Adapter le modèle allemand de liens entre finance et industrie

Par Alain Rousset, président de la région Aquitaine et de l'Association des régions de France.
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Il est frappant d'analyser les facteurs de la désindustrialisation de la France comparativement à l'Allemagne et d'observer que notre centralisme, y compris industriel, comme l'organisation du système bancaire n'y sont pas étrangers. La France dispose de grands groupes industriels, le plus souvent internationaux, qui réalisent une part significative de leur chiffre d'affaires à l'exportation. C'est une chance. Pour autant, afin de remporter des marchés, beaucoup se plient à la règle des compensations et se délocalisent dans les pays clients. Pour optimiser leurs coûts, ils tentent par ailleurs de réorganiser leur chaîne de sous-traitance et de réduire le nombre de leurs fournisseurs directs, auxquels on demande également de s'implanter et de sous-traiter en zone dollar ou dans les pays à bas coûts.

Les actionnaires des grands groupes du CAC 40, par leur nature même, n'ont pas pour vocation première la santé de l'économie française. Avec leurs principaux fournisseurs, faute de sous-traitants de taille intermédiaire en France, ils font face à un tissu extrêmement morcelé et fragile de PME très dépendantes puisqu'elles n'exportent pas directement et peinent à accéder au financement. Elles sont les premières touchées par ces restructurations. La structure même de notre industrie, avec les grands groupes d'un côté et les petites entreprises de l'autre, ne peut que produire de la désindustrialisation. Ce mouvement continu, favorisé par des acheteurs déconnectés de la stratégie industrielle parce que visant des gains de négociation à court terme, a certes permis de maîtriser les prix mais a également affaibli l'industrie de production, contracté nos salaires et notre pouvoir d'achat, appauvri nos bassins d'emploi et creusé notre déficit commercial (20 milliards d'euros en 2010 hors énergies).

L'Allemagne, elle, nous démontre, chaque année davantage, que l'on peut exporter sans transférer les emplois à l'étranger. Son excédent commercial atteignait 154 milliards d'euros en 2010, encore en hausse de 11% par rapport à 2009, et ce n'est pourtant pas un pays "low cost" ! Les grands groupes allemands n'ont pas échappé à l'implantation de filiales à l'étranger mais ils ont préservé une industrie robuste sur le territoire national. Cela fait l'objet d'accords avec les syndicats, faisant en sorte que l'industrie produise des biens de qualité à haute valeur ajoutée et accroisse ses parts de marché. C'est d'autant plus possible que, aux côtés des grands groupes et aux côtés des PME, on trouve les fameuses « Mittlestand », qui sont des fournisseurs solides, détiennent des compétences propres, exportent elles aussi et font toute la différence.

L'organisation du système financier n'y est pas étrangère. Les caisses d'épargne, avec leurs associations régionales en partie détenues par les Länder, apportent depuis longtemps aux entreprises les moyens de leur développement, transformant les PME en entreprises de taille intermédiaire (ETI) exportatrices de premier plan. Les PME, dont près des trois quarts sont clientes des caisses d'épargne, se financent auprès d'elles. Il ne s'agit pas d'imiter ce modèle, mais bien de tirer tous les enseignements de la clause de territorialité leur imposant d'exercer leur activité dans leur région. Cela a un effet positif sur l'intérêt général puisqu'elle permet de promouvoir les entreprises locales et l'économie régionale.

Dans un contexte de mondialisation, les caisses d'épargne allemandes ont fait le choix de soutenir l'environnement local, avec un effet dynamisant dans les régions. Le lien fort avec les collectivités territoriales les conduit à se concentrer sur l'économie réelle dans le strict périmètre de leur territoire. Les ETI créées par cet accès facilité au financement sont ainsi davantage protégées des tensions de la place financière et moins soumises à des objectifs de forte rentabilité à court terme. Les entreprises entretiennent une relation de proximité, de confiance mais aussi de responsabilité avec leurs banques, auxquelles elles se retrouvent liées, avec le souci commun de préserver et de développer l'emploi local. L'idée du PS de renforcer rapidement un véritable fonds public d'investissement, chargé de financer la politique industrielle d'un État redevenant enfin stratège, me semble donc excellente. Ce fonds devra bien sûr être régionalisé pour que l'effet réseau et la proximité avec les entreprises en démultiplient la pleine efficience pour le tissu industriel. Ainsi, la France se dotera des moyens de renouer avec la croissance et avec le développement de nos territoires, réparant les dégâts de la désindustrialisation.

Cette réforme sera parfaitement cohérente avec la nécessité d'élargir les compétences des régions et de les doter de moyens conséquents - passant par une épargne et une fiscalité orientées vers l'investissement - dans les domaines de l'innovation, de l'économie mais aussi de la formation. C'est une voie d'avenir : parce que des régions plus fortes, c'est d'abord une France plus efficace.

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