Le nucléaire européen va-t-il être relancé par la finance verte ?

CHRONIQUE. L'Europe a décidé d'inclure le nucléaire parmi les énergies non carbonées pouvant prétendre à des investissements verts. Cette décision est d'autant plus importante que, grâce au progrès technologique, cette énergie pourrait être produite à partir des déchets nucléaires qui sont en abondance. Ce qui pose la question de la relance de la filière française. Par Didier Julienne, spécialiste des marchés des matières premières (*).
Vue du tunnel sur le site souterrain de Bure (France) où est mené le projet Cigeo sur le stockage de déchets radioactifs sous la responsabilité de Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).
Vue du tunnel sur le site souterrain de Bure (France) où est mené le projet Cigeo sur le stockage de déchets radioactifs sous la responsabilité de Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). (Crédits : Reuters)

L'accord européen sur la taxonomie des activités économiques vertes inclus le nucléaire dans les énergies non carbonées susceptibles d'être financées par des investissements verts, dans le but que l'Europe atteigne la neutralité climatique d'ici à 2050. C'est intéressant dans la perspective de la transformation des déchets nucléaires en un nouveau carburant et pour plusieurs milliers d'années.

Revenons en arrière une minute. À la suite du tsunami qui frappa Fukushima, les 37 réacteurs japonais furent mis sous cocon. Depuis, 9 ont redémarré et 17 demandent à rediverger, deux ont été construits. L'Allemagne et la Belgique se sont engagées vers des fermetures définitives de centrales nucléaires La France, la Russie ou les États-Unis en ferment quelques-unes, mais en construisent de nouvelles, la Chine ajoute 12 réacteurs à ses 47 déjà opérationnels. Au total, la planète en compte 443 qui produisent 10 % de l'électricité mondiale.

Le Kazakhstan produit plus de 40 % de l'uranium mondial

La production minière d'uranium a progressé jusqu'en 2016, elle a baissé depuis d'environ 15 % pour s'adapter à l'affaissement de la demande. L'exploitation minière à faible impact environnemental par la technologie de lixiviation in situ permet de produire plus de 55 % des volumes mondiaux.

Le premier producteur mondial est le kazakh Kazatomprom, le français Orano vient en deuxième et le canadien Caméco en troisième. Par pays, le Kazakhstan produit plus de 40 % de l'uranium mondial, suivi du Canada, de l'Australie, de la Namibie, de la Russie et du Niger. Chacun approvisionne les trois grands consommateurs que sont les États-Unis, la France et la Chine. Bien que sa distribution profuse et son marché banal, voire ennuyeux, soient la garantie pour les consommateurs d'uranium d'une énergie peu onéreuse, ces derniers ont constitué des stocks de matière parce qu'elle est stratégique pour leurs politiques énergétiques.

Les prix de l'uranium au plus bas

Chacun le constate, comparé au pétrole, au gaz ou au charbon, le marché de l'uranium est très simple, nous sommes très loin d'un pic géologique de production et il y a peu de risque de pénurie, les acteurs sont peu nombreux, tous plus moins reliés à leurs propres Etats et à des organisations supra nationales en charge de tracer la matière et de contrôler les surplus. Les échanges sont donc d'autant plus matures que les investisseurs ont peu de produits structurés pour lier leur risque. En conséquence d'un marché imbelle, les prix sont au plus bas, 25 dollars la livre sur le marché spot et 32 dollars à long terme.

Portons nous à présent vers l'avenir du nucléaire. L'un des aspects sexy est le traitement des déchets de combustion. En fonction du prix de l'enrichissement et de celui de l'uranium, un réacteur classique brûle entre 1% à 5 % de sa charge. En fin de cycle, le solde est stocké sous forme de déchets à recycler. Cette réserve est immense. En effet, si toutes les ressources mondiales d'uranium naturel contenues dans la croûte terrestre, celles qui sont consommées dans les réacteurs classiques, correspondent à une réserve électrique de 1, les ressources contenues dans nos déchets atomiques, ceux qui seront consommés dans les futurs réacteurs à neutrons rapides (RNR), représentent une réserve électrique de 100.

Les déchets, une réserve de plusieurs milliers d'années de consommation

Cette réserve qui est donc équivalente à plusieurs milliers d'années de notre consommation électrique n'est pas au fond d'une mine, mais disponible sur étagère pour être transformée en électricité. C'est pourquoi les pays qui choisiront de consommer ces déchets s'épargneront l'extraction et la consommation d'uranium naturel pendant une période de plusieurs millénaires.

La Russie, la Chine, les États-Unis, le Japon et l'Inde développent sous diverses variantes cette filière RNR. Lorsque l'on parle énergie et industrie dans ces pays, on ne le fait pas en amateur. En France, il y a plusieurs années, alors que nous échangions paisiblement avec le directeur d'une ONG antinucléaire sur l'espoir du recyclage des déchets via les RNR, celui-ci m'exprima son effroi à l'égard de ma formule : « économie circulaire du nucléaire ». Il fallait comprendre la logique de sa situation : une économie circulaire du nucléaire éliminant les déchets en produisant de l'électricité, tout en réduisant la dépendance à l'uranium minier anéantissait la raison d'être de son organisation.

De fait, récemment, le programme de recherche français des RNR, Astrid, était abandonné. Les investissements verts de l'Europe nous permettront-ils de financer un vaste programme de recherche européen pour le remplacer, ou bien plus tard nous faudra-t-il acheter cette technologie auprès de la Chine, des États-Unis, de la Russie, du Japon ou bien de l'Inde ?

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problématiques industrielles et géopolitiques liées aux marchés des métaux.

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Commentaires 22
à écrit le 02/01/2020 à 13:01
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Ce n'est donc plus le nucléaire français mais européen donc il va forcement changer de nom avec logo vert et un ajout: "Financé par l'Union Européenne!

à écrit le 19/12/2019 à 13:57
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comme d habitude nous avons délaissé notre savoir faire dans le nucléaire au détriment d'autres pays auxquels nous allons devoir faire appel à l' avenir si cette filière devait se trouver compatible avec nos enjeux d'émissions de co2 et d'écologie a...

le 20/12/2019 à 4:17
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Parlez-vous du "savoir faire" graphite-gaz ou répétez-vous niaisement des éléments de langage entendus deçà delà? A moins que vous évoquiez l'epr mais ça prête quand même à sourire. Si on peut éventuellement défendre l'idée d'un investissement dans...

à écrit le 19/12/2019 à 9:15
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Petit rappel : le nucléaire n'est pas une énergie verte et ne le sera jamais. Elle est émettrice de CO2 lors de sa construction, lors de l'exploitation des mines d'uranium et de leur raffinement. Ensuite, elle contribue à l'augmentation de la...

le 19/12/2019 à 16:46
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En cycle de vie complet, (construction, démantèlement, gestion déchets etc...) l'éolien et le nucléaire ont en effet des émissions de CO2/kWh équivalente (d'après l'IPCC en tout cas, dans le cas français l'ADEME estime que le nucléaire émets 2x moins...

à écrit le 19/12/2019 à 6:32
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On ne s'est pas encore assez moqué du monde. Allez, vous en reprendrez bien une louche. Et les déchets ? Et les risques avec les centrales en exploitation. 1 accident en Ukraine, 1 au Japon. Le prochain sera pour nous. Mais ça doit convenir à Macron....

le 19/12/2019 à 7:48
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Dans les blagues enfantines , Toto a la crédulité des enfants. Pseudo bien choisi. On a 70 ans de recul dans le nucléaire et150ans dans le charbon. Il ne devrait pas y avoir débat car le charbon a tué des milliers de fois plus que le nucléaire et ça ...

le 19/12/2019 à 16:50
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Accident en Ukraine il ya 30 ans, c'était un modèle de centrale different des notre et on était loin des normes de sécurité d'aujourd'hui. Au Japon, séisme de magnitude ~9 + tsunami ont effectivement causés de sérieux dégâts, mais ce sont des sit...

le 26/12/2019 à 13:00
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Tareson...Joseko...c bon pour la planète tout ça, et parfaitement "maitrisé"..."Le rejet dans l'environnement (mer ou air) de l'eau contaminée de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi est l'unique option restante après que les experts eurent exc...

le 26/12/2019 à 13:03
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Tareson...Joseko...c bon pour la planète tout ça, et parfaitement "maitrisé"..."Le rejet dans l'environnement (mer ou air) de l'eau contaminée de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi est l'unique option restante après que les experts eurent exc...

à écrit le 18/12/2019 à 21:08
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Le nucleaire est monstrueux comme le moindre regard sur l'histoire de cette entreprise mondiale monstrueuse demontre. Regarde le zone d'inhabilite autour Chernobyl - Fukushima etait nous ne saurons jamais combien de fois pire et on aurait du avooir u...

le 19/12/2019 à 16:59
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N'importe quoi... Vous avez entendu parler de la catastrophe de Bhopal ? Un désastre humain, écologique, avec un bilan probablement pire que celui de Tchernobyl. Est-ce qu'on a arrêté les usines chimiques partout dans le monde pour autant ? A-t-on in...

le 26/12/2019 à 14:59
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Comment peut on comparer Bhopal et le nucléaire ???? Bhopal, ignominie avec des conséquences certes catastrophiques, mais sans comparaison avec la seule activité nucléaire et ses déchets pour pour des centaines de milliers d'années (sans parler des ...

à écrit le 18/12/2019 à 14:57
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Comment peut-on avoir l'idée de considérer une technologie aussi dangereuse comme une technologie verte? Des milliers de personnes sont mort ou malade, aussi en France à cause du nucléaire et combien vont mourir lors du prochain accident, espérant p...

le 18/12/2019 à 18:30
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Vous connaissez beaucoup d’énergie verte qui permettent la suffisance énergétique? Et si on la stock dans des batteries imaginez comment on fera dans quelques années pour les recycler... Les énergies dites écologiques le sont "actuellement" car on ne...

le 18/12/2019 à 20:58
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Le potentiel economique en solaire thermique de l'Algerie seule s'eleve a l'equivalent de 12.000 EPR - oui douze mille reacteurs nucleaires de 1.6 GW. Ca s'agit bien d'une "énergie verte qui permet la suffisance énergétique" Monsieur "Realiste" qui ...

à écrit le 18/12/2019 à 13:26
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Bonne chance pour amener tous les autres pays européens - qui quittent ou ont quitté le nucléaire - à financer des recherches sur la transmutation des dechets qui ne serviraient que les intérets de notre lobby nucléaire.

le 18/12/2019 à 18:26
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Ca c'est pas compliqué, l’Allemagne a décidé d’arrêter le nucléaire mais ces centrales au charbons sont pire et ils ne sont pas autonome et nous achète notre nucléaire... Donc si ils veulent pas y deux solution les taxés beaucoup plus en vendant l’é...

à écrit le 18/12/2019 à 11:38
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En effet, les"déboires" de l'usine prototype de Flamanville sont révélateurs d'une perte de savoir faire. Ceux qui se disent écologistes mettent dans le même panier nucléaire et carbone. Le carbone a tué autrement plus de gens que le nucléaire.

à écrit le 18/12/2019 à 10:17
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IL serait temps d'arrêter de compter sur les autres et d'en faire le bilan. Fukushima nous rappelle tous les problèmes majeurs que cette énergie génèrent, à nous autres français de tenter de réparer les multiples erreurs faites par le passé et d'assu...

le 18/12/2019 à 14:17
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Indémontables ? Qu'est-ce qui vous permet de l'affirmer ? Il y a actuellement en France 7 réacteurs de type graphite-gaz en démantèlement, 2 à Chooz, 3 à Chinon, 2 à saint Laurent des Eaux. Il y a le cas caricatural de Brennilis (à eau lourde) dont ...

le 18/12/2019 à 18:57
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@ moulin a vent Ok donc on va attendre qu'il y en ai au moins un totalement démantelé avant de dire qu'ils ne sont pas démontables ! Ca te paraît pas logique ? Par ailleurs puisque nous sommes si géniaux nous autres français pourquoi n'allons nou...

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