Appel pour une vie décente des cacaoculteurs

OPINION. Le chocolat, gourmandise occasionnelle pour certains ou plaisir quotidien pour d'autres, est un habitué de nos caddies. Lorsqu'on passe à la caisse, la tablette - que l'on paie en moyenne entre 1,5 et 3 euros - représente 2 à 3 fois plus que ce que gagne un cacaoculteur d'Afrique de l'Ouest en une journée de travail (0,78 dollar/jour(1)). Cette pauvreté est la cause profonde d'autres abus qui se cachent derrière nos tablettes : déforestation, épuisement des sols, travail des enfants. Aujourd'hui, nous lançons un appel transpartisan à la France, pour développer des chaînes d'approvisionnement durables, permettant aux producteurs et productrices de gagner un revenu vital et de vivre dans des conditions décentes.
(Crédits : Reuters)

Fin mai, certains d'entre nous sont partis avec l'ONG de commerce équitable Max Havelaar France en Côte d'Ivoire, premier pays producteur de cacao, pour découvrir les enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la filière. À travers des rendez-vous institutionnels, des visites de coopératives et des rencontres de producteurs, nous avons pu mieux comprendre les défis auxquels font face 1 million de cacaoculteurs ivoiriens qui produisent 40% du cacao mondial. 77% d'entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté (2), alors que l'industrie du chocolat pèse plus de 100 milliards de dollars. De la cacaoyère au supermarché, la valeur ajoutée produite par la transformation de la fève de cacao en tablette de chocolat échappe largement à ceux et celles qui la produisent, qui est captée à 80% par les transformateurs, fabricants et distributeurs (3).

La pauvreté endémique de la grande majorité des cacaoculteurs est à la racine de presque tous les problèmes socio-économiques et environnementaux de la filière : déforestation, travail des enfants, appauvrissement des sols, abandon de la culture cacaoyère. Le couvert forestier de la Côte d'Ivoire a diminué d'environ 90% au cours des 60 dernières années (4), principalement à cause de l'agriculture - le cacao étant l'une des principales cultures (5). Dans ce pays, les ¾ des enfants travaillant dans le secteur du cacao sont exposés aux pires formes de travail des enfants (défrichage, utilisation d'outils tranchants, longs horaires, exposition directe et sans protection à des pesticides ...). Or, dans un contexte de précarité extrême, le travail des enfants n'est pas un choix ou une aide ponctuelle familiale, mais une nécessité pour se nourrir. L'école devient alors un rêve qui s'éloigne chaque année.

Face aux prix du marché trop bas, issus de la spéculation et déconnectés des coûts réels de production, le commerce équitable garantit un prix minimum aux cacaoculteurs couvrant les coûts de production et verse une prime de développement supplémentaire à la coopérative pour des projets communautaires (école, centre de fermentation pour les fèves, forages d'eau, etc.). Nous avons pu percevoir quelle différence le paiement d'un prix équitable pour la fève de cacao avait sur les conditions de vie des cacaoculteurs et sur les pratiques agricoles : mise en place de parcelles en agroforesterie et de systèmes de diversification de cultures et donc des revenus, conversion en agriculture biologique, traçabilité de la fève de la coopérative jusqu'à la parcelle, projets d'implication des femmes dans la gouvernance de la coopérative, etc.

Bien que spécifiques à la culture du cacao, les défis auxquels font face les producteurs ne sont pas sans rappeler ceux auxquels font face nos agriculteurs et agricultrices en France et en Europe. Partout, la question du revenu est centrale. La juste rémunération est non seulement un droit humain (6), mais c'est également la condition sine qua non de filières agricoles durables.

La France et l'Union européenne se penchent de plus en plus sur la régulation du commerce mondial pour réduire son impact sur les droits humains, l'environnement et rééquilibrer les relations commerciales. Les pays consommateurs ont la responsabilité de créer un environnement favorable à la structuration de chaînes de valeur équitables, où les agriculteurs, premiers maillons de la chaîne, reçoivent le prix juste leur permettant de vivre dans des conditions décentes.

Nous, parlementaires, appelons à une réglementation qui favorise des relations commerciales équitables rémunérant au juste prix les producteurs en France et dans le monde.

Ainsi, la France devrait défendre l'inclusion du droit à un revenu vital (7) dans les discussions que mènent le Conseil et le Parlement européens sur la future directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Les entreprises auraient ainsi la responsabilité de s'assurer que leurs stratégies et leurs pratiques commerciales (notamment la fixation des prix) sont adaptées pour permettre aux agriculteurs de gagner dignement leur vie.

La France devrait également signer la Déclaration commune pour le salaire vital et le revenu vital déjà signée par l'Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

Ces deux engagements à court terme seraient un premier pas vers la prise en compte des prix rémunérateurs dans la structuration de chaînes de valeur durables, et de meilleures conditions de travail et de vie pour les producteurs et productrices en France et dans le monde.

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(*) Signataires :

1. Anne-Laure Babault, députée de Charente-Maritime, Démocrate
2. Pascal Lavergne, député de Gironde, Renaissance
3. Gérard Leseul, député de Seine-Maritime, Socialistes et apparentés
4. Damien Adam, député de Seine-Maritime, Renaissance
5. Joël Aviragnet, député de Haute-Garonne, Socialistes et apparentés
6. Géraldine Bannier, députée de Bayenne, Démocrate
7. Christian Baptiste, député de Guadeloupe, Socialistes et apparentés
8. Marie-Noël Battistel, députée d'Isère, Socialistes et apparentés
9. Mickaël Bouloux, député d'Ille-et-Vilaine, Socialistes et apparentés
10. Pascale Boyer, députée des Hautes-Alpes, Renaissance
11. Guy Bricout, député du Nord, Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires
12. Philippe Brun, député de l'Eure, Socialistes et apparentés
13. Stéphane Buchou, député de Vendée, Renaissance
14. Elie Califer, député de Guadeloupe, Socialistes et apparentés
15. Eléonore Caroit, députée Français de l'étranger, Renaissance
16. Alain David, député de Gironde, Socialistes et apparentés
17. Arthur Delaporte, député du Calvados, Socialistes et apparentés
18. Stéphane Delautrette, député de Haute-Vienne, Socialistes et apparentés
19. Inaki Echaniz, député des Pyrénées-Atlantiques, Socialistes et apparentés
20. Olivier Faure, député de Seine-et-Marne, Socialistes et apparentés
21. Emmanuel Fernandes, député du Bas-Rhin, France insoumise
22. Guillaume Garot, député de Mayenne, Socialistes et apparentés
23. Joël Giraud, député des Hautes-Alpes, Renaissance
24. Jérôme Guedj, député d'Essonne, Socialistes et apparentés
25. Johnny Hajjar, député de Martinique, Socialistes et apparentés
26. Yannick Haury, député de Loire-Atlantique, Renaissance
27. Chantal Jourdan, députée de l'Orne, Socialistes et apparentés
28. Marietta Karamanli, députée de Sarthe, Socialistes et apparentés
29. Fatiha Keloua Hachi, députée de Seine-Saint-Denis, Socialistes et apparentés
30. Luc Lamirault, député d'Eure-et-Loir, Horizons et apparentés
31. Sandrine Le Feur, députée du Finistère, Renaissance
32. Nicole Le Peih, députée du Morbihan, Renaissance
33. Éric Martineau, député de Sarthe, Démocrate
34. Sophie Mette, députée de Gironde, Démocrate
35. Bruno Millienne, député des Yvelines, Démocrate
36. Paul Molac, député du Morbihan, Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires
37. Louise Morel, députée du Bas-Rhin, Démocrate
38. Philippe Naillet, député de la Réunion, Socialistes et apparentés
39. Hubert Ott, député du Haut-Rhin, Démocrate
40. Jimmy Pahun, député du Morbihan, Démocrate
41. Patrice Perrot, député de la Nièvre, Renaissance
42. Bertrand Petit, député du Pas-de-Calais, Socialistes et apparentés
43. Maud Petit, députée du Val-de-Marne, Démocrate
44. Anna Pic, députée de la Manche, Socialistes et apparentés
45. Christine Pires Beaune, députée du Puy-de-Dôme, Socialistes et apparentés
46. Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, Socialistes et apparentés
47. Valérie Rabault, députée du Tarn-et-Garonne, Socialistes et apparentés
48. Richard Ramos, député du Loiret, Démocrate
49. Claudia Rouaux, députée d'Ille-et-Vilaine, Socialistes et apparentés
50. Benjamin Saint-Huile, député du Nord, Libertés, Indépendants, Outre-Mer et Territoires
51. Isabelle Santiago, députée de Val-et-Marne, Socialistes et apparentés
52. Hervé Saulignac, député d'Ardèche, Socialistes et apparentés
53. Mélanie Thomin, députée du Finistère, Socialistes et apparentés
54. Cécile Untermaier, députée de Saône-et-Loire, Socialistes et apparentés
55. Boris Vallaud, député des Landes, Socialistes et apparentés
56. Roger Vicot, député du Nord, Socialistes et apparentés
57. Nicolas Forissier, député de l'Indre, Les Républicains
58. Laurence Heydel-Grillere, députée de l'Ardèche, Renaissance
59. Benoît Bordat, député de Côte d'Or, Renaissance

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(1)  Baromètre du cacao 2022, VOICE, 2022.

(2) Cocoa farmer income: The household income of cocoa farmers in Côte d'Ivoire and strategies for improvement, True Price et Fairtrade International.

(3) Étude comparative de la répartition de la valeur au sein des filières européennes de cacao-chocolat, FAO et BASIC, 2020.

(4) Données entre 1960 à 2018 de la Banque mondiale compilées par le ministère en charge de l'environnement ivoirien.

(5)  Une étude de l'université UCLouvain révèle qu'entre 2000 et 2019, 2,4 millions d'hectares de forêt en Côte d'Ivoire ont été remplacés par des cacaoyères. Le cacao serait donc responsable de 45% de la déforestation sur cette période. Source : Transparency, traceability and deforestation in the Ivorian cocoa supply chain Cécile Renier, Mathil Vandromme, Patrick Meyfroidt, Vivian Ribeiro, Nikolai Kalischek and Erasmus K H J Zu Ermgassen, Published 31 January 2023

(6) Toucher une rémunération vitale est reconnu comme un droit humain par les Nations Unies d'après les articles 23 et 25 de la Déclaration universelle des droits humains.

(7) Déclaration commune pour le salaire et le revenu vital version de juin 2023.

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Commentaire 1
à écrit le 13/10/2023 à 15:08
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Une belle intention imposée par un besoin vital de redonner du sens au travail mais hélas mille fois hélas, tandis qu'on nous disait que la mondialisation permettrait d'égaliser les citoyens du monde entier par le haut c'est bel et bien par le bas, c...

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