C'est le printemps. Du coup, on assiste à une vague puissante qui déferle sur notre pays, une vague qui vient d'économistes de talent qui ont décidé de convertir la France au « tout optimisme ». L'objectif est séduisant : l'économie, c'est une question de psychologie. Si la croissance en France est molle, c'est que les Français sont déprimés. Le médiateur de la République nous a même pondu un rapport pour nous expliquer que les Français étaient au bord de la crise de nerfs, au bord du « burn out ». Donc la France est déprimée. Si elle est déprimée c'est à cause des déclinistes. Des gens comme moi qui osent dire que la France ne travaille pas assez, qu'elle n'a plus de modèle économique, qu'elle est complètement larguée face à l'émergence des pays émergents mais également face à l'Allemagne. J'ai tout faux. L'économiste Jean-Hervé Lorenzi a publié « le Fabuleux Destin d'une puissance intermédiaire » et lancé un site « Tousoptimistes.com » et les brillantes économistes Karine Berger et Valérie Rabault nous prédisent que « Les Trente Glorieuses sont devant nous ». Soyons clairs. Je trouve la démarche fort sympathique. Mieux vaut amener les Français une journée à Disneyland que dans les catacombes...

Tout irait bien donc. Dans 30 ans, la France sera encore sixième puissance économique mondiale, on continuera à progresser au rythme de 1,5 % par an, crise ou pas, le revenu par habitant ne va faire qu'augmenter. Pour le très dynamique et sympathique Jean-Hervé Lorenzi, c'est vrai que les PME françaises sont un peu délaissées (c'est un euphémisme...) mais on ne peut pas se plaindre quand on a des champions mondiaux comme LVMH ou BNP Paribas. La France innove. La France avance. Elle surfe sur la vague rose...

Désolé, mais je ne partage pas cet avis. Je sais que le rôle de Cassandre n'est pas populaire mais je pense qu'on ne peut pas faire croire aux Français que l'avenir sera rose. C'est faux. Et véhiculer ce message peut empêcher une vraie réforme en profondeur. Entendons-nous. Comme je l'ai écrit ici à plusieurs reprises, la France est un pays béni des dieux. Un pays qui, malgré toutes les erreurs de gestion des gouvernements successifs, parvient à flotter sans jamais couler malgré des tempêtes dévastatrices. Grâce en partie au bon sens des Français qui ont développé une véritable culture de l'épargne et refusé la culture de l'endettement à « l'anglo-saxonne ».

Mais l'horizon pour la France ne pourra pas s'éclaircir tant que nous n'aurons pas trouvé la réponse à des questions de fond. Quel est le modèle économique de demain ? Arrêtons de rêver à une convergence avec l'Allemagne, elle est impossible. Quels seront les emplois de demain ? Quand le dernier rapport de Pôle emploi indique que l'immense majorité des emplois de demain seront des emplois peu ou pas qualifiés, quel sera l'avenir professionnel pour nos enfants ? Quelle est notre place sur l'échiquier économique mondial ? Va-t-on finir par produire des tee-shirts et devenir tous serveurs dans des restaurants ou des hôtels, acheter des voitures allemandes, et des TGV ou des Airbus chinois ?

Moi aussi, j'ai envie de rêver. Moi aussi, je préférerais croire à des lendemains qui chantent. Karine Berger et Valérie Rabault ont raison. Les « Trente Glorieuses » sont devant nous. Mais nous devrons obligatoirement passer par les « Trois douloureuses » pour y parvenir. Rappelons que l'Allemagne a accepté 20 ans de sacrifice pour arriver au résultat spectaculaire actuel. Je vous conseille néanmoins la lecture de ces deux ouvrages. Ils sont non seulement rafraîchissants mais très intelligemment écrits.