
La victoire du Front national au premier tour des élections régionales ce dimanche n'a rien de surprenant. Le parti présidé par Marine Le Pen, qui avait pourtant fait un score très médiocre lors des mêmes élections il y a six ans, enregistre une progression constante depuis 2012 qui n'a fait que se confirmer de scrutins en scrutins. La carte électorale dévoilée ce dimanche soir est à peu près la même que celle des élections européennes de 2014 lorsque pour la première fois le FN s'était érigé en « premier parti de France ». Ce qui a changé en revanche, c'est le niveau, puisque dans six régions, au moins, le FN est en tête avec des scores de plus de 40% en PACA et en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, et qu'il est en mesure de se maintenir au second tour dimanche prochain partout ailleurs.
Le premier parti de France ?
A la vérité, ce statut de "premier parti de France" reste malheureusement l'apanage des quelques 20 millions d'électeurs, principalement des jeunes, qui ont préféré s'abstenir une fois de plus ce dimanche. Mais en suffrages exprimés, le Front national enregistre bien une forte poussée, comme l'avaient bien prédit les sondages réalisés la semaine dernière. A l'évidence, le choc des attentats du 13 novembre a amplifié le désarroi des électeurs tentés par un vote extrême pour adresser un message fort, en l'espèce un coup de pied au derrière, à l'ensemble de la classe dirigeante.
Que retenir du vote des Français pour ce premier tour ?
Tout d'abord, le parti socialiste n'a aucunement profité de la hausse de la popularité de François Hollande qui a pris des mesures sécuritaires que jamais on aurait pu imaginer d'un dirigeant de gauche : état d'urgence dans tout le pays pour trois mois reconductibles, et des réformes qui reprennent des propositions de longue date du Front national, comme la déchéance de nationalité pour les terroristes. Les scores du PS sont médiocres, sans être catastrophiques, la gauche étant avant tout victime de sa désunion. En cumulant toutes les voix de la gauche, elle arriverait devant la droite républicaine dans beaucoup de régions.
Deuxième constat : en nationalisant brusquement un scrutin régional, qui jusqu'au 13 novembre s'était concentré sur les enjeux locaux, les attentats ont bouleversé les plans de la droite qui s'attendait sereinement à une vague bleue, comme il y avait eu une vague rose en 2010 (l'UMP n'avait conservé que l'Alsace...). Et à capitaliser sur cette victoire pour engager la bataille de l'alternance à l'élection présidentielle de 2017. Les attentats, la hausse de popularité de François Hollande et la montée du parti de Marine Le Pen a porté un rude coup à cette stratégie. Au premier tour, si la droite réalise de bons scores, arrivant en tête en Ile-de-France, en Normandie, en Pays de Loire et en Auvergne-Rhône Alpes, le parti présidé par Nicolas Sarkozy est dominé dans 9 régions sur 13, soit par la gauche en Bretagne, en Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes et en Corse, soit par le FN dans les autres régions, y compris l'Alsace où le numéro 2 du FN, l'énarque Florian Philippot, devance de 9 points Philippe Richert (LR).
Troisième enseignement : le tripartisme s'installe durablement dans le paysage politique français et met au défi le bon fonctionnement de la Vème République, conçu jusqu'ici dans une logique majoritaire avec deux partis d'alternance. Si les scores de Marine Le Pen devaient se confirmer lors de l'élection présidentielle, la dynamique majoritaire pourrait bien la conduire tout droit à l'Elysée au printemps 2017. Ce qui veut dire que la France serait dirigée par un parti extrémiste, populiste et nationaliste, dont le programme est la "préférence nationale", la discrimination à l'égard des "étrangers", le retour en franc et une politique économique qui ramènerait la France des années en arrière.
Que va-t-il se passer maintenant ?
D'une certaine façon, le choc de ce 6 décembre 2015 est une réplique de celui du 21 avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s'était hissé au deuxième tour en devançant le socialiste Lionel Jospin. A l'époque, le Premier ministre sortant avait appelé à faire barrage au Front national dans un front républicain qui a fait élire Jacques Chirac sur un score digne d'une dictature sud-américaine dans les années 70. Mais il est vrai qu'il ne pouvait pas se maintenir.
Rien de tel avec le mode de scrutin assez baroque de ces élections régionales, proportionnel à deux tours avec des listes départementales. Toutes les listes ayant fait plus de 10% des voix peuvent ainsi se maintenir au second tour. Nicolas Sarkozy ayant fermé la porte à tout front républicain - ni fusion, ni retrait de liste -, la droite républicaine va donc se maintenir partout au risque de multiplier les triangulaires. Et dans certaines régions, au risque de faire élire le Front national... De la part de Nicolas Sarkozy, ce choix assumé est une façon de réaffirmer que la droite est la seule force d'alternance républicaine crédible, de prendre date pour 2017, tout en refusant toute confusion entre les électeurs, au motif, pas complètement faux, que la fusion donnerait prise à l'accusation du Front national sur la domination d'une « UMPS ».
La position de Nicolas Sarkozy a obligé le parti socialiste à changer ses plans. Jean-Christophe Cambadélis l'a annoncé en fin de soirée en choisissant de demander le retrait des listes PS dans les seules deux régions les plus menacées et les plus emblématiques, NPDCP et PACA. Ce faisant, il appelle implicitement les électeurs de la gauche à y « faire un barrage républicain » au Front national, donc à voter pour les listes de Xavier Bertrand et de Christian Estrosi. En d'autres termes, si les têtes de listes socialistes locales acceptent d'appliquer cette règle, il n'y aura pas d'élus de la gauche pendant six ans dans ces régions. Dans le Nord, place forte du PS avec Pierre Mauroy, ce sera un séisme politique.
Dans toutes les autres régions, en revanche, on s'achemine vers des triangulaires dimanche prochain. Si les électeurs, notamment les abstentionnistes se mobilisent, les scores du second tour pourraient cependant conduire à des surprises. Car si la gauche rassemble toutes ses forces en fusionnant ses listes, elle pourrait bien inverser en sa faveur les rapports de force du premier tour dans certaines régions convoitées par la droite. De sorte que la carte de France des nouvelles régions que l'on découvrira dimanche 13 décembre pourrait bien être très différente de celle que l'on a pu voir hier soir.
Sujets les + commentés