Emploi : quand Macron propose de traverser la rue avec Gerhard et Angela

VOTRE TRIBUNE DE LA SEMAINE. Fort de ses succès sur l'emploi, encore confirmés au premier trimestre malgré le ralentissement économique, le président de la République veut accélérer les réformes du marché du travail. La France entre dans l'époque des réformes Hartz... avec vingt ans de retard.
Philippe Mabille
(Crédits : Reuters)

Malgré une économie presque à l'arrêt et une récession désormais avérée dans la zone euro, la France s'en sort mieux que bien. Non seulement sa dette n'a pas été dégradée par S&P - en tout cas pas encore, la perspective restant négative-, mais l'emploi continue son embellie avec près de 90.000 créations nettes au premier trimestre, en hausse pour le neuvième trimestre consécutif. Quel meilleur accueil pour la loi plein emploi présentée cette semaine qui vise à amplifier la trajectoire actuelle en visant un taux de chômage de 5% en 2027 (contre 7,1% aujourd'hui), un pari qui nécessite de créer 700.000 à 800.000 emplois supplémentaires d'ici à la fin du quinquennat.

Tous les économistes qui, à l'image de Gilbert Cette, conseillent à Emmanuel Macron de ne pas dévier de sa ligne consistant à faire reposer sur la politique de l'offre et le travail le rétablissement du pays, sortent confortés d'une semaine qui montre que ce pari du plein emploi est le bon cap pour la France. Certes, 2023 pourrait connaître des accidents sur cette route, avec un ralentissement marqué dans le BTP, un secteur en crise que le plan présenté par Elisabeth Borne n'a pas vraiment rassuré.

Mais au vu des tensions persistantes sur le marché du travail, le paradoxe d'une croissance affaiblie mais toujours intensive en emplois pourrait bien se poursuivre. C'est curieusement l'une des conséquences de la crise du Covid. La productivité du travail a baissé et cela oblige les entreprises à recruter pour éviter de se retrouver en panne dans les métiers dits en tension. Cela ne suffira cependant pas et plusieurs inconnues sont encore devant nous. Quel sera l'impact de l'application de la réforme des retraites sur l'emploi des seniors, après ce qui a sans doute été la dernière journée de manifestation, dixit Laurent Berger ?

A très court terme, on craint que cela se traduise par une montée du chômage, le temps que le marché du travail des plus de 55 ans trouve un nouvel équilibre avec l'horizon de 64 ans en vue pour 2030. Deuxième levier à actionner, la formation et l'orientation des jeunes vers les nouveaux métiers de la transition écologique. Sans oublier le nucléaire, une filière qui va chercher à recruter 100.000 personnes. Nathalie Jourdan, notre correspondante en Normandie, a suivi l'annonce du « plan Marshall des compétences » lancé vendredi matin à Caen par le gouvernement. Le but, attirer les jeunes vers cette filière qui va construire les 6/8/14 nouveaux EPR2 dans les 20 années qui viennent. L'énergie sera à l'évidence un des grands secteurs pourvoyeurs d'emplois avec des opportunités dans le nucléaire, y compris pour les startups du nouveau nucléaire, mais aussi les énergies renouvelables.

Sur son chemin, le gouvernement a aussi plusieurs réformes difficiles à accomplir, comme celle controversée du RSA. Elisabeth Borne, qui travaille sur la feuille de route des 100 jours qui sera annoncée le 14 juillet, veut revenir à « l'esprit du RMI », le revenu minimum d'Insertion, créé par Michel Rocard. A l'époque le I de Insertion devrait être financé par le I de ISF.

C'est le trou dans la raquette du projet actuel du gouvernement. Pour accompagner vers l'emploi les personnes actuellement au RSA, il faudra mettre en face des financements. Le prochain budget devra apporter à France Travail, le nouveau Pôle Emploi, les moyens de cette politique de réinsertion. L'objectif est clair : remettre la France au travail, jeunes et seniors, afin de retrouver le même taux d'emploi que l'Allemagne, ce qui apporterait selon les estimations de 120 à 170 milliards d'euros de plus aux finances publiques. Largement de quoi financer la transition écologique sans avoir besoin de créer d'impôts, notamment cet « ISF vert » qualifié par Emmanuel Macron lui-même d' « idée à la con ».

En gros, les réformes qui vont occuper la fin du quinquennat Macron ressembleront furieusement à celles qui ont incarné les années Schröder en Allemagne. Avant de partir pantoufler chez Gazprom, le Chancelier social démocrate qui a précédé Angela Merkel a mis en oeuvre outre Rhin une série de réformes du marché du travail, pilotées par son ministre Peter Hartz, auteur des très impopulaires lois du même nom, en partie à l'origine du succès industriel de l'Allemagne depuis le début des années 2000.

Cela ne fera pas plaisir à la gauche option LFI, mais celle-ci a bien compris en réalité que c'est le sens de la politique menée par Emmanuel Macron, avec de moins en moins d'état d'âme. Comme Gerhard Schröder, qui dû affronter entre 2003 et 2005 de fortes résistances de la part des syndicats allemands, le chef de l'Etat qui a gagné son bras de fer contre les syndicats français à l'occasion du conflit sur les retraites veut désormais aller au bout de la logique.

Après les retraites, on n'en a pas fini donc avec les réformes : celle de l'assurance-chômage, suspendue cet hiver, pourrait donc reprendre pour renforcer les incitations à reprendre un emploi ; la réforme du RSA ira dans le même sens. Bref, Macron laisserait à la nouvelle France industrielle un héritage de réformes que n'aurait pas renié Denis Kessler, disparu cette semaine. Le très libéral patron de SCOR, figure du patronat, n'avait pas eu de mots assez durs pour dénoncer l'erreur du gouvernement Jospin qui avait imposé aux entreprises les 35 heures de travail hebdomadaires au moment où l'Allemagne, notre principal concurrent, mettait en œuvre une stratégie économique strictement inverse. L'histoire a jugé l'efficacité des 35 heures au regard de celle des lois Hartz en tout cas en termes de créations d'emplois et de maintien d'une industrie puissante.

Voir Emmanuel Macron s'inspirer 20 ans plus tard des lois Hartz, toujours très impopulaires en Allemagne car elles ont aussi été le symbole d'une paupérisation d'une partie des travailleurs, ne manque en tout cas pas de piquant... Il suffit de traverser la rue, proposait-il à un jeune chômeur, pour trouver du boulot. Et si la formule devenait réalité, pour le meilleur, comme pour le pire !


Philippe Mabille
Directeur de la rédaction

Twitter @phmabille

Philippe Mabille

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Commentaires 29
à écrit le 18/06/2023 à 10:56
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J'ai un fils au chômage qui traverse souvent la rue sans pour autant trouver un emploi ... a 55 ans .....on lui propose du travail qui n'a rien à voir avec sa spécialité de magasinier à des dizaines de kms ... avec le prix du carburant il est préfér...

à écrit le 11/06/2023 à 21:16
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Génial, notre gouvernement veut à présent s'enorgueillir à suivre le modèle mortifère des lois "Hartz". Et comme un bon politique avec une vision à court terme, il en déjà oublié que la locomotive économique teutonique était un leurre. Tout comme il ...

à écrit le 11/06/2023 à 13:35
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Grace à la virtualisation, on aura toujours l'impression d'être dans une vérité, mais rien n'est plus faux ! :-)

à écrit le 11/06/2023 à 11:11
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Le problème du travail aujourd’hui c est qu il ne fait plus grandir évoluer et changer de strate sociale. Et de salaire . il ne fait que conforter les inégalités et l appartenance à une classe ou caste sociale . Il y a un problème de salaire sur les ...

le 11/06/2023 à 11:32
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Votre exemple parmi des centaines de milliers indiquent bien que les 35h se sont fait / financer surtout que sur une partie des salariés : ouvriers/ employés/ maitrise et que les autres catégories socio- professionnelles n ont pas été autant impacte...

le 11/06/2023 à 11:32
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Votre exemple parmi des centaines de milliers indiquent bien que les 35h se sont fait / financer surtout que sur une partie des salariés : ouvriers/ employés/ maitrise et que les autres catégories socio- professionnelles n ont pas été autant impacte...

à écrit le 11/06/2023 à 11:11
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Le problème du travail aujourd’hui c est qu il ne fait plus grandir évoluer et changer de strate sociale. Et de salaire . il ne fait que conforter les inégalités et l appartenance à une classe ou caste sociale . Il y a un problème de salaire sur les ...

à écrit le 10/06/2023 à 20:41
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M. MABILLE devrait se renseigner de plus prés : les "succès" sur l'emploi sont essentiellement dû à la mise en place massive de formations, qui ont retiré de nombreuses personnes des statistique du chômage. En outre, au sens de pole-emploi, celui ...

le 11/06/2023 à 8:38
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D'ailleurs enfin le permis de conduire entre en compte dans les formations, ce qui n'était pas du luxe, même si certainement nous ne le devons qu'à la volonté de sortir les chômeurs des stats également.

à écrit le 10/06/2023 à 19:53
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On peut dire ce qu'on veut des réformes du marché du travail allemand force est de reconnaître que l'économie allemande est bien meilleure forme que la française, donc suivre la méthode Schroeder semble une excellente idée. Il faut réduire la politi...

le 10/06/2023 à 23:12
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Votre comparatif est idiot car on est pas sur les mêmes bases du marché du travail , s’use les mêmes bases industrielles , les mêmes organisations : l’Allemagne est un pays de société industrielle plus familiale que La France un pays de service aux ...

le 11/06/2023 à 13:41
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On pourrait ajouter que l'Allemagne a comme la Chine, la Corée ou le Japon utilisé sa démographie comme variable d'ajustement, les industries modernes et compétitives privilégiant le qualitatif alors que l'industrie française des années 70, c'était l...

à écrit le 10/06/2023 à 11:36
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" le gouvernement Jospin qui avait imposé aux entreprises les 35 heures de travail hebdomadaires au moment où l'Allemagne, notre principal concurrent, mettait en œuvre une stratégie économique strictement inverse. L'histoire a jugé l'efficacité des 3...

le 10/06/2023 à 21:22
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Petit rappel de contexte, la loi des 35h n'étaient pas une une mesure de rupture, mais de continuation de la politique initiée sous Juppé pour tenter de combattre un chômage à 12% alors qu'il était de bon ton chez les les patrons du CAC40 et autre go...

à écrit le 10/06/2023 à 11:14
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Politique de précarisation a grande échelle. Combien de livreurs dans ces fameuses nouvelles créations d'emplois? C'est sur que pour travailler à 5€ de l'heure il y a de l'embauche ... Et en plus on se réjouit que la note de la dette francaise ne soi...

à écrit le 10/06/2023 à 10:26
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Jolie comparaison… une recette rance d il y a 20 ans des jobs à 1€… c est de ça qu ils rêvent nos politico- economico- financier ? On va leur imposer à eux pour qu’ils nous fasse ensuite un rex … qu ils jle fassent et ils auront la guerre sociale et ...

à écrit le 10/06/2023 à 10:26
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Jolie comparaison… une recette rance d il y a 20 ans des jobs à 1€… c est de ça qu ils rêvent nos politico- economico- financier ? On va leur imposer à eux pour qu’ils nous fasse ensuite un rex … qu ils jle fassent et ils auront la guerre sociale et ...

à écrit le 10/06/2023 à 10:24
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Jolie comparaison… une recette rance d il y a 20 ans des jobs à 1€… c est de ça qu ils rêvent nos politico- economico- financier ? On va leur imposer à eux pour qu’ils nous fasse ensuite un rex … qu ils je fassent et ils auront la gurrre sociale et c...

à écrit le 10/06/2023 à 9:39
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Les journalistes ont une fausse interprétation d’hartz IV. Déjà, la réduction du chômage à cette époque en Allemagne est davantage due au déclin démographique, beaucoup plus fort en Allemagne : même en détruisant 500 000 emploi sur un an, le chômage ...

à écrit le 10/06/2023 à 9:39
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"La France entre dans l'époque des réformes Hartz... avec vingt ans de retard. " Souvenir : La politique allemande de compétitivité par les salaires est épinglée. L'Organisation internationale du travail (OIT) y voit "la cause structurelle" de la...

le 11/06/2023 à 22:35
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En fait la déflation salariale favorise surtout les vieux rentiers au détriment des jeunes... Ce qui a bien des égards rappelle la fin de la république de Weimar...

à écrit le 10/06/2023 à 9:38
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Faudrait il avoir de vrais chiffres par secteurs d'activités et pas une interprétation car on peut tout faire dire aux chiffres. Ceux qui passent leur temps sur PowerPoint et sur les tableaux de bords dans des réunions de grandes entreprises privées ...

à écrit le 10/06/2023 à 9:29
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La libéralisation du marché du travail, voulue par Emmanuel Macron, entrainera de facto un accroissement de la pauvreté du nombre de travailleurs comme cela est toujours le cas en Allemagne. D'après les dernières données disponibles d'Eurostat, l...

à écrit le 10/06/2023 à 8:38
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Bonjour N'importe comment les chiffres de l'emploi sont bidon .. actuellement l'ons a supprimer artificiellement des milliers de demandeur d'emplois...( changé de catégorie ou ils ons etait tous simplement radié des listes). Ensuite , ils y a to...

à écrit le 10/06/2023 à 8:37
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Schroeder, c'est bien celui la même qui "fricote" avec Poutine pour du gaz, prend un max de pognon au passage et fait entrer l'Allemagne en récession ?

le 11/06/2023 à 5:23
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Mais que fait votre minus poudre, sinon la meme chose par d'autres moyens. Ouvrez les bons medias.

à écrit le 10/06/2023 à 8:14
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Le problème est que le retour à l'emploi s'accompagne de précarité pour les salariés ce qui de ce fait annule les effets positifs de la baisse du chômage à savoir un retour dep ouvoir d'achat et une consommation de ce fait effective de l'individu qui...

le 10/06/2023 à 9:57
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Sans compter que rendre toutes les conditions difficiles pour les précaires revient à les menacer d'un fouet pour les mettre au travail... c'est sûr qu'avec des esclaves on construit de grands bâtiments. Mais nous devrions tous lutter contre cette ex...

le 11/06/2023 à 7:29
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Hélas j'ai bien peur qu'il ne soit trop tard, leur seule valeur c'est l'argent et non le talent, c'est même pire que cela c'est l'argent qui dit au talent de la fermer et d'obéir et de détruire la planète et son humanité en gardant le sourire.

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