Covid-19  : une opportunité pour l'Afrique du Nord ?

OPINION. Si la crise sanitaire affecte les pays africains à des degrés divers, le changement qu'elle induit est propice, notamment pour les pays de l'Afrique du Nord, au lancement de profondes réformes structurelles pour diversifier leurs économies, notamment pour l'ensemble du secteur financier. (*) Par Mariem Brahim, enseignante-chercheuse à Brest Business School.
Manifestations contre le président tunisien Kais Saied. Sur fond d'agitation sociale sporadique ou profonde selon les pays, la région d'Afrique du Nord subit une chute des revenus, avec des économies qui tournent au ralenti.
Manifestations contre le président tunisien Kais Saied. Sur fond d'agitation sociale sporadique ou profonde selon les pays, la région d'Afrique du Nord subit une chute des revenus, avec des économies qui tournent au ralenti. (Crédits : Reuters)

Sur fond d'agitation sociale sporadique ou profonde selon les pays, la région d'Afrique du Nord est secouée par deux crises apparemment distinctes. Alors que le virus s'est répandu, les prix du pétrole se sont effondrés. D'un côté, les recettes des pays exportateurs et les comptes budgétaires de ceux qui exportent des hydrocarbures ont chuté ; de l'autre, toutes les économies sont au ralenti.

De plus, à l'échelle mondiale, les chaînes de valeur ont été totalement perturbées, la demande s'est effondrée, qu'elle soit énergétique ou touristique. Cette crise très particulière a en effet provoqué un double choc : d'offre et de demande et les effets pour les pays africains dépendront de l'étendue de leur exposition au commerce international, au tourisme, aux IDE (investissements directs étrangers) et du degré de verrouillage.

D'autre part, l'impact de l'épidémie du Covid-19 peut encore accroître les disparités et inégalités structurelles dans la région, en plus d'aggraver l'instabilité politique, voire la fragilité de certains pays. La pandémie a en effet perturbé bien des processus politiques. Cette crise sanitaire s'est propagée à un moment où la croissance économique s'était affaiblie dans la plupart d'entre eux, en grande partie à cause de la crise économique de 2008, des mauvaises récoltes, de la chute spectaculaire des prix du pétrole (l'Algérie), de l'insécurité après les mouvements de printemps 2011 (due en partie aux attaques terroristes périodiques) et d'un environnement politique globalement fragile.

Compte tenu de cette situation, déjà fort problématique, il convient donc de se demander quelles sont les conséquences de l'épidémie pour les pays d'Afrique du Nord et quelles mesures sont à prendre pour non seulement en amortir les chocs, passés, présents et à venir mais aussi pour sortir ces pays d'un marasme économique durable. L'enjeu est donc de savoir comment les stratégies de relance de la croissance peuvent tirer profit de ces transformations qui ont connu une accélération notoire suite à la pandémie.  Ainsi l'Afrique du Nord a-t-elle besoin de profondes réformes structurelles pour diversifier son économie. Il est nécessaire d'améliorer la compétitivité en remédiant aux distorsions des taux de change. Les décideurs devraient aligner les politiques de change sur leur structure économique et soutenir l'effort de transformation structurelle.

Faciliter d'urgence les transferts de fonds des migrants

Dans ce vaste mouvement réformateur, il est un domaine qui ne doit pas être délaissé : c'est celui des transferts de fonds des migrants. Leurs coûts sont beaucoup trop élevés pour qu'ils passent par les canaux officiels, sans frais et avec un avantage de change. A l'inverse, certains opérateurs pratiquent des coûts exorbitants profitant du fait que de nombreux migrants ne disposent pas d'un compte en banque.

D'autre part, par delà le blanchiment, se profile l'hypothèse d'un financement du terrorisme. C'est donc une perte de liquidités pour les banques de la région et la cause d'un déséquilibre chronique des taux de change en raison de l'existence d'un taux de change parallèle. Il faut donc impérativement réduire ces coûts élevés et, surtout, fournir des services financiers aux migrants et à leur famille, notamment dans les zones rurales. Avec à terme une meilleure inclusion financière.

Pour ce faire, s'impose la nécessité de la mise en place d'un nouveau cadre financier faisant la part belle à la bi-bancarisation, c'est-à-dire la possibilité, à meilleur coût, de bénéficier de services bancaires tant dans son pays d'accueil que dans son pays d'origine. Par l'augmentation des transferts « officiels », cette dernière est à la fois un instrument de financement des pays en voie de développement, un outil d'inclusion financière et un facteur favorisant l'implication des diasporas dans les relations Nord-Sud.

Or, à l'heure actuelle, l'autorisation de commercialisation en France (Loi n°2014-773 du 7 juillet 2014) a été accordée uniquement à deux établissements marocains : la Banque Centrale Populaire et Attijariwafa bank. En cette période de crise sanitaire qui a entraîné la fermeture des frontières, jamais les envois de fonds des migrants n'ont été si nécessaires pour pallier, dans les pays de la région, les méfaits de la crise économique qui a touché tous les secteurs : tourisme, exportations, IDE... Jamais, ce flux n'a été si indispensable pour venir en aide aux familles les plus vulnérables, en particulier celles qui n'ont pas accès aux filets de sécurité économiques et sociaux.

Dans ce cas, il est important de prévoir la suppression des frais de transfert en période de crise économique ou sanitaire, comme le cas actuellement avec le COVID-19, afin d'encourager les migrants à passer par les canaux officiels pour aider leur famille en envoyant de l'argent, plutôt que par des canaux informels.

Le secteur financier peut également jouer un rôle dans ce processus de diversification, et de ce point de vue, le Maroc et la Tunisie ont un avantage à développer certains secteurs stratégiques tels que le tourisme, les télécommunications ou l'industrie agroalimentaire. Mais il faut aussi que les familles récipiendaires de ces fonds puissent (ou veuillent) participer aux différents investissements de développement par le biais de la micro-finance. Il faut concevoir des politiques visant à canaliser les envois de fonds vers des investissements à long terme.

Promouvoir des investissements publics bien ciblés pour une relance rapide et inclusive

Il est primordial de bien élaborer les investissements publics à destination d'un grand nombre de secteurs, y compris le secteur de l'éducation et le secteur TIC car plusieurs objectifs s'imposent :

(i) La mise en place de programmes de formations, notamment pour les diplômés de l'université se trouvant en situation de chômage dans les régions, permettrait d'obtenir des experts en technologies numériques.

(ii) La mise en place d'une infrastructure digitale essentielle entrainerait le rétrécissement de la fracture numérique entre les régions.

(iii) L'instauration d'une collaboration permettrait l'émergence d'une plus grande solidarité entre les régions et une meilleure amélioration de la cohésion sociale. Les micro-entreprises et coopératives procurant des services de transport pourraient faciliter l'apparition de dynamiques économiques régionales grâce aux investissements publics touchant le secteur du « transport » et spécialement le transport rural.

Investir dans le capital humain

La huitième transition doit cibler la valorisation de nombreux paramètres macroéconomiques et structurels. En premier lieu, le capital humain qui reste le facteur essentiel permettra de fournir des solutions efficaces, fiables et rentables pour une relance économique durable. Il s'agit de fournir un soutien technique et une connaissance du marché grâce à des formations adaptées à l'offre des marchés. L'offre du système éducatif doit être cohérente avec les avantages comparatifs révélés et latents ainsi qu'avec les défis de la mondialisation. Le modèle de développement élaboré par les offres de formation doit tenir compte des défis de productivité dans l'agriculture et l'agro-industrie, l'auto-entrepreneuriat et les sciences. Ce modèle doit être édifié en se basant sur une classe moyenne forte et économiquement résistante.

Promouvoir l'investissement privé dans les pays d'Afrique du Nord

En neuvième lieu, il conviendrait d'accompagner les entreprises et de soutenir leur activité. En cinquième lieu, la promotion de l'investissement privé dans les pays d'Afrique du Nord doit s'appuyer sur la monétisation des instruments bancaires de type Stand By Letter Of Credit (SBLC) ou Bank Garantee (BG). Ils seraient émis par les banques internationales de premier rang au profit des porteurs de projets et des entreprises du secteur privé en Afrique du Nord.

Accélération de la RSE

Cette priorité a pour objectif la mise en place dans les pays d'Afrique du Nord d'un business model RSE des banques. En effet, les initiatives de RSE sont généralement des efforts individuels à petite échelle. Ces activités n'abordent pas les défis de manière globale et n'apportent pas l'étendue des ressources et de l'expertise nécessaires. Seules quelques entreprises, notamment des multinationales, tentent d'adopter une vision systémique et à long terme des problèmes sociaux qu'elles essaient de résoudre. Récemment, certaines grandes entreprises ont lancé des associations de collaboration qui sont des instruments d'action collective sur les questions clés du développement durable.

C'est pourquoi il faut voir dans l'épidémie actuelle une opportunité, un accélérateur, notamment dans la banque de détail et pas seulement pour accélérer la dématérialisation de l'économie et du secteur bancaire. Les banques sont agiles, jeunes et s'adaptent à l'environnement, elles sont donc mieux intégrées à l'économie et donc, à la politique économique. Les banques sont engagées dans la finance durable, inclusive et la digitalisation serait l'outil accélérateur de cette orientation sociétale de la banque.

Qu'en est-il dans le continent africain dont les banques sont moins disposées à se retirer de leur sphère de confort pour prendre le risque d'investir dans des pratiques pour l'essentiel responsables ? L'application de pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) améliorées permet pourtant aux entreprises, d'une part de restreindre les externalités négatives de leurs activités (par exemple en luttant contre la pollution des eaux usées ou les accidents de travail), et d'autre part d'intensifier leur effet positif sur le développement (par exemple en mettant en place une assurance santé pour les employés ou leur famille). Si elles consentent à investir en amont (études d'impact, audits, moyens humains), elles peuvent en retirer d'importants bénéfices à l'international sur les marchés.

En ce sens, la Tunisie a montré la marche à suivre. Les impacts de la révolution de 2011 et les mouvements sociaux qui l'ont suivie n'ont pas été les mêmes dans toutes les entreprises. Autant certaines ont été en quelque sorte protégées par leurs propres salariés, d'autres ont subi de forts mouvements de protestation. Quelle que soit la situation, la corrélation entre l'économique, le social et le sociétal s'est avérée évidente pour les entrepreneurs tunisiens délaissés par leur principal appui politique. Les effets néfastes sur la société comme l'exclusion, le chômage, les inégalités régionales et la corruption sont apparus comme une évidence flagrante de la gestion des entreprises.

Soutenir le bon fonctionnement des marchés financiers

En mettant en place des instruments financiers spécifiques, comme des lignes de swap dédiées, la BCE pourrait premièrement apporter des liquidités aux pays du Sud. Deuxièmement, des émissions de droits de tirage spéciaux par le FMI pourraient assurer rapidement le financement des investissements de court et de moyen-terme nécessaires (DTS, Ocampo, 2019).

Créés en 1969 par le FMI, les DTS sont des avoirs de réserve complémentaires et sont considérés comme des unités de compte du FMI. Le DTS constitue un nouvel actif de réserve international et sa valeur est calculée en fonction d'un panier de devises (le dollar, l'euro, le renminbi, le yen et la livre sterling). Les accords d'échange bilatéraux permettent aux détenteurs de DTS de se procurer des devises. L'allocation de DTS est donc un moyen de prévenir les crises de change au niveau mondial. De nouvelles émissions de DTS pourraient aussi constituer une solution pragmatique dans le contexte actuel de façon à aider plus massivement les pays en difficulté.

De cette façon, des financements sans conditionnalité (puisqu'il ne s'agirait pas de prêts à intérêts) seraient accessibles aux pays les plus affectés. Cette procédure permettrait aux pays d'Afrique du Nord de continuer à collaborer dans le cadre du commerce international malgré le risque de change. Elle permettrait également l'utilisation de leurs DTS pour remédier aux effets économiques et sociaux de la pandémie de COVID-19. Souvenons-nous que les DST ont joué un grand rôle lors de la crise en 2009 quand les liquidités venaient à manquer.  Troisièmement, tous les pays de la région Afrique du Nord ont intérêt à envisager une harmonisation de leurs lois en matière d'investissement et de commerce. Il est tout autant de leur intérêt d'harmoniser également leurs normes comptables, y compris en matière de promotion de convertibilité en devises. Cette harmonisation est essentielle pour encourager l'intégration financière, ce qui favoriserait les investissements étrangers.

L'extraversion monétaire

La quinzième priorité, compte tenu de l'endettement de ces pays, traite de la mise en place d'une politique monétaire non conventionnelle et d'un recours à l'assouplissement monétaire. Associé à une titrisation des revenus futurs, ce dernier (Targeted Quantitative Easing) permettrait de mieux fixer les objectifs de développement et de mieux discipliner les finances publiques. Il conviendrait aussi de le compléter par un plan de relance pour la mise en place d'un nouveau processus de développement régional. Avec cette création monétaire, le financement de l'investissement serait mieux ciblé et se substituerait aux dépenses courantes et de consommation.

Soutenir la micro-finance

La micro-finance est considérée aujourd'hui comme un levier essentiel pour faciliter l'inclusion financière des pays d'Afrique du Nord. Contrairement au microcrédit, son champ d'actions es beaucoup plus large. Elle peut viser une panoplie plus vaste de produits financiers et non financiers comme la micro-assurance, la micro-épargne, la formation financière ou les produits digitaux récents, à l'image des services de paiement mobile. De fait, intensifier les acteurs prestataires de services financiers, consolider les services non-financiers, mettre en place une réglementation adaptée sont essentiels pour éviter une crise du secteur. L'amélioration de la compétitivité saurait ainsi attirer de nouveaux investisseurs. Il est donc, urgent d'instaurer un nouveau cadre réglementaire évolutif stimulant la confiance qui sera le dynamisme fondamental du secteur.

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