La double polarisation du monde ou le crépuscule de l’occident

Rupture(s). Des mouvements profonds traversent la planète, reconfigurent les rapports de force, créent de nouvelles zones de tension qui débouchent sur une nouvelle guerre froide, près de 30 ans après la chute du mur. Or le décor a profondément changé, les enjeux et les hommes aussi. Pour certains, nous n’avons pas seulement changé d’époque, mais carrément de paradigme. Derrière les postures guerrières de Trump, le volontarisme de façade de l’Europe, et la « revanche des humiliés » portée par Pékin, s’articule en réalité une double polarisation du monde qui cache un nouveau crépuscule de l’occident.
Abdelmalek Alaoui.

Alors que le monde s'apprête à célébrer le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin en novembre prochain, une nouvelle « guerre froide » technologique et commerciale constitue le premier facteur de polarisation de la planète entre l'est et l'ouest. Et cette fois, ce n'est pas Moscou qui est à la tête du flanc oriental, mais bel et bien Pékin, matérialisant ainsi la prophétie d'Alain Peyrefitte dans son livre à succès paru en 1973 : « Quand la Chine s'éveillera...le monde tremblera ».

C'est précisément cet éveil chinois, doublé de la formidable percée commerciale et technologique de l'empire du milieu qui est désormais au cœur de la bataille que se livrent Washington et Pékin. À l'instar de la première guerre froide, nous assistons à un affrontement multidimensionnel qui inclut tout sauf l'affrontement de forces armées. Tout le reste de la panoplie y est : rapport de force, jeux d'alliances, menaces voilées ou directes, batailles de communication, agents d'influence, combats périphériques avec l'Europe et l'Afrique comme terrains de jeu. En bref, l'engagement des deux protagonistes est total.

Toutefois, alors que l'Amérique apparaît comme dominante dans cette dynamique en ayant porté les premières estocades sur le plan commercial puis sur le plan technologique à travers la tentative de bannissement du géant Huawei des réseaux US et européens, la réalité est un peu plus complexe et différente de ce que peuvent dépeindre les médias.

Les vrais dominants ne sont pas ceux que l'on croit

Dans un monde où la technologie est reine et balaie presque tout, un graphique illustre de manière saisissante la dynamique d'arrière-plan à l'œuvre entre l'Est et l'Ouest.

Selon le Digital Evolution Index, élaboré par l'université de Tufts en partenariat avec Mastercard- deux institutions américaines - l'on s'aperçoit que le bloc occidental, bien qu'incluant certaines des nations les plus évoluées sur le plan technologique, est désormais dans une phase de décélération, à l'exception de quelques petits pays tels que le Portugal ou l'Estonie.

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Digital Evolution Index

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Presque partout ailleurs, les leaders du monde occidental sont en repli, incluant l'Amérique. À l'inverse, la Chine se trouve en tête des pays qui progressent le plus rapidement. Cette évolution est particulièrement visible pour les technologies d'avenir, comme la 5G, où les experts estiment que les opérateurs chinois disposeraient de 18 mois d'avance sur leurs principaux compétiteurs occidentaux. Or, comment réagira l'occident si les courbes technologiques s'inversent au-delà de la 5G ? Acceptera-t-il une domination technologique chinoise ?

Dans ce contexte - que n'ignorent certainement pas les responsables américains et européens- comment ne pas voir dans l'offensive dirigée contre la Chine une tentative de freiner la marche en avant du champion oriental ? Comment ne pas penser que nous ne serions en réalité que les spectateurs d'une guerre économique habillée par un discours politique.

Ceci nous emmène directement vers la seconde polarisation à l'œuvre, concentrée cette fois au sein de l'occident, et qui contient potentiellement les ingrédients pour accélérer son crépuscule : le déplacement du centre de gravité politique des démocraties occidentales. Celui-ci est passé d'un affrontement traditionnel entre gauche et droite pour aboutir à un clivage entre centre et extrême-droite. Les récentes élections européennes ont illustré parfaitement cette dynamique en France, mais également dans d'autres pays européens, avec parfois le mouvement écologiste en position d'arbitre. Quant aux États-Unis, ce basculement a eu lieu lors de l'élection de Trump il y a bientôt trois ans, mettant en lumière une société profondément fracturée, mais surtout apeurée.

Le moteur du crépuscule de l'occident : la peur

Car c'est là le moteur principal de ce crépuscule de l'occident : la peur. Peur de l'avenir, qui fait que quelques-unes des nations les plus riches au monde se braquent violemment lorsqu'il s'agit d'accueillir moins d'un million de réfugiés en Europe. Peur du présent lorsqu'il s'agit d'appréhender la fin du salariat et qu'il faut investir massivement dans la technologie. Peur du passé enfin en stigmatisant systématiquement les communautés minoritaires - dont les musulmans- pour les désigner comme responsables du grand chamboulement de la planète et de l'impossibilité de perpétuer des systèmes sociaux trop généreux par rapport à une pyramide des âges en mutation.

Cet ensemble de raisons a souvent hystérisé les débats publics occidentaux. Il a obligé dans la dernière semaine des élections européennes le président français à se mettre en première ligne, au risque d'entamer son crédit personnel ou à paralyser durablement son action. Cette fois-ci, le pari a été gagnant, mais l'occident n'aura bientôt plus les moyens de jouer à la roulette russe son avenir. Il est triste que l'expression « choc de confiance » ait été épuisée par François Hollande. Jamais le monde occidental n'en a eu autant besoin.

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Commentaires 7
à écrit le 04/06/2019 à 11:37
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Vous pouvez tous tout faire pour revenir à cette horrible pensée binaire pour ma part je ne vois qu'un seul et unique dominant mondial, les états unis et de vraiment très loin. Mais en effet ça ne peut que remonter le morale de la Chine de la pre...

à écrit le 04/06/2019 à 11:16
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Le crépuscule, ça m'étonnerait, mais ce monsieur a bien raison par ailleurs : bien intoxiqués par leurs médias, les occidentaux ont peur de tout et de n'importe quoi, et ne veulent pas voir que dans beaucoup de pays, l'Ouest est devenu l'empire oppre...

à écrit le 04/06/2019 à 10:58
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Du bon et du moins bon dans cet article: oui la chine monte en puissance et devient une puissance technologique. EN partie grace a nos transfert de techno (volontaire ou espionnage) mais aussi grace aux choix occidental de privilegier la rente (l Eta...

le 04/06/2019 à 13:14
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d'accord avec vous. Ce monsieur devrait aller visiter les anciennes terres minières du nord, toutes vidées d'emploi depuis la libéralisation des capitaux des années 80. Invraisemblable comme les commentateurs snobent la réalité.

à écrit le 04/06/2019 à 8:35
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Tout ce discours pour rendre évident qu'il n'y a pas d'alternative, qu'il n'y a plus de sujet à être de droite ou de gauche! Et ça marche puisque que toute la presse, tous les média tous les sondages le disent! Alors les gens croient que c'est la ...

à écrit le 04/06/2019 à 8:16
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oui enfin la chine est tres mal placee poour le rechauffement climatique, ils vont prendre cher et alors leur regime autocratique s"effondrera tel les dinosaure, too big too fit... l'epuisement des ressources naturelles....

le 04/06/2019 à 11:01
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Il faut aussi prendre en compte leur politique de surveillance de toute la population de leur pays et les notations des citoyens, cela va tuer toute forme de création et par extension tuer leur développement scientifique qui est déjà en partie basé ...

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