Le plastique jetable, grand gagnant du déconfinement ?

La plastification et le recours aux articles à usage unique risquent de redevenir la norme face à l'urgence sanitaire, notamment dans les entreprises. Or, leurs avantages sanitaires sont parfois illusoires, pointent les ONG. Elles plaident pour que les dégâts environnementaux soient pris en compte.
Giulietta Gamberini
L'association entre hygiène et usage unique, savamment entretenue par des décennies de marketing, est aussi l'un des principaux argument du lobbying entrepris, dès le début de la crise, par les industriels de l'emballage et du plastique.
L'association entre hygiène et usage unique, "savamment entretenue par des décennies de marketing", est aussi l'un des principaux argument du lobbying entrepris, dès le début de la crise, par les industriels de l'emballage et du plastique. (Crédits : Reuters)

Masques, gants, mais aussi bouteilles, emballages, lingettes... Depuis le début de la crise du coronavirus, les défenseurs de l'environnement s'inquiètent. Après les quelques avancées obtenues dans la lutte contre la prolifération des déchets, notamment l'adoption en 2019  de la directive européenne sur le plastique à usage unique, puis au tout début de 2020 l'approbation de la loi économie circulaire, l'épidémie et le déconfinement vont-ils ouvrir la voie à un retour massif du plastique et des objets jetables?

"Le recours au jetable, dans l'urgence du début de la crise sanitaire, semble se transformer en une nouvelle normalité", dénonce Zero Waste France sur son site internet.

"Face à l'enjeu de réduire le risque de contamination, de vieux automatismes se sont instantanément réactivés", regrette l'association.

Des préconisations ambiguës pour les entreprises

Si l'évolution et l'impact des comportements domestiques restent encore difficiles à prévoir, les ONG relèvent en effet déjà de potentielles dérives du côté des entreprises qui rouvrent les portes à leurs salariés.

"Les recommandations générales du ministère du Travail nous paraissent globalement équilibrées", analyse Muriel Papin pour No plastic in my sea. "Elles insistent sur la distanciation sociale, sur le lavage des mains et des surfaces. Elles réservent le recours aux équipements de protection individuel et aux masques aux cas où les autres précautions ne sont pas suffisantes. Elles déconseillent l'usage des gants", précise la déléguée générale.

Toutefois, les fiches métiers qui détaillent le protocole "systématisent le recours au plastique et à l'usage unique sans raisons explicites", s'alarme l'ONG. Elles recommandent notamment souvent l'arrêt des fontaines à eau et la distribution de bouteilles. C'est le cas de la fiche "vestiaires, locaux sociaux et locaux fumeurs", qui maintient pourtant l'accès aux distributeurs, micro-ondes et réfrigérateurs (assorti d'un affichage incitant au lavage des mains et au nettoyage). "Certaines fiches prévoient de nombreuses protections à usage unique", note encore l'association: par exemple, la fiche sur les "centres d'appel", qui va jusqu'à envisager une plastification des documents en papier et des parois en plastique entre les postes.

"Ces fiches risquent d'être surinterprétées par les entreprises, avec comme conséquence l'achat massif de matériel jetable", craint Flore Berlingen, présidente de Zero Waste France.

Un fort lobbying des industriels du plastique

Pour l'association, "ce recours massif au jetable dans le cadre du déconfinement se fait par réflexe (...), parce qu'il semble plus facile à mettre en oeuvre et que l'on part du principe qu'il 'rassure'". Mais cette association entre hygiène et usage unique, "savamment entretenue par des décennies de marketing", est aussi l'un des principaux argument du lobbying entrepris, dès le début de la crise, par les industriels de l'emballage et du plastique.

Dès le 8 avril, la European Plastics Converters (EUPC), association professionnelle représentant les intérêts de l'industrie européenne de la transformation des matières plastiques, a ainsi écrit à la Commission de l'UE pour lui demander la "refonte ou le report de la directive sur les plastiques à usage unique", en insistant sur les "avantages des produits en plastique et en particulier des applications à usage unique dans les moments difficiles que nous connaissons à ce point de l'histoire".

"L'emballage garantit un effet barrière, c'est la première protection des produits. La préservation des conditions sanitaires est aujourd'hui encore plus qu'hier primordiale", clamait dans un communiqué diffusé le même jour Françoise Andrès, présidente d'Elipso, la fédération française des entreprises de l'emballage en plastique souple.

En France d'ailleurs, le 3 avril, dans un courrier dévoilé par le Canard enchaîné et rendu public par le JDD, le Medef avait déjà demandé à la ministre de l'environnement Elisabeth Borne "un moratoire sur la préparation de nouvelles dispositions énergétiques et environnementales, notamment celles élaborées en application de la loi du 10 février dernier relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire." Et le même argument hygiénique a été utilisé vis-à-vis du grand public, pour encourager l'achat de produits emballés. Sur son site, Nestlé Waters France n'hésite par exemple pas à définir de "non protégée" l'eau du robinet, malgré les nombreux contrôles dont elle fait l'objet en France.

Des avantages sanitaires incertains

Or, si les défenseurs de l'environnement reconnaissent que la protection de la population face au virus est prioritaire, ils soulignent que les avantages sanitaires du recours au plastique et aux objets jetables sont souvent illusoires.

"Une bouteille en plastique est aussi manipulée qu'une bonbonne d'eau", souligne Muriel Papin.

Plusieurs études notent d'ailleurs que le plastique et l'acier sont les surfaces où le corovirus reste infectieux le plus longtemps -même si des doutes persistent sur le risque de transmission. Les recommandations du ministère du Travail prennent d'ailleurs en compte ce constat, en invitant à "porter une attention particulière (lors du nettoyage, NDLR) aux surfaces en plastique et en acier".

"Sauf dans certaines situations particulières, on peut assurer la sécurité sanitaire sans besoin de recourir au jetable", ajoute Flore Berlingen.

En revanche, les conséquences néfastes du plastique et des articles à usage unique sur la santé sont désormais de mieux en mieux connues. Dans un rapport publié en décembre 2019, les députés français reconnaissaient que, "l'exposition aux perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique constitue un enjeu majeur de santé publique". Selon un rapport commandé par le WWF à l'université de Newcastle, en Australie, à cause des microplastiques présents dans la chaîne alimentaire, chaque individu ingérerait en moyenne 5 grammes de plastique par semaine: l'équivalent d'une carte de crédit. Sans compter la pollution, le réchauffement climatique, les accidents industriels liés à la production de plastique et d'emballages, note Zero Waste France: ainsi, le 7 mai, au moins onze personnes ont été tuées et un millier ont été blessées par une fuite de gaz dans une usine indienne, qui avait pourtant été déclarée "essentielle" pendant le confinement.

Des dangers pour l'environnement

Quant aux dégâts environnementaux du plastique sur l'environnement, aussi bien documentés, ils risquent d'être aggravés par la pandémie. Dans la plupart des  villes et des pays, le volume potentiel des déchets liés à l'augmentation des produits jetables est difficile à évaluer, dans un contexte ou plusieurs autres facteurs ont évolué: les déchets urbains ont diminué à cause de la fermeture des magasins et des restaurants, l'activité de nombreux centres de tri a été suspendues pour protéger les salariés. Mais selon le New York Times à Bangkok, en raison du pic des livraisons pendant le confinement, le volume des déchets en plastique a crû de 62% en avril, en dépassant les 3.400 tonnes quotidiennes.

"(...)  Les écologistes craignent que la Thaïlande ne soit qu'un indicateur de la situation ailleurs en Asie du Sud-Est, qui abrite quatre des cinq principaux pollueurs plastiques de l'océan au monde", note le quotidien américain.

Quant aux masques jetables -chacun desquels pèse environ5 grammes-, leur utilisation par 60 millions de Français au rythme de trois masques par jour aboutirait à 330.000 tonnes de déchets en plastique en une année, calcule Alexis Krycève, fondateur et PDG de l'agence Gifts for Change: plus que la consommation annuelle nationale de bouteilles en plastique, de 310.000 tonnes. Et ce sans tenir compte des emballages d'origine, ni des sacs en plastique dédiés où les masques devront être jetés. Or, ces déchets ne seront pas recyclables, ne serait-ce que pour des raisons sanitaires. En Asie, une partie de ces masques sont en outre déjà abandonnés dans la nature, note l'ONG Ocean Asia.

How is #COVID19 affecting the environment around you?

Many people are wearing face masks and most of them are thrown away after single-use.

Here are 14 images, I combined from @oceansasia1 showing poor disposal of used masks in Hong Kong.

We can #EndPlasticPollution pic.twitter.com/JQ8YfPMXpO

— Nirere Sadrach (@SadrachNirere) May 4, 2020

Un retour massif au plastique et au jetable serait en outre d'autant plus dangereux que la prise de conscience, par les citoyens comme par les entreprises, de la nécessité de réduire la production de déchets est plutôt récente, et donc fragile, notent les ONG. Il compliquerait d'ailleurs davantage la mise en oeuvre de la directive européenne sur le plastique à usage unique comme de la loi économie circulaire, qui représente déjà un chantier de taille.

L'environnement dans le débat

"A minima, nous demandons donc que l'ensemble des paramètres sanitaires et environnementaux soient pris en compte dans le débat" autour des mesures pour enrayer l'épidémie malgré le confinement, plaide Flore Berlingen.

 "La prétendue valeur ajoutée du plastique et du jetable est-elle réelle? Et si oui, justifie-t-elle la prise d'autres risques?", précise la présidente de Zero Waste France.

Sur cette base, les ONG proposent une évaluation plus fine des alternatives au cas par cas.

"Tout comme il est impensable de mettre sur pied un plan de sauvetage économique qui ne prendrait pas en compte la nécessaire transition écologique, il est absurde de penser le déconfinement sans s'autoriser à imaginer d'autres protocoles, d'autres modalités d'organisation qui ne reposeraient pas uniquement sur notre dépendance au jetable", écrit Zero Waste.

La crainte d'un détricotage des normes

Selon No plastic in my sea, dans les entreprises, les fiches métiers devrait notamment plutôt préconiser l'utilisation de "matériel individuel ou personnel" (outils, ordinateurs, téléphones, mais aussi gourdes et couverts), "garant de moindres contacts interpersonnels et d'un meilleur impact environnemental", ainsi que "la révision des process pour éviter que plusieurs personnes touchent les mêmes objets".

L'ONG prône également "le rétablissement de l'accès à l'eau potable", "avec tous les mesures de sécurité nécessaires, afin que chacun puisse utiliser son récipient personnel et éviter un retour massif et non justifié aux bouteilles plastiques".

Quant aux masques, "les recommandations officielles devraient davantage inciter à privilégier les masques lavables et réutilisables (jusqu'à 30 fois) conformes à la norme Afnor, qui présentent un impact environnemental moindre", selon No plastic in my sea.

Si les modèles réutilisables équivalents aux masques FFP (les seuls qui protègent le porteur) sont rares, les modèles réutilisables équivalents aux masques chirurgicaux (qui ne protègent pas le porteur mais protègent les autres) sont en effet désormais facilement accessibles, y compris "made in France", note Muriel Papin.

Les ONG restent aussi vigilantes face au risque de détricotage des normes. Certes, le Commissaire européen à l'environnement, Franck Timmermans, s'est publiquement opposé au report de la directive sur les articles à usage unique. Le ministère français de la Transition écologique et solidaire a également rassuré:

"Rien de ce qui a été prévu et voté dans la loi 'économie circulaire, NDLR) ne sera changé".

Mais en France, les discussions sur les textes d'application de la loi, censées débuter fin mars, ne commenceront que dans les prochains jours. Le caractère plus ou moins vert du plan de relance annoncé pour l'automne fait l'objet d'une lutte par lobbying interposés. Et à Bruxelles, la véritable portée du prochain Pacte vert européen reste en suspens.

Lire aussi : Quand le plastique devient une monnaie d'échange

Giulietta Gamberini

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Commentaires 10
à écrit le 15/05/2020 à 16:02
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jetable et non biodégradable !

à écrit le 15/05/2020 à 15:10
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Faudrait une petite bouteille d'éther, pulvériser en restant dehors (c'est toxique et très inflammable, pas de soudeuse) et fermer simplement avec un lien. Rien de pratique détruit ce virus, même s'il est inactif par la perte de ces trucs collants, ...

à écrit le 15/05/2020 à 13:15
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pitie, on n'aimerait pas que la petite haineuse a couettes refasse la une quotidienne des journaux

à écrit le 15/05/2020 à 12:05
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Le plastique jetable et les voitures (les français ayant peur des transports en commun) ce covid 19 finalement ne rend pas service à notre planète.

le 15/05/2020 à 15:53
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Quand l'Etat transforme les voies bus, également cyclables, en seules pistes cyclables, vous faites quoi? LesTC perdent tout intérêt puisqu'ils ne gagnent plus de temps sur les voitures particulières. Ils sont remis avec la circulation générale ; Pou...

le 15/05/2020 à 15:54
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Quand l'Etat transforme les voies bus, également cyclables, en seules pistes cyclables, vous faites quoi? LesTC perdent tout intérêt puisqu'ils ne gagnent plus de temps sur les voitures particulières. Ils sont remis avec la circulation générale ; Pou...

à écrit le 15/05/2020 à 11:59
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Environnementalement parlant, ils ont raison, mais... une autre solution (fiable, pratique et pas chronophage s'entend) ?

à écrit le 15/05/2020 à 11:52
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Ben le lobby est là, vieux et puissant, tandis qu'il n'existe pas de lobby pour défendre la nature et le politicien est paramétré à ramasser les valises pleines de billets et non d'aller cueillir des fleurs dans le près. Au final ce qui a détruit...

le 15/05/2020 à 15:31
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@ multipseudos: Non, tu trolles encore tu es pénible, il existe des "associations de défense de l’environnement dont l'intérêt de base est que l’environnement soit menacé. Le lobby est un groupe de pression financier qui oriente l'action des ...

le 16/05/2020 à 12:07
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@ matin calme/multipseudos: Tu es grotesque qui crois tu encore tromper le français en corée qui aime tellement ce pays qu'il passe tout son temps sur un forum français ? :-) Evites moi vraiment t'as pas le niveau. Signalé

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