 à 50 dollars en 2020. La banalisation de l'analyse de nos gènes ouvre la porte aux thérapies géniques et cellulaires réparatrices puis amélioratrices. Les dernières années ont montré que tous les progrès scientifiques se banalisent rapidement : les lignes rouges bioéthiques sont des lignes Maginot qui ne résistent jamais longtemps à la pression sociale pour faire reculer la mort ou obtenir un "enfant parfait". Ce toboggan transgressif n'en est qu'à ses débuts... La génération "Nintendo" acceptera difficilement qu'on lui refuse les bénéfices de cette médecine réparatrice au nom de principes éthiques qu'elle jugera dépassés.

Au cours du XXIème siècle, la politique va donc devoir gérer le grand futur en plus de toutes les tâches d'arbitrage de court terme. Une politique au fil de l'eau est bien sûr possible. Mais imagine-t-on le pilotage du grand futur par le docteur Queuille, dont la devise était : "Il n'y a pas de problème que l'absence de solution ne résolve" ? En réalité, la prise en compte de ce grand futur devrait changer radicalement l'horizon et la méthode de travail des hommes politiques. Il est nécessaire de repérer les bifurcations de l'histoire, sans se noyer dans les discours apocalyptiques, la techno-béatitude, ou les préférences de tous les lobbies...

La politique du grand futur sera d'abord une biopolitique... qui reste à inventer : comment piloter ou freiner la modification de l'espèce humaine ? Elle ne se réduit cependant pas à la bioéthique. Régler au cas par cas les problèmes de conscience sur l'utilisation des techno-sciences à des fins médicales est bien sûr essentiel, mais il existe beaucoup d'autres dimensions à intégrer :

- la bio-équité, par exemple : au nom de quel principe empêcher un enfant myopathe de guérir, lorsque les thérapies géniques seront au point ? La sacralisation de la nature, version "Verts" ? Une dignité humaine qui s'interdit de dépasser son créateur version croyante ?

- mais aussi l'économie : comment garder un Etat providence si nos pays sont absents des technologies d'avenir ? Peut-on être malthusien dans le développement de la nano-bio-médecine, au moment où la Chine acquiert un réel "leadership" sur ses sujets ? Depuis le début de 2009, la Chine a en effet dépassé les Etats-Unis en termes de publications scientifiques dans les nano-technologies : 18% du total mondial contre 16% ;

- ou bien encore des objectifs géostratégiques : une Asie maître des nano-bio-sciences pourrait se découvrir des tentations "géno-impérialistes" ;

- enfin, le débat biopolitique devra gérer le déplacement de l'éthique du terrain sociologique et technique vers la métaphysique et la philosophie. Les perspectives abyssales conduiront, en effet, à une recherche universelle de sens.

L'Etat devra faire des choix cruciaux, alors même que le débat poussera à des affrontements de nature philosophique et religieuse, d'autant plus violents que ces techniques prométhéennes vont favoriser la fragmentation des églises et la multiplication des sectes.

Choisir de modifier notre génome ou le fonctionnement de notre conscience, d'orienter l'intelligence artificielle, entraînera plus de passions, de radicalisations idéologiques voire de risques d'affrontements physiques, que la simple détermination du taux de la taxe carbone. De nouvelles guerres de religions sont envisageables.

Alors, quelle humanité pour demain ? Un humanisme 2.0 reste à inventer, mais sera-t-il une position solide et défendable ou bien une simple étape, aussi instable et temporaire que ce que fût l'Allemagne de l'Est de 1990, après la chute du mur de Berlin ? La biopolitique ne sera pas un long fleuve tranquille.

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Commentaire 1
à écrit le 16/11/2009 à 10:50
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Déjà que lors des sommets des G20 les politiques prouvent qu'ils sont aussi nuls à l'international qu'au national... Avueglés par leur égo, leur pouvoir, l'argent... comment croire à ce qu'un seul de ces congénères soit capable de relever les défis d...

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