« ESG » : grandeurs et misères du « S » comme Social

OPINION. Il est désormais acquis que la performance globale de l'entreprise est favorisée par ses performances Environnementales, Sociales et de Gouvernance. L'enjeu est de taille puisque l'excellence mesurée à l'aune de l'acronyme ESG conditionne de plus en plus l'accès aux financements. Elle est également devenue un facteur essentiel d'attractivité pour ses parties prenantes : clients, talents, salariés, fournisseurs... En Europe, le cadre réglementaire en construction demande que l'information extra financière offre les mêmes standards de qualité, de transparence et de comparabilité que la communication financière. Par Matthieu Belloir, Ancien directeur de la RSE du Groupe Orange, Fondateur de Conciliances et Expert Topics
(Crédits : DR)

Idéalement, la performance ESG devrait reposer sur un engagement équilibré dans les 3 domaines. Or, il n'en est rien. À l'ombre de l'omniprésence de la question climatique, le S fait figure de parent pauvre du triptyque extra financier. Son champ est pourtant fondamental. Il couvre à la fois la responsabilité sociale de l'entreprise qui porte essentiellement sur l'organisation de ses fonctionnements interne et externe et sa responsabilité sociétale qui renvoie aux impacts de son activité sur les individus et la société.

La relative désaffection dont pâtit le S s'explique par des raisons médiatiques, scientifiques et économiques.

« S » comme SOS

Il faut le reconnaitre, les enjeux environnementaux ont capté l'essentiel de l'ESG dans le débat public. La publication régulière des rapports du GIEC ou la médiatisation de vulgarisateurs de talent qui haranguent les amphis et assurent les shows télévisuels entretiennent la visibilité conséquente du risque climatique. Naturellement, c'est un signe positif de la prise de conscience de l'impact de nos modèles de sociétés sur l'environnement dont dépend tout simplement notre avenir. Mais cette omniprésence du sujet relègue la question sociale au second plan dans la hiérarchie ESG. Elle la condamne à chercher par tous les moyens à capter l'attention qui lui reste pour rappeler que E et S sont irrémédiablement liés. Le principe selon lequel il n'y a pas de performance écologique sans performance sociale a encore du chemin à faire. Dans ce contexte, le sujet avance par à coup.

Les mouvements sociaux se multiplient et se durcissent, un vent de défiance secoue les institutions et souffle sur l'entreprise. En France, l'alerte des gilets jaunes était pourtant claire : pas de lutte contre le dérèglement climatique sans prise en considération des impacts sociaux. Quelques mois plus tard, l'épidémie de COVID-19 a rappelé que la contribution des salariés au développement de l'entreprise était incontournable. Après une période de réclusion, le retour au bureau s'est accompagné d'un mouvement de questionnement sur le sens du travail qui a remis le projecteur Social sur les organisations. On en connait les conséquences : grande démission aux USA, quiet quitting, difficulté générale à recruter, débats sur le juste partage de la valeur, etc. Et que dire de la prise de conscience tardive de la fragilité de la chaine de valeur qui concentre une part importante du risque sociétal ?

L'autre raison du moindre poids du S dans l'ESG tient à sa mesure, infiniment plus aléatoire que celle du climat. Autant les émissions de CO2 peuvent être scientifiquement et quantitativement évaluées, autant la contribution de l'entreprise à la santé ou aux droits humains est difficile à mesurer. Certes, les Objectifs de Développement Durables (ODD) fournissent un cadre général qui rappelle à tous l'importance des enjeux sociaux et sociétaux, mais la normalisation est clairement plus aboutie sur l'Environnement. La réglementation financière et l'élan européen visant à orienter les flux vers la finance durable ne sont aujourd'hui solides que sur le pilier environnemental. Après le lancement laborieux de la taxonomie verte, la taxonomie sociale patine. Les grandes institutions reconnues au plan mondial et les cadres de reporting comme la TCFD, le CDP et SBTi qui comparent et valident la performance environnementale des entreprises n'ont pas encore leur équivalent dans le domaine sociétal.

L'appréciation hétérogène de la performance sociale des entreprises qui en résulte alimente logiquement une certaine méfiance des investisseurs sur la solidité du discours S des entreprises. Conséquence logique, il y a dix fois moins de fonds qui investissent dans le social que dans les objectifs environnementaux.

Une condition appelée à durer ? Rien n'est moins sûr, le S n'a pas dit son dernier mot. Son avènement est soutenu à la fois par les Entreprises et les investisseurs.

L'avènement du « S »

L'actualité aidant, les entreprises ont pris la mesure de la valeur du S dans l'évaluation de leur performance extra financière. Pour engager leurs forces vives et séduire les jeunes générations qui ont des exigences sociales et sociétales fortes, elles doivent prendre des engagements clairs et s'y tenir. Leur développement et leur image de marque en dépendent. Ces mêmes entreprises savent que les controverses qui affectent tant leur notation ESG ont souvent pour origine des causes sociales : corruption, fraude, accidents industriels... C'est aussi au sein de la chaine d'approvisionnement que se nichent une part importante des risques sociétaux (santé, sécurité, droits humains, épuisement des ressources, déforestation...).

Progressivement, les investisseurs à la recherche de diversification de leurs produits reprennent confiance dans l'engagement S des sociétés émettrices. Les fonds qui investissent sur des critères sociaux se développent. Certes, la mesure de la performance sociale n'est pas encore cadrée, mais elle est possible. Les fonds privilégient par exemple, l'inclusion, l'égalité femmes/hommes et l'emploi. Des structures d'évaluation basées sur l'impact social des entreprises se développent, comme WDI (Workforce Disclosure Initiative) ou Humpact, créée en France avec succès en 2019.

Dans ce contexte, comment l'entreprise peut-elle profiter du rattrapage du S en termes d'intérêt et de visibilité ?

Le « S », mode d'emploi

Dans l'attente d'une normalisation du reporting social qui restera fatalement moins précise que celle de l'environnement, il revient à l'entreprise de définir elle-même le cadre de son action dans le domaine sociétal. Si le reporting extra financier était affaire de mode, on pourrait dire que S exige du sur mesure quand le E et le G recourent au prêt à porter.

En premier lieu, l'entreprise a donc tout intérêt à revisiter le portefeuille de ses engagements S à l'aune des nouvelles attentes de ses parties prenantes.

L'engagement social peut porter sur de multiples sujets : qualité du dialogue social, égalité hommes-femmes, diversité, QVT, turnover, santé, sécurité, relations fournisseurs, formation et notamment formation massive aux enjeux de l'ESG. Au-delà des fondamentaux sociaux, l'entreprise peut aussi retenir des KPI plus spécifiques à fort impact comme le recrutement des personnes éloignées de l'emploi, l'inclusion des seniors ou encore l'ancrage territorial des compétences. En France, l'entreprise aura tout intérêt profiter des inflexions législatives récentes qui invitent les CSE à engager le dialogue sur les questions ESG pour coconstruire un cadre de référence social pertinent.

L'engagement sociétal pourra, lui, adresser l'accès des populations à certains services de base (eau, énergie, télécommunications), au nombre de personnes soignées ou instruites, etc.

Ensuite, l'entreprise aura à choisir des indicateurs adaptés. On sait par exemple que la mixité est regardée avec attention par les parties prenantes, de nombreuses études ont montré qu'elle favorisait la performance opérationnelle et donc la profitabilité. Et il lui faudra aussi faire preuve d'agilité dans ses choix, notamment en adaptant ses engagements et la gestion du risque social aux différentes géographies dans lesquelles elle opère. Tous les indicateurs de rémunération ou de couverture sociale ne s'exportent pas.

Une fois définis, les indicateurs doivent être mesurables, condition de crédibilité et gage de confiance auprès des parties prenantes. Les structures de rating doivent pouvoir comparer les performances qu'elles évaluent.

Enfin, l'entreprise aura intérêt à communiquer en toute transparence sur les résultats de ses actions S en se gardant de tout risque de social washing et de woke washing. Que ses résultats soient atteints ou perfectibles, la sincérité du discours social de l'entreprise - toujours en attente de normalisation -, sera toujours son meilleur atout pour bénéficier, désormais, d'un juste retour de ses engagements sociétaux.

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