L'Europe du numérique est en crise

Par Nicolas Teisseyre et Jean-Charles Ferreri, Roland Berger Strategy Consultants
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Internet est-il un moteur de croissance économique en Europe ? Cette question est d'actualité alors que s'ouvre l'eG8. Plusieurs défis nous attendent et nécessitent de nous poser la question de nos spécialités, de nos renoncements... et des raisons pour lesquelles l'Europe subit la révolution numérique.

Les études les plus récentes affirment que la filière Internet représente un poids de plus en plus important dans l'économie. Rien qu'en France : 3,7 % du PIB et 5,5 % d'ici à 2015, 1,2 million d'emplois dès aujourd'hui, un quart de la croissance en 2010. Mais une partie importante de cette croissance se fait par cannibalisation d'activités et d'entreprises traditionnelles. Bien entendu, Internet crée pour partie de la valeur intrinsèque. En termes d'équipements, Dell (ordinateurs), Apple (terminaux mobiles), Cisco (équipements réseaux) doivent une grande partie de leur richesse à Internet. De nouveaux services aussi, payants (abonnements haut débit, création de sites Web, sauvegarde en ligne...) ou financés par la publicité (Google, Facebook...) apparaissent.

À l'inverse, les distributeurs traditionnels sont érodés sur des pans entiers de leur activité (livres, musique, voyages, photos...). Le mail ou les encyclopédies en ligne cannibalisent les produits et services traditionnels, tels le courrier postal, le téléphone fixe et les encyclopédies et dictionnaires. Les prestations intellectuelles sont également touchées avec, par exemple, des architectes, paysagistes, avocats, voire médecins en ligne, à des tarifs défiant toute concurrence. En termes de rentabilité, les effets peuvent être encore plus importants, car un grand nombre d'acteurs de l'Internet sont régis par une logique de prédation, fondée sur une hypercroissance et une internationalisation à marche forcée, le tout sans logique de rentabilité pendant de nombreuses années. Les géants (Google, Facebook, Amazon...) et les plus petits (Cdiscount, Leboncoin, Pixmania...) l'illustrent.

Internet représente en réalité la troisième vague de la mondialisation, la plus rapide. Cette nouvelle étape présente des opportunités considérables, et des menaces. Cinq effets principaux sont à prendre en compte. Internet accroît la transparence et la comparaison des prix et des services et conduit à un transfert de parts de marché et à un resserrement des marges. Il permet, avec des investissements souvent limités, de distribuer mondialement des produits ou des services. Il offre de nouveaux outils de productivité, qui contribuent à la réduction des coûts de production (mail...) et permet également de cibler de manière quasi intrusive - mais souvent pour leur bénéfice - des clients nouveaux ou existants (Facebook Places vous localise pour vous attirer dans les commerces proches). Enfin, Internet offre quelques nouveaux produits et services qui sont devenus incontournables (iPhone, Freebox...).

Au final, la notion de création de valeur de l'Internet n'a pas de sens. Car comme pour des révolutions précédentes - électricité, automobile... -, il est impossible de comparer le monde - ou un pays - d'aujourd'hui à un monde « sans » ces révolutions. Il est en revanche clair que les cinq effets de l'Internet créent de nouveaux champions ainsi que des vaincus, et que seuls les meilleurs - pays et entreprises - en tirent et en tireront bénéfice.

Dans cette bataille, l'enjeu est de multiplier nos champions Internet et, pour y arriver, de définir notre stratégie industrielle et économique dans ce nouveau monde connecté. Les travaux de Roland Berger au niveau européen précisent les défis qui nous attendent, au nombre de trois.

Le premier défi est de créer un vrai « marché unique européen » de l'Internet, à travers des règles - fiscales, juridiques, administratives - communes, qui favoriseront la naissance de champions européens de l'Internet. Compte tenu des effets d'échelle géographiques plus élevés que dans tout autre secteur, un marché unique constitue un axe essentiel pour favoriser les investissements et la naissance de grands champions européens.

Le deuxième défi est de renforcer l'écosystème créatif - formation, financement, amorçage - en France pour multiplier les initiatives. L'environnement français, notamment au niveau du financement et de la formation, demeure très insuffisant. Le troisième défi, enfin, est celui de définir un modèle d'infra-structure rentable alors que des investissements colossaux, dans la fibre et dans les réseaux mobiles de quatrième génération, sont attendus dès 2011-2012. Des arbitrages réalistes sont plus que jamais nécessaires concernant, d'une part, le partage des nouveaux revenus entre opérateur de services et d'infrastructures et, d'autre part, l'interdit politique de la fracture numérique et la capacité de financement limitée, tant publique que privée. Ces nouveaux fronts de combat de la mondialisation sont ouverts et à notre portée.

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