Apple, un conflit entre équité et souveraineté

On savait que la guerre était ouverte entre le gouvernement irlandais et Bruxelles depuis la décision annoncée en août par la commissaire Margrethe Vestager d'exiger le recouvrement de 13 milliards d'impôts non payés par le géant américain.
Florence Autret
Tim Cook, Pdg d'Apple.

On commence maintenant à y voir un peu plus clair dans les arguments que les deux parties vont brandir devant la justice européenne, saisie en novembre par Dublin.

Selon une version expurgée de sa décision que vient de publier la Commission, l'accord entre le groupe de Cupertino et ses filiales irlandaises en matière de recherche et développement prévoit que l'Europe prendra en effet en charge 55% des dépenses de recherche et développement réalisées dans les laboratoires d'Apple en Californie. Logique dans la mesure où la valeur des produits Apple réside moins dans le hardware que dans leur design et leur software.

Exit, donc, explique la Commission, l'argument des États-Unis qui voudraient que les impôts réclamés soient en fait dus... aux États-Unis : l'Europe paie déjà sa part. Pour le gendarme européen de la concurrence, le problème n'est pas ce transfert transatlantique, mais l'utilisation par Apple du système de société offshore que l'Irlande entreprend de démanteler progressivement depuis quelques années après en avoir longtemps fait un argument de vente de son site industriel.

Entre 2012 et 2014, les deux filiales européennes d'Apple, ASI et AEO, ont réalisé entre 27 et 50 milliards d'euros de profit annuel (nets des droits de propriété intellectuelle versés aux États-Unis), pratiquement nets d'impôts. Pour la Commission, ils sont le fruit de l'exploitation des droits acquis auprès du siège américain du groupe qui ne peut être assurée que par ASI et AEO, lesquelles emploient 6.000 personnes à Cork. Or, ces deux sociétés les transfèrent à une « maison mère » offshore sans personnel ni installation d'aucune sorte.

L'argument de l'équité entre en jeu

Cette maison mère ne peut gérer les droits de propriété intellectuelle, ses relations financières avec les deux autres entités ne correspondent donc pas à une réalité économique et aux « conditions normales de marché », point de référence des juristes de la DG concurrence. Il y a transfert illégal. CQFD.

Le ministère des Finances irlandais, lui, accuse la Commission de vouloir réécrire son droit fiscal, donc de violer sa souveraineté. Rien dans le droit européen n'interdit à un État d'autoriser la création de sociétés offshore, sans juridiction et non imposables.

Qui a raison ? Les deux. Le raisonnement de la Commission, qui repose sur une abondante jurisprudence, privilégie le principe d'équité de la concurrence. Il ne condamne certes pas la société offshore en soi, uniquement le transfert, mais si on convient qu'une offshore à laquelle on ne peut passer de bénéfice n'a pas de sens, il limite bel et bien une souveraineté fiscale que, par ailleurs, les traités protègent.

Ce ne serait pas la première fois que le droit renfermerait ses propres contradictions, surtout lorsqu'il oppose un principe général et politique à des règles inspirées de l'analyse économique. Les juges trancheront... pas avant au moins deux ans.

Florence Autret

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