Pollution et Covid-19  : le monde à l'épreuve du masque

OPINION. Le monde et la France sont confrontés à "une deuxième vague forte" de la Covid-19, d’après les termes de Jean Castex, contraignant le gouvernement à multiplier les mesures restrictives depuis la mi-octobre. Cette situation sanitaire aura un impact désastreux sur l’environnement, notamment du fait de la pollution générée par les masques jetables, devenus incontournables. (*) Par Michel Innocent Peya, écrivain et chercheur, spécialiste des questions environnementales.
Ambivalent, le masque peut être à la fois un instrument de protection de l'Homme et un instrument de destruction de la planète.
Ambivalent, le masque peut être à la fois un instrument de protection de l'Homme et un instrument de destruction de la planète. (Crédits : Reuters)

Les cris d'alarme sont désespérément rares, malgré l'ampleur du désastre environnemental à venir. Source de pollution et de dégradation écologique sans précédent, l'utilisation contrainte et systématisée des masques doit susciter des réactions fortes pour en restreindre les effets négatifs.

En effet, la production de masques jetables a connu une augmentation exponentielle afin de contenir la propagation de la Covid-19: la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) estime les ventes mondiales de masques chirurgicaux à 166 milliards de dollars en 2020, contre 800 millions en 2019. C'est-à-dire une multiplication par plus de 200 en l'espace d'une année.

Lire: Le plastique jetable, grand gagnant du déconfinement?

Toujours selon des sources onusiennes, et c'est là que le bât blesse, il faut s'attendre à ce que 75 % de ces masques se retrouvent dans la nature ou dans les mers au même titre que les autres déchets liés au coronavirus (gants, visières, contenants de gel hydroalcoolique, etc.). Nos forêts, eaux et trottoirs sont déjà saturés de ces déchets plastiques, dont les images n'ont pas tardé à être relayées sur les réseaux sociaux. En outre, la production des masques pose question puisque ceux-ci sont essentiellement composés de polypropylène, gourmand en ressources et en émissions de gaz à effet de serre.

Une indispensable prise de conscience générale

Dans ce contexte, une prise de conscience générale est indispensable. L'annonce d'un projet de décret devant accroître de 68 à 135 € l'amende en cas d'abandon d'un masque sur la voirie en France, ainsi que les campagnes de sensibilisation menées par les autorités, demeurent insuffisantes. Les masques réutilisables doivent devenir la règle, afin de réserver les dispositifs jetables aux seuls personnels soignants. L'enjeu est de taille car, d'après Zero Waste France, le recours à deux masques jetables par jour et par Français représente une production quotidienne de 400 tonnes de déchets plastiques.

Cette même association regrette que de nombreuses entreprises, concernées par le port du masque obligatoire depuis le 1er septembre 2020, interdisent les tissus réutilisables à leurs salariés. Ces blocages doivent cesser: un groupe de travail de l'University College London (UCL) relevait en mai dernier que les masques à usage unique avaient un impact dix fois plus important sur le changement climatique que ceux réutilisables. À titre de comparaison, il faudrait 24,7 milliards de masques jetables pour équiper sur une année l'ensemble de la population britannique, contre 136 à 271 millions pour des tissus lavables. Extrapolés à l'ensemble du monde, ces chiffres explosent.

Le pire est d'autant plus à craindre pour l'environnement que la crise sanitaire s'accompagne d'une crise socio-économique. À cet égard, des arbitrages doivent être rendus par l'ensemble des gouvernements européens afin de soutenir l'emploi et l'activité, souvent au détriment de la préoccupation environnementale. Malgré la présence de dispositions "vertes " dans les plans de relance annoncés avant la deuxième vague, l'OCDE souligne dans une note publiée le 14 septembre que "l'équilibre entre les dépenses vertes et les dépenses non vertes ne joue pas en faveur du volume des résultats environnementaux".

 La pollution plastique, la grande oubliée de la Covid-19

Symbole du retard pris dans la gestion de cette pollution plastique, la concrétisation poussive en France des dispositions de la loi anti-gaspillage (février 2020) interpelle. Au 30 septembre 2020, le taux d'application de la loi s'élève à peine à 5 % selon la Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale. C'est pourtant cette même loi qui porte l'ambitieux et nécessaire objectif de 100 % de plastique recyclé d'ici le 1er janvier 2025.

Au niveau européen, cet objectif est deux fois moins élevé (50 % d'emballages plastiques recyclés d'ici 2025). En tout état de cause, la situation sanitaire rend impossible l'atteinte de ces objectifs. Samo Jereb, membre de la Cour des comptes européenne et responsable d'une analyse publiée le 6 octobre dernier sur cette question, dresse le constat suivant : "en ressuscitant, pour des motifs sanitaires, notre habitude de n'utiliser qu'une fois les produits, la pandémie de Covid nous montre que les matières plastiques resteront un pilier de notre économie, mais aussi une menace toujours croissante pour notre environnement".

Le masque jetable n'est que l'avatar le plus récent du danger que fait peser ce type de déchets sur notre écosystème. Déjà quadruplée au cours des quatre dernières décennies, la production mondiale de plastique représentera 15 % des gaz à effet de serre à horizon 2050 - soit autant que les émissions dues aux transports. Ce problème de long cours, que les pays européens pensaient avoir mis sur les rails de sa résolution, est plus que jamais réactualisé par les enjeux afférents au traitement des masques à usage unique.

Un mot d'ordre: recycler

En réponse, les acteurs publics comme privés doivent être forces d'action et de propositions. Le premier champ à investir est celui de la constitution de filières efficaces de recyclage des masques jetables, encore inexistantes pour le grand public. Sur ce créneau, de jeunes entreprises émergent et attirent l'attention des responsables politiques. Ainsi, le conseil régional d'Île-de-France planche sur l'instauration d'une filière francilienne pour l'été 2021.

Ambivalent, le masque peut être à la fois un instrument de protection de l'Homme et un instrument de destruction de la planète. Il est à tous égards un instrument qui défigure, et le défi à surmonter est doublement immense: éviter que les masques jetés ne contribuent à la propagation du virus et qu'ils ne détériorent, davantage encore, le fragile équilibre environnemental. Seule la convergence de toutes les volontés permettra de dépasser la crise multidimensionnelle à laquelle nous sommes collectivement confrontés.

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Commentaire 1
à écrit le 17/11/2020 à 10:15
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Nous avons bien constaté que de toutes façons ils n'ont absolument fait aucun effort pour réduire drastiquement dans tous les nombreux domaines ou c'est largement faisable, les produits en plastiques. Il faut bien qu'ils fassent quelque chose de ...

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