Concilier protection du littoral et développement humain  : la quadrature du cercle  ?

OPINION. L'immobilier en bord de mer ne connaît pas la crise. La bonne santé du marché immobilier du littoral, alors que les voyants sont au rouge partout ailleurs, est un signe qui ne trompe pas. Un mouvement puissant et inexorable est à l'œuvre : la démétropolisation, pour reprendre une expression du célèbre géographe Christophe Guilluy. Ce mouvement s'accélère depuis la crise sanitaire et invite à de solides réflexions sur l'aménagement du territoire dans ces territoires en bord de mer. Par Loic Rousselle, porte-parole national et membre du bureau politique du parti Écologie au Centre.
Sentier du littoral qui longe la cote bretonne, à Locmaria-Plouzane (Finistère) en Bretagne.
Sentier du littoral qui longe la cote bretonne, à Locmaria-Plouzane (Finistère) en Bretagne. (Crédits : Reuters)

Le phénomène de fuite des grandes métropoles surpeuplées vers l'horizon dégagé et le grand air du littoral porte désormais un nom : la littoralisation du territoire. Ce phénomène est accentué par le processus de séniorisation de nos sociétés occidentales, ainsi que par le changement climatique. Le climat des bords de mer est bien entendu de plus en plus apprécié dans ce contexte, notamment certaines zones particulièrement stratégiques, comme la Bretagne et la Normandie, qui bénéficient d'une fraîcheur plus prononcée en période estivale. Ce mouvement en cours est d'ailleurs identifié par les entreprises, qui se réorganisent géographiquement pour pouvoir attirer les meilleurs profils en leur proposant un cadre de vie attractif.

Depuis la crise du Covid-19, les régions littorales françaises sont en effet, de loin, les plus créatrices d'emplois. Une étude de la Banque des territoires, rendue publique en 2022, démontre bien cette transition : les territoires traditionnels de l'haliotropisme et de l'héliotropisme ne sont plus uniquement des espaces orientés vers l'économie de la villégiature, mais désormais préemptés par les entreprises : les régions de la façade atlantique et méditerranéenne surperforment ainsi, en termes de création d'emplois, par rapport au reste du pays.

Tirer les leçons des errements du passé

Les leçons de l'aménagement raté de certaines parties de la Côte d'Azur en France ou de la Costa Brava en Espagne ont été intégrées. Ce nouveau prisme a des conséquences positives pour les bords de mer préservés : on n'y construit peu afin de préserver l'esthétique des lieux. Le corollaire de cette parcimonie immobilière est une logique déséquilibre de l'offre et de la demande qui tire les prix vers le haut. Avec pour effet délétère un phénomène d'éviction des populations locales par de nouveaux arrivants disposant de plus grandes marges de manœuvre financières et pouvant, ponctuellement, créer des crispations à l'échelle communale aussi liées à la puissance des services de location courte-durée d'appartements.

La question de l'aménagement équilibré du littoral est aiguë car, en France, les 885 communes littorales accueillent plus de 10 % de la population pour seulement 4 % de la surface globale du territoire, selon les données les plus récentes du Commissariat général au développement durable. Un taux en hausse constante, qui s'inscrit dans un contexte de saturation déjà visible de certaines zones. Une situation qui oblige aussi à tendre vers les meilleurs arbitrages possibles entre la préservation de la nature et des activités économiques traditionnelles, notamment halieutiques, et le nécessaire développement humain. Un jeu d'équilibriste rendu encore plus délicat par la nécessité de préserver l'accessibilité du littoral pour tous, d'ailleurs exigé par une loi qui garantit le droit de passage le long de la côte : la servitude de passage.

Entre l'intransigeance de certaines ONG, très minoritaires en réalité, qui aimeraient interdire l'accès à la nature pour mieux la protéger et la nécessité de faire respecter la servitude de passage, le rôle des élus est particulièrement complexe. Si l'intention de ces ONG est louable en apparence, l'interdiction de l'accès à la nature peut sembler contre-productive pour en assurer sa protection. Car finalement, comme le soulignait le philosophe Roger Scruton, la clé d'une protection de l'environnement réussie réside dans l'implication des populations locales et donc dans leur attachement à leur territoire. Cet attachement ne pouvant vraiment prendre corps qu'à la condition que la population soit sensibilisée à son esthétique et à ses traditions. Et comment être sensibilisé à l'esthétique de la nature si son accès est interdit ? Une rivière bretonne, qui fait aujourd'hui l'objet de discussions animées sur un projet d'aménagement d'un sentier littoral, souligne la complexité de ces problématiques.

À Crac'h, une rivière bretonne comme laboratoire de tous ces enjeux

L'aménagement de la rivière du Crac'h entre Lorient et Vannes concentre toutes les problématiques liées à la littoralisation. Il s'agit de l'une des régions les plus dynamiques de France en ce qui concerne les créations d'emplois. Elle abrite une nature sauvage et préservée qui cohabite avec une population humaine en croissance régulière. La biodiversité y est particulièrement riche avec une soixantaine d'espèces d'oiseaux identifiées, dont 26 protégées, des continuités écologiques exceptionnelles ainsi que des biotopes très variés, en particulier au sein des zones humides. N'ignorons pas que c'est la multiplicité des biotopes sur un espace naturel qui conditionne en grande partie sa biodiversité animale et végétale.

L'aménagement d'un sentier touristique littoral sur cette zone, au ras de l'eau, cristallise toutes les passions. Les associations de protection de l'environnement locales exigent ainsi un retracement du sentier d'une longueur de 50 kilomètres afin de contourner les espaces naturels les plus préservés, tout comme les ostréiculteurs, qui craignent de voir leur activité menacée. Certains habitants, minoritaires, des communes des alentours en exigent la réalisation. Un arbitrage équilibré doit être trouvé pour concilier les impératifs économiques, notamment halieutiques et le tourisme, avec la protection de la nature. L'aménagement de ce sentier doit respecter cette richesse biologique, mais aussi le patrimoine historique puisque le tracé doit relier la rivière de Crac'h, le site archéologique de Carnac et La Trinité-sur-Mer. Gageons qu'un dialogue efficace et des compromis raisonnables permettront de mettre tout le monde d'accord en ne perdant pas de vue le plus important : le littoral est un bien commun.

La question de Crac'h se pose déjà ailleurs en France et se posera encore plus demain, partout sur le territoire, et non seulement sur les zones littorales. Un cadre de bonne pratique doit être posé, adaptable au plus petit échelon, afin de permettre l'adaptation des zones littorales aux grands enjeux sous-jacents auxquels elles font face et, surtout, à la préservation de sa biodiversité.

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Commentaire 1
à écrit le 03/02/2024 à 19:27
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Il faut trouver un risque de tsunami important sur l'océan, un gros bien sûr sinon ils vont encore plus rappliquer les répliquants, je suis sûr que ça doit exister.

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