Une histoire de zéros

Par Jerôme Marin, correspondant de La Tribune à New York.
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Lorsqu'on parle de bonus à Wall Street, on parle forcément de zéros. De beaucoup de zéros. Quatre, cinq, six... jusqu'à sept même - soit au minimum 10 millions de dollars - pour les "golden boys" les plus brillants. Chaque début d'année, le zéro devient ainsi leur unité de mesure. De leur réussite, de leur talent, de leur renommée. Plus on en accumule, plus on est performant et surtout reconnu comme tel. Mais cette année, ce sont d'autres zéros qui les agitent et les inquiètent : les zéros pointés. En clair, ceux qui ne recevront aucun bonus. "Des employés du back-office, des traders intermédiaires, des banquiers, des courtiers", écrivait récemment le New York Times à propos de ce "club que personne ne souhaite rejoindre". Ils seront nombreux au sein de Morgan Stanley, par exemple. L'an passé, la banque d'affaires avait reversé pas moins de 62% de ses revenus à ses employés. Avec 2.000 salariés en plus et une activité en net repli, elle n'a pas d'autre choix que taper dans les bonus. Ils devraient ainsi être de 10% à 25% inférieurs.

Mais le repli de la rémunération variable ne signifie pas forcément une baisse de la rémunération globale. Car de nombreuses banques ont relevé la compensation de base de leurs employés, une manière habile d'éviter de s'attirer les foudres des autorités, toujours promptes à remettre en cause ces bonus qui incitent à la prise de risque. Chez Goldman Sachs, le salaire annuel d'un manager a grimpé de 300.000 à 500.000 dollars. Chez Credit Suisse, il a doublé pour atteindre 400.000 dollars. Selon le baromètre annuel réalisé par le Wall Street Journal, les rémunérations versées par 35 des plus grands établissements américains devraient d'ailleurs toucher un niveau record de 144 milliards de dollars cette année. C'est 4% de plus qu'en 2009. Au bord du gouffre à l'automne 2008, la finance s'est depuis refait une belle santé : sur les neuf premiers mois de l'année, l'industrie a engrangé 21,4 milliards de dollars de bénéfices. En 2010, les profits devraient être inférieurs aux niveaux record enregistrés l'an passé (61,4 milliards de dollars), mais la profitabilité restera quand même "la deuxième plus élevée de l'histoire", notent les régulateurs.

A Wall Street cependant, l'arrivée de ces zéros pointés "provoque beaucoup de panique", raconte un professionnel. "Tout le monde attend des bonus importants, renchérit un dirigeant d'une firme, c'est comme si personne ne se rendait compte que leur salaire de base avait doublé cette année." Cette évolution aura également ses victimes collatérales. "Les bonus sont dépensés différemment que les revenus prévisibles, explique Robert Gordon, professeur à l'université de Northwestern, ils servent généralement à des achats impulsifs, comme un bijou pour les petites amies." A New York et dans ses banlieues aisées, joailliers, magasins de haute couture, concessionnaires automobiles, agences immobilières en feront donc les frais. Et ils perdront aussi quelques zéros dans cette histoire.

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