Ne sabotons pas notre réseau d'influence à l'étranger

Par Joëlle Garriaud-Maylam, sénateur des Français établis hors de France.
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La polémique sur la binationalité semble s'enliser dans les arguments populistes. Derrière des débats purement hexagonaux, c'est pourtant notre capacité d'influence à l'international au plan culturel mais aussi économique qui est en jeu.

L'adoption de mesures à l'encontre de la binationalité ne résoudrait aucun des problèmes attribués à l'immigration. L'attachement et la loyauté envers la France ne sont pas inversement proportionnels au nombre de passeports, mais dépendent avant tout d'un sentiment d'appartenance et de reconnaissance. Au lieu de stigmatiser les binationaux, il faut valoriser leur rôle de médiateur entre la France et le monde.

Les deux millions et demi de Français de l'étranger, dont la moitié sont des binationaux, forment un réseau dense et varié d'entrepreneurs, chefs de projets, commerçants, consultants et enseignants, qui sont indispensables à notre commerce extérieur et à notre "soft power", et d'autant plus efficaces que parfaitement intégrés aux communautés locales. S'ils devaient renoncer à leur nationalité française, les conséquences en seraient désastreuses, tant en termes d'influence culturelle que de dynamisme commercial.

Limiter la binationalité porterait aussi atteinte à l'égalité entre femmes et hommes. Les Françaises se mariant à l'étranger auraient à nouveau à choisir entre renoncer à leur nationalité d'origine ou demeurer étrangères dans leur pays d'accueil, quitte à y être interdites d'activité professionnelle. Dans certains pays, il est quasiment impossible aux non-ressortissants d'obtenir un permis de travail.

La polémique actuelle ne peut qu'alimenter la fronde des expatriés. S'ils ne peuvent descendre dans les rues pour marquer leur mécontentement, les témoignages indignés affluent sur Internet. La réforme fiscale est perçue comme une "punition" par des Français de l'étranger qui se sentent stigmatisés, assimilés à des exilés fiscaux, à des déserteurs ou des profiteurs, alors même que plus d'un quart de notre PIB provient du commerce extérieur. La création envisagée d'une taxe sur le logement détenu en France par les expatriés serait une discrimination insupportable pour les nombreuses familles pour lesquelles celui-ci est un lien indispensable avec leurs racines, leur culture, en prévision des études des enfants ou d'un retour forcé en cas de crise géopolitique dans leur pays de résidence.

Revenir sur la binationalité en stigmatisant nos expatriés irait à contre-courant de l'histoire. La France a été l'une des premières à l'accepter, mais aussi à donner à ses expatriés le droit de vote et une représentation institutionnelle spécifique avec l'Assemblée des Français de l'étranger. Elle avait ainsi compris tout l'intérêt de maintenir et renforcer des liens avec sa diaspora. Quelle image donnerions-nous à tous ces autres États qui ont suivi notre exemple si nous acceptions un tel retour en arrière ?

Valoriser la binationalité et renforcer le statut juridique et social des expatriés est indispensable dans un monde en mouvement. Alors que de plus en plus de jeunes Français choisissent, de manière ponctuelle ou non, d'étudier ou de travailler à l'international et de choisir un conjoint étranger, il est essentiel de faciliter la coexistence des appartenances nationales et culturelles. Comme le souligne l'écrivain franco-libanais Amin Maalouf, chacun porte en soi une multitude d'appartenances et d'identités qui cohabitent généralement sans heurts ; les identités ne deviennent "meurtrières" qu'en cas de focalisation sur l'une d'elles. C'est le résultat que pourraient entraîner des mesures à l'encontre de la binationalité. Alors que la mondialisation et les migrations transforment profondément les identités, la double nationalité constitue un élément stabilisateur. Au lieu de la combattre, il nous faut réfléchir à mieux l'accompagner et à en améliorer l'encadrement juridique, par exemple dans le cadre de l'élaboration d'un droit international de l'expatriation.

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