Hypercommunication : l'information aussi a besoin d'une régulation

Par Olivier Babeau, professeur à l'Université Paris Dauphine.
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A la faveur des événements de ces trois dernières années, la nécessité d'une nouvelle régulation du système financier, d'une meilleure coordination budgétaire européenne et celle d'une concertation des États dans la défense monétaire sont devenues autant d'évidences. Mais de toutes les leçons de la crise actuelle, la moins soulignée est probablement la plus fondamentale.

La crise que nous traversons prend des formes nouvelles, plus violentes ; elle est animée de mouvements erratiques qui déçoivent les espoirs de reprises et surprennent tous les observateurs. Pour en comprendre la raison, il faut réaliser que nous entrons chaque jour plus dans une ère nouvelle, celle de l'hypercommunication. Dans le sillage du Web 3.0, cette dernière est caractérisée par une multiplication inouïe des sources d'informations. À travers les blogs, tweets, réseaux sociaux, sites de toutes sortes, et à l'aide des terminaux connectés devenus parfaitement nomades permettant l'échange permanent, nous sommes tous des émetteurs virtuels d'information. Cette explosion des communications révolutionne le statut de l'information. Alors qu'autrefois il existait quelques sources dûment validées auxquelles il était souvent difficile d'avoir accès, c'est l'extrême surabondance des informations qui pose aujourd'hui problème. Se substituant à la traditionnelle question de l'accès, émerge désormais la question particulièrement critique de la validation des sources. L'information se wikipédise, pourrait-on dire : les émetteurs traditionnels perdent leur légitimité et deviennent inaudibles face aux millions de producteurs qui leur font concurrence.

Les conséquences de cette cacophonie informationnelle sont redoutables. La rumeur est certes un phénomène millénaire, mais elle est désormais dotée de nouveaux véhicules qui multiplient sa dangerosité à proportion de sa vitesse de circulation. On s'effraye volontiers des transactions financières faites au dixième de seconde, que dire alors des rumeurs qui font le tour du globe en quelques minutes ? On a pu voir des milliards fondre en Bourse sur la foi de quelques  tweets. Derrière, ce sont des emplois par milliers et plus généralement un climat économique qui sont menacés.

Le débat concernant la légitimité des agences de notation - certains allant même jusqu'à prôner leur interdiction ! - est emblématique du malaise actuel. Alors que la parole publique est, elle-même, dépréciée, nous sommes pris d'un doute radical, rejetant dos à dos les institutions ayant pignon sur rue et l'opinion du premier quidam. Devenus sceptiques obsessionnels, nous accordons dans un mouvement parallèle paradoxal une confiance aveugle à un seul  trieur d'information, le moteur de recherche Google.

Quelle est la solution ? Nous devons tous faire l'apprentissage de ce nouvel ordre informationnel. Aiguisant plus que jamais notre esprit critique, il nous faut apprendre à être exigeants, à recouper les sources. Nous devons aussi apprendre comment marche un moteur de recherche et éviter de se laisser enfermer dans son inévitable - et trop souvent intéressée - subjectivité.

Mais le simple particulier ne peut rien si, en parallèle, ne se mettent pas en place de nouvelles instances de discrimination informationnelle. Il faut qu'émergent des instruments de référence pour trier la bonne information, des labels de qualité. De nouvelles nomenclatures sont à bâtir, de nouvelles garanties à instaurer. En jouant souvent les relais complaisants, les médias portent une responsabilité immense dans les dérives de ce nouvel ordre qui s'installe. En présentant en juillet une fiction fondée sur l'actualité mettant nommément en cause des responsables actuels - spécialement ceux du Crédit Agricole -, le journal "Le Monde" a réalisé un mélange des genres pour le moins périlleux. Les médias doivent apprendre eux aussi à renforcer leur système de vérification et à éviter d'aggraver la confusion régnante. Cette régulation de l'hypercommunication s'annonce en tout cas comme l'enjeu majeur de notre modernité.

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