En direct de la COP28 avec Bertrand Piccard : « C'était le seul accord possible, donc le meilleur »

LES TOPS ET LES FLOPS DE LA COP. Bertrand Piccard, président de la Fondation Solar Impulse, psychiatre et explorateur, auteur du premier tour du monde en ballon (1999) puis en avion solaire (2015-2016), tient ici la dernière chronique de cette quinzaine en direct de la COP28 à Dubaï aux Emirats Arabes Unis. Bonne nouvelle, après moults rebondissements, ce nouveau rendez-vous crucial pour l'avenir de notre planète s'achève sur un accord. Mais encore très insuffisant pour sauver le climat.
(Crédits : Solar Impulse Foundation - Peter Sandground)

En quittant la COP28, certains en auraient voulu plus et d'autres moins : plus ou moins de pressions sur les énergies fossiles, plus ou moins de soutien financiers aux pays les plus pauvres. On entend le mot « accord historique » côtoyer le « résultat catastrophique ».

Au bilan du succès, on trouve, pour la première fois, la mention des énergies fossiles dans le texte final d'une COP. La formulation fait bel et bien écho à la nécessité de nos économies de s'en affranchir « en transitionnant hors des énergies fossiles » pour garder le cap des 1,5°C auquel certains voulaient même renoncer. Le méthane est aussi visé. On encourage le triplement des énergies renouvelables, en soulignant leurs avantages économiques, et le doublement de la progression annuelle de l'efficience énergétique. De quoi réjouir ceux qui pensaient impossible d'obtenir mieux, et qui ont réservé une standing ovation à la présidence de Sultan Al Jaber. Conscient du poids de l'attention mondiale, il savait qu'un échec n'était pas une option.

Faux, rétorquent les autres, le texte est tellement vague qu'il permet toutes les interprétations et aucune action concrète. C'est un succès pour l'industrie pétrolière. On n'y parle pas de "phase out", d'abandon des sources fossiles. Il est fait mention d'avant ou autour du milieu du siècle pour obtenir les résultats souhaités, de particularités nationales, d'exceptions pour ceux qui ne pourraient pas décarboner plus rapidement, d'utilisation de carburants de transition, ouvrant ainsi la porte au gaz. Il s'agit de diminuer le charbon sans le supprimer ; de développer la capture et le stockage du carbone pour continuer l'exploitation des hydrocarbures, sans résoudre les problèmes de pollution de l'air. Le nucléaire revient en grâce comme une solution acceptable alors que son prix ne sera pas compétitif. Les subventions aux énergies fossiles restent autorisées lorsqu'il s'agit d'aider les plus pauvres, et la mobilisation du financement pour les pays en développement demeure imprécise.

Ces avis contrastés montrent bien qu'on ne pouvait pas tirer davantage, ni d'un côté, ni de l'autre. C'était le seul accord possible, et c'est donc le meilleur.

Il serait simpliste de catégoriser les acteurs en présence comme les bons ou les méchants. Nous sommes dans une tragédie grecque et non dans un scénario hollywoodien. Certains se sont engagés corps et âme dans la lutte climatique, d'autres de façon plus hypocrite, espérant secrètement que le résultat des négociations ne les poussent pas à trop d'efforts. Il y a aussi ceux qui continuent à polluer en mettant la faute sur le laxisme ambiant, et ceux qui ont le courage d'assumer s'opposer à l'abandon des énergies fossiles.

Imaginez-vous ministre d'un pays dont l'économie dépend à 85 % de ses hydrocarbures. Signeriez-vous à la COP28 l'arrêt de mort de votre production pétrolière ? Ce serait un suicide ! Comme le format onusien exige le consensus, on se retrouve souvent avec le plus petit dénominateur commun. La présidence doit jouer le rôle d'arbitre et maintenir une ambition compatible avec les intérêts divers.

Pour y arriver, il a fallu accepter un calendrier différencié en fonction du niveau de développement et de dépendance des pays aux hydrocarbures, ce qui se retrouve dans la formulation d'une transition « juste, ordonnée et équitable ». La Bolivie, lors du Majlis extraordinaire d'Al Jaber, cette tradition bédouine qui a vu tous les ministres assis en cercle sans hiérarchie, avait exhorté les parties présentes à considérer les différences nationales, l'Occident ayant aujourd'hui les moyens d'investir dans les énergies renouvelables et de diversifier son économie de manière bien plus ambitieuse que les pays du Sud.

Comme l'a dit Sultan Al Jaber lors de la plénière de clôture : « un accord ne vaut que par sa mise en œuvre ». C'est là qu'il va valoir se concentrer pour atteindre les objectifs de ceux qui en voulaient, à raison, bien davantage.

Comme il est visiblement difficile de freiner rapidement la production pétrolière, l'offre, agissons plutôt sur la réduction de la consommation, de la demande. Cela dépend totalement de nous, qui brûlons tout ce pétrole. Et c'est là qu'il y a le plus à gagner.

Si nous voulons vraiment concilier action climatique, protection de l'environnement, création d'emplois, développement économique et justice sociale, engageons résolument nos sociétés dans les renouvelables et l'efficience, avec une optimisation des ressources et une minimisation des pertes. Modernisons notre monde pour arrêter l'invraisemblable gaspillage qui justifie toute cette production d'énergie. La décarbonation deviendra alors la conséquence logique de cette modernisation, avec un bénéfice, plutôt qu'un sacrifice économique.

Certes, les acteurs du secteur pétrolier ont un rôle à jouer dans la transition, mais il est trop commode de leur déléguer toute la responsabilité, permettant ainsi d'éviter des actions beaucoup plus ambitieuses.

Voilà ce que nous devrions vraiment retenir de cette COP28.

Bertrand Piccard

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Commentaires 2
à écrit le 14/12/2023 à 8:09
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C'est ça c'est comme le capitalisme," le moins pire des systèmes", mais qui à force d'être le moins pire est devenu le pire.

à écrit le 14/12/2023 à 0:17
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Accord ou pas les décisions des COP ne sont pas contraignantes. Compte tenu des intérêts en jeu, les États feront le minimum côté contraintes.

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