Dette des collectivités locales : la parabole de la baignoire et du camembert

Par Jean-Luc Boeuf et Eric Dussoubs, maîtres de conférences à Sciences po, collaborateurs de l'Institut Montaigne.
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Il n'est désormais plus de semaine qui s'écoule sans que l'on évoque les "emprunts toxiques" dont auraient été victimes les - nécessairement - gentilles collectivités locales de la part des - forcément - méchantes banques. À y regarder de plus près cependant, en examinant l'évolution du stock de dette publique locale, il n'est pas sûr que les collectivités soient uniquement d'innocentes victimes. Tâchons d'y voir plus clair à travers cette parabole des temps modernes, celle de "la baignoire et du camembert"...

La baignoire qui fuit. L'énoncé s'apparenterait à un exercice de feu le certificat d'études primaires : "soit une baignoire qui contient 156 litres. Elle se remplit de plus de 20 litres par heure et se vide de 15 litres dans le même laps de temps. Dans combien de temps la baignoire va-t-elle déborder ?" Il suffit de changer les mots de "baignoire" par "endettement", les litres par des milliards d'euros et les heures par des années et voici posée l'équation que doit résoudre le secteur public local. Car, à force de politiques de "benign neglect ", les collectivités locales s'enfoncent doucement. Le phénomène macroéconomique - le stock de l'endettement - est le résultat de décisions microéconomiques - le flux annuel des dettes nouvelles contractées par les exécutifs locaux. Ainsi, pour l'ensemble du secteur public local, l'endettement est passé de 120 à 156 milliards d'euros de 2005 à 2009. Il sera certes objecté que, en points de PIB, la dette globale dudit secteur public local est moindre aujourd'hui qu'en 1982. C'est là qu'intervient la deuxième parabole, celle du camembert.

Les parts de camembert. Imaginons le budget des collectivités sous la forme d'un camembert composé de trois parties : les dotations, la fiscalité et l'endettement. Depuis plus d'une décennie, l'État s'est attaché à maîtriser les dotations versées aux collectivités jusqu'à arriver au gel pour l'exercice budgétaire en cours. Puis, le champ de la fiscalité locale a été - enfin - ouvert pour tenter de résoudre l'impossible équation : l'Etat, devenu le premier contribuable local, en arrivait à payer près du tiers de la fiscalité locale, de sorte que celui qui prescrivait (le secteur local) savait qu'une partie de la note était payée par le contribuable Etat ! Aujourd'hui, il est temps de s'attaquer au troisième morceau du camembert : l'endettement local.

Mutualiser la dette locale. Définissons tout d'abord un périmètre normé de la dette du secteur public local. Cette mesure encadrerait l'endettement des collectivités territoriales et des divers organismes locaux. Il ne s'agit bien sûr pas de remettre en cause la dépense locale mais de lui fixer des priorités cohérentes. Réglementons ensuite plus strictement les conditions d'emprunt. Il conviendrait d'interdire la souscription de certains produits ou, inversement, de n'autoriser les collectivités à souscrire qu'une liste limitative de produits financiers. Naturellement seraient exclus les produits les plus complexes et les plus volatils. Enfin, renforçons l'expertise dans la gestion de la dette locale. La culture des ratios financiers doit laisser place à celle de l'évaluation de la dépense locale, et du rendement des projets financés par endettement.

La gestion financière des collectivités doit être développée et rendue publique. Les plus grandes pourraient même s'engager à appliquer la réglementation sur le contrôle interne applicable aux établissements de crédit. Les collectivités territoriales devraient mutualiser leurs emprunts. Ceci permettrait d'abaisser le coût de financement moyen des collectivités.

Nous proposons donc la création d'un "service de la dette locale", qui pourrait être abrité au sein de l'Agence France Trésor pour l'État. Ce nouveau service serait chargé de proposer aux collectivités qui le souhaiteraient de gérer une partie de leur dette, par exemple dans le cas d'appels d'offres communs lancés pour des projets structurants.

Au final, l'emprunt n'est pas mauvais en soi, mais il a toujours un coût et, s'agissant des collectivités, il résulte bel et bien de décisions prises au niveau local, dont les conséquences financières doivent être assumées par ceux qui prennent les décisions, avec ou sans alternance, avant ou après les élections.

(*) Auteurs de "Dette des collectivités territoriales et maîtrise des finances publiques" (Institut Montaigne, mars 2011).

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