Gouvernance : une loi Pacte II serait-elle suffisante pour mieux associer les salariés ?

OPINION. La codétermination en entreprise pourrait être renforcée par une évolutiuon du droit qui définirait clairement des notions comme la structure sociétaire ou encore le bien commun. Par Sandrine Frémeaux, Audencia.
(Crédits : DR)

Dans leur article paru dans The conversation le 27 septembre 2022 et dans leur livre intitulé La réforme de l'entreprise : un modèle français de codétermination, les chercheurs Xavier Hollandts et Nicolas Aubert ont retracé l'histoire de la codétermination française, c'est-à-dire la détermination en commun des décisions par les salariés et les actionnaires.

Ils décrivent notamment les prémisses françaises de cette codétermination en citant le socialisme utopique, le catholicisme social ou encore le mouvement coopératif. Montrant que la réhabilitation du pouvoir des salariés dans les organes de gouvernance a en partie des racines historiques, les auteurs invitent à une extension de la codétermination.

Nous rejoignons parfaitement leur propos tant les avancées françaises en ce domaine, bien qu'enracinées dans une histoire, demeurent encore timides. Le pacte plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit loi Pacte, promulguée le 22 mai 2019, a certes abaissé de 12 à 8 le seuil d'effectif du conseil d'administration ou de surveillance déclenchant l'obligation d'avoir deux représentants des salariés.

Dans les entreprises de plus de 1,000 salariés, les sociétés doivent ainsi désigner au moins deux représentants des salariés lorsque le conseil d'administration est composé de plus de 8 membres et un représentant lorsque le conseil d'administration est composé de 8 membres ou moins.

Cependant, on est encore bien loin du rapport Gallois de 2012 qui posait les jalons de la loi Pacte mais qui recommandait la mise en place d'au moins 4 représentants des salariés au conseil d'administration ou de surveillance. On est également bien loin d'un objectif plus ambitieux qui consisterait à donner le même pouvoir aux représentants du travail qu'aux représentants du capital, voire même à conférer aux salariés un rôle de premier plan dans les organes de décision.

Une réforme de l'ensemble du droit

Pour se rapprocher de cet objectif, on pourrait augmenter le nombre de représentants du travail dans les organes de gouvernance, imposer l'association des salariés à la gouvernance dans d'autres structures sociétaires, et étendre la règle à des entreprises de plus petite taille. Voilà les trois orientations que l'on pourrait attendre d'une loi Pacte II en la matière.

Mais est-il vraiment possible de faire de la codétermination la forme normale du gouvernement d'entreprise sans réformer le droit dans sa globalité ? En d'autres termes, les évolutions touchant à la participation des salariés au pouvoir de décision ne seraient-elles pas condamnées à être symboliques, fragmentées ou secondaires dès lors qu'elles feraient fi du droit dans son intégralité ?

Entendons par là que ce n'est pas seulement la composition des organes de gouvernance qui mérite d'être réformée, mais la définition même de la structure sociétaire. Actuellement, l'article 1832 du Code civil indique que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. » Ainsi, la structure sociétaire poursuit une seule finalité, faire des bénéfices et les partager entre ses associés.

Ne faudrait-il pas, pour redéfinir la structure sociétaire, repenser la structuration du droit dans son ensemble et, comme le révélaient déjà depuis un certain temps les chercheurs du Collège des Bernardins, questionner la séparation entre le droit des sociétés et le droit du travail ?

Si l'on osait remettre en cause cette séparation entre deux droits (droit des sociétés et droit du travail) et deux contrats (contrat de société et contrat de travail), on pourrait alors concevoir un droit de l'entreprise... L'entreprise serait alors juridiquement composée d'un ensemble de parties prenantes (associés et salariés) et orientée vers une finalité supérieure au partage des bénéfices.

Une recherche d'une finalité supérieure

Quelle pourrait être cette finalité supérieure ? Peut-on faire du bien commun une finalité supérieure ? Qu'est-ce que le bien commun ? Nous avons tenté de répondre à ces questions dans notre récent ouvrageL'entreprise et le bien commun, (Nouvelle Cité, 2022)

À première vue, le bien commun se rapproche des notions constitutives de l'intérêt commun : intérêt social ou intérêt de l'entreprise. Ces notions juridiques visent à éviter des comportements abusifs fondés sur des intérêts personnels distincts de l'intérêt collectif. Cependant, la notion de bien commun va plus loin : elle cherche certes à empêcher le sacrifice de l'intérêt collectif au nom d'un intérêt individuel, mais elle s'efforce également d'allier poursuite du bien communautaire et poursuite du bien personnel.

En d'autres termes, la recherche du bien commun commence par une prise de conscience de l'intérêt commun. Parce que la poursuite de l'intérêt commun nous aide à nous libérer d'une focalisation sur nos intérêts individuels, il y a dans l'intérêt commun l'amorce d'une démarche ascendante. Mais la notion d'intérêt commun présente un risque, celui d'une focalisation sur les intérêts économiques d'une catégorie d'individus.

C'est là que la perspective du bien commun se révèle pertinente : elle invite les individus, quels qu'ils soient, salariés, associés, clients, partenaires, peut-être même concurrents, à dépasser leurs intérêts catégoriels en s'interrogeant sur la possibilité de créer ou de rejoindre une communauté de travail. Pas n'importe quelle communauté de travail, une communauté à la fois soucieuse 1) de répondre aux besoins réels de la société, et 2) de porter attention aux besoins personnels de chacun des membres de la communauté.

Une nouvelle définition juridique comme tremplin

La communauté parfaite n'existe pas, certes. Elle est en construction permanente et ne se fortifie que par nos actions, nos efforts pour la faire vivre. Il n'y a pas d'entreprise du bien commun sans une quête partagée du bien commun. Mais pour que cette quête du bien commun soit rendue possible, il faut encore que les règles, en particulier les règles du droit de l'entreprise, soient ainsi faites que nous pouvons percevoir l'orientation éthique qu'elles délivrent.

Comme l'énonçait dès 1949 la philosophe Simone Weil dans L'enracinement, les règles doivent être « assez stables, assez peu nombreuses, assez généreuses pour que la pensée puisse se les assimiler une fois pour toutes ».

En faisant référence à la quête du bien commun, la définition juridique de l'entreprise pourrait devenir un tremplin à des actions dont l'utilité économique, sociale et écologique ne ferait aucun doute. Elle soutiendrait l'émergence ou la réorientation d'activités permettant de répondre aux besoins réels et non artificiels de la société tout en donnant sens aux actions des différentes parties prenantes, investisseurs et travailleurs.

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Par Sandrine Frémeaux, Professeur, Audencia

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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