Guaino ou la détestation des énarques

Chronique des livres et des idées. L'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy poste une longue lettre aux "trop bons élèves" qui nous gouvernent, qui ont tout faux en économie
Ivan Best

« Les trop bons élèves restent obstinément fidèles aux doctrines apprises. Ils occupent malheureusement les postes les plus élevés ». Il n'est pas étonnant que l'ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, entame son dernier livre, « En finir avec l'économie du sacrifice » par une citation de l'officier-historien Marc Bloch. Henri Guaino a toujours été fasciné par les questions militaires, il défend une « certaine idée de la France » très gaullienne. Mais à qui pense-t-il quand il met en avant cette citation ? Marc Bloch dénonçait dans « L'étrange défaite » -celle de 1940- les erreurs des Généraux trop bons élèves de Saint Cyr, incapables de se détacher de doctrines militaires dépassées par l'arrivée sur de la mécanique, de la motorisation, des chars, notamment.

Depuis de Gaulle et la parution en 1934 de "Vers l'armée de métier", qui préconisait la mécanisation, la Défense française a -heureusement- fait quelques progrès. Et Henri Guaino dénonce plutôt ceux qui ont le pouvoir sur l'économie aujourd'hui, qui s'arrogent « les postes les plus élevés ». D'où viennent ces « bons élèves », décidant de la politique économique en France ? De l'ENA, bien sûr. L'ex conseiller de Nicolas Sarkozy, qui a œuvré cinq ans durant à l'Élysée entouré d'énarques, récuse avoir le moindre compte à régler avec ces derniers. Mais est-ce si sûr ? Lui qui n'en est pas, puisqu'il a échoué trois fois au concours d'entrée à l'ENA, n'a-t-il pas quelque rancœur à avoir été débarqué de la tête du commissariat au Plan, par des énarques, justement ?

Le libéralisme actuel ne tient pas la route

Son livre ne résume certes pas à un règlement de compte, même habillé par l'apparence d'une querelle théorique entre libéraux et... souverainistes (dont Guaino se rapproche). Henri Guaino veut expliquer pourquoi le libéralisme professé à Bruxelles, siège de la commission européenne, ne tient pas la route, ne répond en rien à la crise sociale, au chômage de masse qui perdure depuis des dizaines d'années. Chaque chapitre prend donc la forme d'une adresse « aux trop bons élèves » qui suivent aveuglément les préceptes bruxellois. Et pour mieux leur montrer à quel point ils fourvoient, à vouloir croire en ce qu'ils ont appris à l'ENA, l'ancien conseiller de Sarkozy se veut pédagogue, comme s'il s'adressait aussi aux étudiants actuels, faisant appel aux économistes -paradoxalement ?- aux économistes libéraux. Mais surtout aux classiques, aux pères -voire grand-pères ?- de ce qu'on appelait encore dans les années 50 et 60 l'économie politique. Citant abondamment Jean-Baptiste Say, Smith, Ricardo, Malthus, Walras...ou Samuelson et Maurice Allais, pour mieux mettre en pièces le libéralisme actuel, celui qui s'appuie sur la théorie néo-classique, et élève la concurrence en véritable dogme. Henri Guaino veut en finir avec l'idéologie de la concurrence qui règne à Bruxelles, en finir avec ce qu'il appelle « la crainte révérencieuse des marchés financiers ». Il veut au contraire rétablir la primauté des « Etats nations » -il est fait appel, pour le coup, à Chateaubriand- capables de protéger les citoyens contre une mondialisation « dont les trop bons élèves occultent les inconvénients ».

Henri Guaino fustige « les effets pervers de la logique comptable » , reprenant « l'image des digues qui cèdent faute de dépenses d'entretien suffisantes, provoquant une catastrophe dont le coût est sans commune mesure avec les petites économies réalisées sur l'entretien pendant des années ». Il dénonce donc les logiques d'économies à court terme et à courte vue, et l'assimilation abusive par certains éditorialistes du keynésianisme au socialisme.

« On se demande bien par quel cheminement une intelligence normale peut parvenir à faire de Keynes un théoricien du socialisme  (...) à moins que l'on prête quelque crédit à cette idée absurde selon laquelle l'offre serait de droite et la demande, tout comme la politique macro-économique, serait de gauche, -ce qui reviendrait à placer Irving Fisher à gauche ! ».

Parfois lourde, l'analyse peut convaincre... mais les choses se gâtent dès qu'est abordé le volet « préconisations ». Que faire face à cette situation de crise ? Le lecteur cherche les solutions. Ou quand certaines suggestions sont avancées, comme celle d'un impôt proportionnel sur le revenu, l'auteur ne manque pas finalement de douter de sa propre proposition. Peut-être en saura-t-on plus quand Henri Guaino présentera son programme, puisqu'il entend être candidat à la prochaine élection présidentielle?

 Henri Guaino, En finir avec l'économie du sacrifice, Éditions Odile Jacob, 22,90 euros

Ivan Best

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Commentaires 13
à écrit le 02/10/2016 à 16:26
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A quoi servent les énarques ? Petite compilation : A faire fabriquer concorde sans se soucier de sa profitabilité ! A faire venir des immigrés pour lutter contre la CGT ! A faire obligation pour la SNCF du tout TGV sans se préoccuper de la mainten...

à écrit le 02/10/2016 à 12:00
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Henri Guaino a raison, c'est incontestable, depuis près (plus) de 25 ans, la France est massacrée par les énarquies et la culture des diplômes ; Les diplômes énarquies, c'est comme les logiciels, 2 ans après leur obtention, ils sont obsolètes, ...

à écrit le 02/10/2016 à 4:33
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Au delà de l'esprit de caste (un problème en soi), les cultures du risque et de l'innovation sont écartées au sommet de l'État, alors qu'il prône de telles cultures auprès des entreprises. Ce n'est donc pas étonnant que les hauts fonctionnaires ne so...

à écrit le 01/10/2016 à 23:34
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On peut lire dans wikipedia, au sujet du "scientisme", le paragraphe suivant : "Victor Hugo, cité par Henri Guillemin, déplore qu'il existe aussi selon lui « un fétichisme scientiste qui ne vaut pas mieux que l'obscurantisme clérical"" Monsieu...

à écrit le 01/10/2016 à 19:04
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Il faut à nos politiques et à nos élites des bouc émissaires qui expliqueraient tous nos malheurs pour assurer leur survie ; les émigrés , les énarques sont des cibles de choix et à voir comment les candidats s'acharnent sur cette école j'imagine qu...

à écrit le 01/10/2016 à 16:53
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Voilà un pur produit de l'oligarchie technocratique, lui aussi un diplômé du malheur de la France l'IEP ceux qui verrouillent l'Etat depuis des décennies. Pour ce qui est de sa détestation de l'ENA il faut dire qu'il a échoué trois fois au concours...

à écrit le 01/10/2016 à 16:04
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Je pense qu' HG pourrait soutenir Arnaud Montebourg...

à écrit le 01/10/2016 à 15:09
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Quand on a échoué trois fois au concours d'entrée d'une école, on est absolument pas légitime pour critiquer ceux qui en sont diplômés.

à écrit le 01/10/2016 à 14:36
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N'importe quelle école comme l'Ena aurait fait la même chose, c'est un esprit de caste qui existe aussi aux Etats Unis dans les grandes universités avec leurs clubs plus ou moins fermés comme par exemple celui des Bush, et des Clinton. La réalité est...

à écrit le 01/10/2016 à 13:44
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Le problème n'est pas l'ENA, c'est que de nombreuses hautes positions sont réservées aux anciens élèves de l'ENA. Maintenant voila, c'est plus complexe et moins sexy ! :)

le 01/10/2016 à 18:01
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Le problème n'est effectivement pas telle ou telle école, mais le fait que pour sortir des sentiers battus il faut du courage et de l'indépendance d'esprit. C'est incompatible avec une carrière à haut niveau Nam Chomsky ledit si ce que vous dite est...

le 01/10/2016 à 19:16
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Ce ne sont pas les énarques qui occupent les positions dominantes mais les membres des grands corps d'état qui eux monopolisent les centres de décisions et plus précisément et déjà depuis longtemps les ingénieurs des corps des mines, des ponts ou d...

le 02/10/2016 à 12:24
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Entièrement d'accord avec ldx Il suffit de voir les décisions aberrantes prises pour Areva par l'APE notamment dans tout ce qui a concerné la Mines. Des crânes d'œuf,des cerveaux d'acier mais aucune compétence Anna Lauvergeon a coûté très cher, m...

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