Guerre des brevets  :  les entreprises françaises de plus en plus à risque

OPINION. À l'ère numérique, les produits industriels, devenus très complexes, sont souvent couverts par des milliers de brevets, dont certains protègent des inventions parfois très proches et imparfaitement délimitées. Ces fragilités de la protection industrielle constituent une aubaine pour des sociétés agressives, les « patent trolls », basées pour l'essentiel aux Etats-Unis, et qui se sont fait une spécialité des attaques juridiques visant à soutirer des fonds aux entreprises insuffisamment en alerte. Par Jamal-Eddine Azzam (Toulouse School of Management Research); Cécile Ayerbe (Université Côte d'Azur) et Julien Pénin (Université de Strasbourg).
(Crédits : DR)

La pandémie de COVID-19 a fait connaître ce phénomène au grand public lorsque BioFire, une filiale de Biomérieux spécialisée en biologie moléculaire et produisant des tests PCR, a été attaquée par un troll américain.  La période a été faste pour ces structures parasites. Elles ont trouvé de nouvelles méthodes d'action particulièrement redoutables, enrôlant désormais de force des startups, qui leur servent ensuite de cheval de Troie pour attaquer leurs cibles.

Elles achetaient autrefois des brevets à des startups en difficulté financière afin de les utiliser ensuite dans leurs assauts judiciaires contre des firmes utilisant des technologies proches. Elles se contentent parfois désormais de prêter de l'argent à ces startups, lorsqu'elles les savent en situation de faiblesse, pour les inciter ensuite à attaquer elles-mêmes les cibles définies.

Ce sont des clauses juridiques spécifiques qui doivent attirer l'attention. Les « patent trolls » qui proposent des prêts aux startups demandent que leurs brevets leur servent de caution. Pour que l'ensemble du prêt soit débloqué, ils vont parfois jusqu'à exiger que ces brevets rapportent de l'argent via des litiges. La startup est obligée de « collaborer » pour faire face à ses échéances, autrement dit, elle doit attaquer d'autres firmes. Le changement est repérable lorsqu'on examine ses comptes. Juste après l'obtention du financement, on voit que la startup diminue sensiblement ses investissements technologiques et se lance dans les litiges.

Ces pratiques sont de plus en plus fréquentes aux États-Unis où la majorité des litiges concernant les brevets est désormais le fait de ces « patents trolls ». Mais des études montrent aujourd'hui que l'Europe et notamment la France sont de plus en plus concernées.

De plus en plus de firmes européennes sont en effet en train de relocaliser une partie des activités industrielles qu'elles sous-traitaient à des firmes asiatiques. Le risque de propriété intellectuelle qui était le problème des sous-traitants, devient, dès lors, le leur et nécessite une particulière vigilance.

Ce risque concerne également toutes les entreprises en voie de digitalisation (grande distribution, banque, commerces en ligne, etc.). Une telle démarche implique en effet l'utilisation d'un grand nombre de technologies brevetées, ce qui expose à des tentatives de hold-up par des patent trolls.

Les dirigeants des entreprises doivent donc mettre les brevets au cœur de leur agenda stratégique. Les banques américaines l'ont bien compris. De plus en plus engagées dans les technologies (fintechs, blockchain, intelligence artificielle), elles se sont mises à déposer elles-mêmes un grand nombre de brevets afin d'être moins vulnérables.

Les startups qui cherchent à se financer doivent aussi être en alerte dès qu'un créancier leur demande de mettre leurs brevets en caution. Certains contrats peuvent aller jusqu'à empêcher ou orienter l'utilisation des brevets, ce qui met la startup sous la dépendance totale de son créancier.

Plus globalement, les décideurs politiques doivent plus que jamais prendre en compte les enjeux de la propriété intellectuelle dans les plans d'incitation et d'accompagnement des entreprises innovantes.

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Commentaire 1
à écrit le 15/12/2021 à 17:41
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Bonjour à tous, Ce sujet est à soumettre aux instances Européennes, Qui elles seules seront compétentes pour légiférer dans le sens de la protection de nos entreprises, Merci à tous

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