Brexit : en revenir aux solidarités de fait

Il est temps, au-delà des constructions institutionnelles « baroques » créées au fil des années, de revenir aux principes fondateurs de l'Europe: des "réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ». Par Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po

Le vote en faveur du « Brexit », le 23 juin, a créé la stupeur au sein de l'Union européenne. Jusqu'au dernier moment, David Cameron, le premier ministre britannique, et ses pairs européens espéraient que le vote en faveur du « Remain » l'emporterait, et que tout continuerait comme avant. Mais les Européens avaient sous-estimé la lame de fond en faveur du « Leave » portée par le désir de retrouver davantage de souveraineté et de bloquer les frontières face à l'afflux de migrants en provenance du Sud et de la main d'œuvre originaire d'Europe de l'Est.

 Une puissance politique et économique de premier rang

Dans ce cadre, malgré l'éclatement du système politique britannique, le renoncement de Boris Johnson à concourir pour Downing Street, la démission de Nigel Farage du parti nationaliste UKIP ou les tergiversations européennes, l'heure n'est plus à l'indécision : les Britanniques ont voté en faveur de la sortie de l'Union européenne, et le prochain Premier ministre britannique devra l'appliquer en négociant avec Bruxelles. Cependant, le Brexit ne doit pas faire oublier une vérité première : le Royaume-Uni, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies, puissance nucléaire, première place financière mondiale, est une puissance politique et économique de premier rang. Même si les Britanniques doivent quitter les institutions européennes, il est primordial, pour les deux parties, Londres et Bruxelles, que la négociation du Brexit ne soit pas une rupture, mais plutôt un divorce par consentement mutuel. La réussite de ce divorce suppose trois conditions.

Trois conditions pour un divorce réussi

 La première est la volonté des deux parties de ne pas afficher les désaccords politiques au grand jour, mais au contraire de faire prévaloir les intérêts communs construits depuis l'adhésion du Royaume-Uni à l'Union européenne en 1973. De ce point de vue, la préservation des accords de défense franco-britannique, notamment les accords de Lancaster House de 2010, est un sujet majeur, tout particulièrement pour la France qui se retrouvera isolée sur les questions de défense au sein de l'Union européenne.

 La deuxième condition est de poursuivre les « réalisations concrètes » entre le Royaume-Uni et l'Europe, pour reprendre la Déclaration Schuman de 1950, et notamment l'ensemble des chaines de valeur industrielles construites au fil du temps. Airbus construit les ailes de ses avions en Grande-Bretagne en employant 15.000 salariés directs et près de 100.000 employés indirects. Des accords franco-britanniques prévoient d'élaborer conjointement un drone de combat. Les usines de General Electric escomptent exporter les éoliennes assemblées au Royaume-Uni en Europe.

Les grands projets industriels doivent être poursuivis. C'est ainsi le cas, par exemple, du projet des EPR d'Hinkley Point. Rappelons à cet égard, qu'en fait de réalisation concrètes, EDF est le premier énergéticien britannique, et qu'il exploite 15 réacteurs nucléaires au Royaume-Uni. La construction de deux EPR à Hinkley Point représente un investissement de 16 milliards d'euros. Ce projet, validé par la Commission européenne en 2014, doit recevoir l'approbation, dans les prochains jours, du gouvernement français et du conseil d'administration d'EDF. Il est primordial que ce projet soit maintenu, notamment pour permettre à la filière nucléaire française de concrétiser ses espoirs à l'exportation, après les performances difficiles d'Areva en Finlande.

 Un tournant européen

Enfin, la troisième condition est le nécessaire aggiornamento que l'Union européenne doit réaliser. Le Brexit est un tournant européen, probablement le plus important depuis la chute du mur de Berlin et l'élargissement à l'Est. Les dirigeants européens doivent saisir l'opportunité du Brexit pour refonder l'Europe autour de principes de subsidiarité clairs entre les Etats nations et l'échelle européenne, tout particulièrement au sein de la zone euro et sur les questions migratoires. Il est temps, au-delà des constructions institutionnelles « baroques » créées au fil des années, de revenir aux principes fondateurs du 9 mai 1950 : « l'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait ».

 Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po, est membre du conseil scientifique de la Fondapol

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