
L'extrême prudence est désormais requise pour qui se risque à critiquer le fonctionnement des institutions françaises et les insuffisances (managériales, intellectuelles, morales) de ceux qui sont aux manettes. Toute dénonciation se voit opposer le joker: French Bashing ! Du coup, la méthode Coué prospère. Nous sommes excellents ! Nous sommes les meilleurs. Les autres ne nous comprennent pas ou, pervers, envient notre génie.
Les palmarès, incontournables
Dans l'enseignement supérieur, la publication des palmarès est devenue un événement incontournable. Souvenez-vous du premier classement des établissements supérieurs, celui de Shanghai, en 2003. Relisez les ricanements qui ont accompagné ce premier billboard ou bien les ronflements qui l'ont couvert. Il est vrai que la petite poignée d' établissements français qui surnageait, s'entassait dans la voiture balais. Du jour au lendemain, une bonne vingtaine d'universités françaises et autant de « grandes écoles » persuadées boxer dans la catégorie poids lourds, trônant sur le ring aux côtés d'Harvard, Oxford et Berkeley, se retrouvaient poids coqs et encore...
Des classements non pertinents pour les sciences humaines...
Au crédit du classement de Shanghai et des autres palmarès qui ont suivi (qui répétaient à quelques variantes le palmarès chinois de 2003), il faut leur savoir gré d'avoir bouleversé notre enseignement supérieur. Ainsi Valérie Pécresse a-t-elle instillé un esprit de compétition dans tout l'enseignement supérieur, mot tabou dans un univers pétrifié par le fonctionnariat. La mise en marche de l'autonomie est une excellente chose.
A l'encontre des palmarès, certains chercheurs ont encore souligné leurs inadaptations à leurs domaines scientifiques : devoir publier dans des revues comme Science et Nature, ou bien déposer des brevets exclut de fait nombre de champs scientifiques. Conséquemment, certains domaines ont eu beau jeu de déclarer ces classements valables pour les sciences dures et expérimentales, mais non pertinents pour les sciences humaines et sociales notamment. Déclassée dans les sciences dures et expérimentales, la France remonterait haut dans les palmarès si ces satanés classements daignaient s'intéresser aux publications dans des domaines comme l'art, l'archéologie, l'architecture, l'histoire, la philosophie des sciences, le cinéma, la littérature, la linguistique, la philosophie, le théâtre, la théologie.
... jusqu'à ces derniers jours
Alléluia ! Leur vœu vient d'être exaucé ! Le Times Higher Education World University Rankings 2014-2015 vient de publier son classement des 100 premières universités pour « Arts & Humanities, 2014-2015 ». Il n'était que temps. S'en est-il fini du French Bashing ? Euh, pas vraiment. En fait, avec les Arts & Humanities, domaines où le monde entier envierait la France, on touche au fond. Nommons-le, le French Burying. Soit les cent premiers établissements mondiaux dans les Arts & Humanities. Il s'y trouve logiquement 35 universités américaines et 20 britanniques. Domination anglo-saxonne que conforte encore 8 établissements australiens et une poignée d'universités en Nouvelle-Zélande.
Une domination anglo-saxonne... mais aussi, allemande, néerlandaise...
Explication attendue : ces établissements figurent dans le palmarès non parce que leurs enseignants-chercheurs sont excellents, mais parce qu'ils s'expriment, écrivent et publient en anglais. Admettons. Mais derrière qui trouve-t-on ? Six universités allemandes, autant aux Pays-Bas, deux en Belgique, à Hong-Kong, en Italie, en Suède, en Espagne, en Israël. Mon expérience empirique me dit qu'en Belgique, l'anglais n'est pas encore la première langue parlée, tout comme elle ne l'est pas encore en Allemagne, encore moins en Italie ou en Espagne. Bon, et la France ?
Elle pointe à la 14ème position, avec un seul établissement, l'ENS. French bashing ? Non, osons un néologisme : French burying. La ringardisation scientifique de la France, avec ses « grandes écoles » squelettiques, où le mot recherche est un mot grossier, et ses prochains mastodontes à 100 000 étudiants dont on ne sait comment ils seront pilotés, est donc bien confirmée.
Un déclassement dramatique
Le déclassement scientifique français est dramatique et l'état du malade n'a rien à voir avec l'impérialisme linguistique anglophone. Toutes les disciplines sont atteintes, y compris celles, arrogantes qui, faute jusqu'à présent d'être évaluées, s'arrogeaient une excellence à bon compte. Malheureusement, les palmarès les ont rejoint et les montrent telles qu'elles sont : rongées par les vers. Les établissements français comme l'ENS ou l'X sont lilliputiens, s'acharnent à le demeurer, face à des mastodontes de 100 000 étudiants dont on nous annonce qu'y naitra la science future. Ce genre de monstruosité a bien évidemment germé dans le cerveau d'un technocrate, probablement issu d'une école où les promotions sont de 82 diplômés par an, et qui n'a jamais mis les pieds dans une université, qui ne sait pas ce que c'est !
La pratique calamiteuse de "l'endorecrutement"
Au vrai, le provincialisme de nos élites n'est pas le seul responsable du fiasco. Il est un autre cancer, bien français et que Jean Tirole vient utilement de dénoncer (1) : l'endorecrutement . Sans vergogne, nos professeurs en poste recrutent leurs propres étudiants, leurs petits clones. Narcissiquement, nos mandarins aux petits pieds y trouvent du plaisir. Administrativement, leur clones déploieront la servilité attendue pour service rendue. Justement, le localisme, absent chez les mathématiciens (tiens, tiens) est particulièrement vivace dans les sciences humaines et sociales. Ce qui nous renvoie aux calamiteux résultats du Times Higher Education...
[1] Jean Tirole, « L'endorecrutement est un des défauts majeurs du système français », La lettre de l'AEF, 20 novembre 2014.
Albert Fert avait publié une tribune sur le sujet (google albert fert shangai).
Les enseignants chercheurs français enseignent aussi beaucoup plus que leurs homologues étrangers. Ils sont absents al moitié de l'année.
Un autre scoop : les recruteurs dans les entreprises favorisent également les gens issus des mêmes cursus qu'eux !
Et vous savez quoi ? Dans les collectivités territoriales c'est pareil ! Incroyable !!!
En fait, en France nous avons peut-être un système de formation qui favorise la reproduction, notamment chez les "élites"...
Et regardez donc la concurrence sur le marché de l'emploi où les ingénieurs trustent tous les emplois qualifiés au détriment de leurs camarades de fac. Meilleure formation diront certains. Pourtant le moins bon des ingénieurs ne vaudra jamais le meilleur des universitaires, et pas sur n'importe quel poste. Pourtant les recrutement se font surtout au diplôme. Et je vois venir l'argument que les universités sont trop éloignées du secteur privé, c'est sans doute vrai. Mais ça ne retire rien au fait que les recruteurs préfèrent eux aussi répéter inlassablement leur modèle.
Il n'y a donc aucune surprise à ces constats, notre système de formation et les perspectives en matière de recherche ou d'emploi sont verrouillées par un favoritisme et une reproduction de "castes". Là où l'on dit les anglo-saxons plus ouverts, considérant la formation comme un bagage culturel notamment, mais pas comme l'unique déterminant de la réussite professionnelle... Je ne veux pas m'engager plus loin, ce point là je ne le connais pas assez, mais certains pourront peut-être réagir là dessus du fait de leur connaissances ?
- abaissement du niveau général pour plaire aux parents qui veulent que leurs enfants aient tous des diplomes sans se fatiguer et en étant médiocres !
- non respect des profs par les parents !
- non respect des élites par les Français !
La France et les Français ont ce qu'ils méritent : la médiocrité et la paresse intellectuelle qu'ils provoquent eux-memes.
Votre définition des élites ?
Mais ce n'est évidemment une raison pour moduler leurs services...
d' administration de l'enseignement supérieur, si ... Avec dès lors comme conséquence que la véritable intelligence ou la véritable pensée est davantage à l' extérieur ... que dans leurs murs.
D'ailleurs une bonne publication scientifique américaine est ecrite par un asiatique ou un indien.
J'ai eu à un moment donné du lire pas mal de documentation scientifique pour des besoins R&D. Les auteurs des publications américaines intéressantes avaient des noms indiens ou asiatiques. C'est un constat fondé sur mon expérience personnelle.
Loi de godwin:« Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1. »
Pas question d'excellence de découverte et de génies dans Marx : juste de la servilité envers l'Etat.. Et un max de tribu
Vous fantasmez et partagez une fois de plus l'idée simpliste que l'université c'est le fonctionnariat, que le fonctionnariat c'est la glande etc...
Élevez vous un peu, la soumission au modèle vaut dans tous les domaines, de l'enseignement supérieur à la réussite professionnelle, en passant par la politique : il vaut mieux avoir un bon piston et suivre la bonne personne pour avoir plus de chances de réussir. Ça me navre mais il faut être réaliste. Quand vous n'avez aucun appui et votre seule compétence, surtout sans expérience majeure, tout vous est plus difficile. Alors suivre "le modèle" sera toujours une valeur sûre pour faire son trou... Et ça, ce n'est pas une question de socialisme.
génie et ... entretenus et payés cash par tous les français ... !
Chercheur français travaillant dans des grandes (disons: énormes) Universités anglo-saxonnes, à la fois en biologie théorique et en philosophie des sciences, je peux vous certifier que la profondeur de la recherche française est sans commune mesure avec la superficialité de la recherche anglo-saxonne, qui n'est que du marketing (je parle du moins de la recherche française que je connais, celle de l'ENS et des grandes Universités parisiennes).
A titre d'exemple, en philosophie des sciences, les chercheurs anglo-saxons pissent des articles académiques à longueur de journée que j'aurais eu honte de présenter en dissertation de philosophie au lycée tant les arguments y sont vides et inconsistants.
Ces classements en effet n'ont pas d'intérêt scientifique, seulement managérial (et pour quel management!), et les Universités qui y réussissent sont celles qui acceptent de jouer, quel que soit leur pays d'origine, le jeu de de l'impérialisme de la recherche anglo-saxonne: une recherche rapide, à court terme, superficielle, sans véritable question, sans véritable questionnement, rédigée dans un anglais pauvre et appauvri, qui n'a d'ailleurs rien à voir avec la finesse et la profondeur des articles habituellement rédigés en français. Mais cet impérialisme scientifique anglo-saxon est né de la dernière pluie (postérieur aux années 1960, au moins) et à l'échelle de l'histoire des sciences, rien ne dit qu'il ne séchera pas comme la rosée du matin.
Donc plutôt que de se battre la coulpe en se désolant de ne pas figurer haut dans le classement, je crois qu'il faudrait plutôt, sans rire, s'en féliciter. Les articles que je publie en anglais dans les grandes revues scientifiques n'ont pour moi aucun intérêt scientifique véritable (ce ne sont que des articles alimentaires), a fortiori comparés à ceux que je publie, trop rarement, en français et dans des petites publications locales.
Pour finir, ceux qui voudraient mesurer la qualité de toutes les Universités du monde à partir du même mètre étalon ne font montre que d'une naïveté stupéfiante quant au processus même de la recherche, qui est pour une bonne partie aveugle, difficile à cerner et à comprendre, et dans lequel la diversité des pratiques et des approches (et, disons-le, des traditions) est peut-être un facteur favorisant, in fine, la découverte. (Au passage, l' "endorecrutement", ou népotisme en français, est bien un problème pesant du mandarinat, mais il permet également de maintenir une diversité de traditions entre les Universités, raison pour laquelle il est si difficile de le détruire pour des raisons purement objectives. C'est bien d'une vision du monde qu'il est question. Les amoureux du yaourt synthétique normalisé à la fast-food apprécieront.)
Quant à l'uniformisation, on appel cela La Vérité. Je sais, pour un socialo c'est un concept nouveau, mais il va falloir s'y faire...
Bao me fait penser à ces cinéastes français qui nous expliquent qu'ils ont fait un film non pas pour le public, mais pour eux-mêmes, et que s'il n'y a pas de spectateurs, ce n'est certainement pas parce que le film en question était mauvais (comment peut-on penser une chose pareille d'un film français ! Un vrai crime de lès-majsté. Un cinéaste français ne peut créer qu'un chef d'oeuvre), mais parce que le public était trop bête pour le comprendre !
S'il y a bien un problème concernant le chômage en sortie d'université, ce n'est pas tant sur le niveau de connaissance (parce que là, vous seriez surpris de voir le niveau de culture générale dans certains cursus "d'élite") que sur les modes de recrutement. Copinage/favoritisme, reproduction des modèles, refus de donner leur chance aux jeunes diplômés, voire dans certains cas recrutement à la tête ou au physique...
Quand on voit la difficulté de trouver du travail aujourd'hui (mais ça vous passe peut-être à des kilomètres au dessus puisqu'il est bien connu qu'un chômeur est avant tout "une belle feignasse qui ne sait rien faire"...) il ne faut pas s'étonner de la situation de désespérance des jeunes.
Et dire qu'après on voit des commentaires comme les vôtres du niveau "fonctionnaires = fainéants" et "chômeurs=ignares"... il ne faut plus s'étonner ! Si des gens de votre niveau de connaissance (et surtout de raisonnement) travaillent...nous avons sans doute raté quelque chose quelque part :)
Quant à une pseudo élite ...
Merci à tous pour vos réponses. En repassant par là, je souhaite apporter une rapide réponse.
A ceux qui me demandent pourquoi je tartuffise dans les grandes Université Anglo-Saxonnes, la réponse est simple: le po-gnon. Je suis plus payé ici en début de carrière que je ne le sera jamais en fin de carrière en France. Malgré tout, je suis prêt à rentrer en France dès que j'aurai l'opportunité d'avoir un poste et de voir mon salaire immédiatement divisé par 3.
Et effectivement, je n'oublie pas que je suis un privilégié du système quoiqu'il arrive.
(En passant Nicolas: ce n'est pas la science qui s'occupe de la Vérité, c'est la religion.)
Bien à vous
les auteurs du classement de shanghai ont bien précisé que le dit classement n'était pas objectif et qu'il fallait étudier le détail des critères pris en compte pour bien l' interpréter. Ces même auteurs reconnaissent qu'il y a des biais en faveur de certains type d'universités.
source: "Academic ranking of world universities – methodologies and problems"
Faux! Étudiant en ingénieur civil électricien/électronicien, je peux témoigner que les cursus scientifiques en Belgique sont de plus en plus donnés en anglais. Mon master est d'ailleurs "full english": Cours ex-cathedra en anglais, notes de cours en anglais, livre de référence en anglais, ect ... . Nos professeurs sont obligés de publier en anglais.
Les études scientifiques en Belgique s'anglicisent et j'en suis la preuve vivante. J'avais un piètre niveau en anglais en rentrant à l'université, mais je n'ai eu aucun mal à suivre les débats des élections européennes où les candidats s’exprimaient en anglais car j'ai travaillé très dur mon anglais pour pouvoir suivre mes cours. ^^
De plus, dans le même paragraphe, cette phrase de l'auteur montre qu'il réagit dans un cadre plus général que les sciences humaines:
<Début de la citation> Elle pointe à la 14ème position, avec un seul établissement, l'ENS. French bashing ? Non, osons un néologisme : French burying. La ringardisation scientifique de la France, avec ses « grandes écoles » squelettiques, où le mot recherche est un mot grossier, et ses prochains mastodontes à 100 000 étudiants dont on ne sait comment ils seront pilotés, est donc bien confirmée. <Fin de la citation>
Donc mon exemple des études scientifiques est tout à fait pertinent.
@kalvin: Les universités qui travaillent en anglais ne le font pas toujours de bon cœur, mais elles pensent que c'est un plus.
Pour les chercheurs, l'avantage de travailler en anglais est évident: c'est bien bon d'être excellent dans son domaine, mais à quoi ça sert si personne ne lit votre travail? Qui va lire un chercheur suédois qui publie en suédois?
Les chercheurs ont donc besoin d'une langue commune pour diffuser leur travail et faire en sorte qu'il soit compris par le plus de monde du secteur. Les universités qui refusent de s'angliciser s'isolent internationalement. C'est aussi simple que cela.
Pour les étudiants, l'avantage des études en anglais me semble aussi évident: internationalisation de notre formation. Avec le passeport européen qui donne libre accès au marché du travail européen, une langue commune permettra plus facilement les émigrations et de mieux profiter de l'ensemble du marché de l'emploi européen auquel notre passeport nous donne accès.
Dans de plus en plus d'entreprises qui s'internationalisent avec la mondialisation, on est amené à travailler avec des entreprises étrangères. Ce qui nécessite encore une langue commune et l'anglais s'impose encore une fois.
Pour les ingénieurs on n'est pas embauché en Belgique si on n'a pas un niveau suffisent en anglais. C'est d'ailleurs des tables de discussion entre le monde patronal et le monde universitaire qui ont amené à angliciser nos cursus. L'obligation des chercheurs de travailler en anglais est antérieure à ces tables de discussion.
Tout ceci m'amène à penser l'anglicisation du monde universitaire est un plus.
Un ex-enseignant-chercheur qui connaît trop bien la triste réalité du terrain…