Hausse de la taxe foncière : vers l’infini et au-delà ?

ANALYSE. Privées du levier fiscal de la taxe d’habitation, les communes et les intercommunalités se tournent notamment vers les propriétaires pour trouver des recettes de fonctionnement. Par Thomas Eisinger, Aix-Marseille Université (AMU)
(Crédits : Reuters)

La seule véritable incertitude avec un « marronnier », ce n'est naturellement pas sa survenance, mais bien la taille des marrons. Et cette année, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB pour les intimes), ils sont d'un fort beau gabarit. La presse économique n'hésite pas à parler d'une « explosion » de cet impôt, avec dans certaines grandes villes des augmentations à deux chiffres dépassant très largement le niveau de l'inflation (+51,9 % à Paris, +31,5 % à Grenoble, +21,2 % à Troyes, +20,5 % à Metz, +19,6 % à Issy-les-Moulineaux, etc.).

Même si la communication de la Direction générale des finances publiques publiée en août dernier nous rappelle bien que des augmentations spectaculaires et médiatisées ne font pas statistiquement une tendance, il se passe incontestablement quelque chose du côté de cet impôt. Retour sur les ressorts d'une hausse qui pourrait bien être tendancielle.

Une assiette prise en étau

Attention, nous ne parlerons ici que de votre seule taxe foncière sur les propriétés bâties, qui ne représente, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, qu'une partie de la somme à payer figurant sur la première page de votre avis d'imposition. En effet, d'autres prélèvements sont effectués avec la TFPB : la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (à l'objet éponyme), la taxe dite Gemapi (visant à financer la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations), certaines taxes spéciales d'équipement... Ces impôts annexes ont leur propre dynamique, et contribuent de leur côté à la hausse de la facture globale.

Concernant votre taxe foncière sur les propriétés bâties, son mode de calcul est assez simple : elle est le résultat du produit d'une assiette, en l'espèce l'estimation de la valeur de votre bien immobilier, par un taux d'imposition. La responsabilité de l'évolution annuelle de ces deux composantes est, cela ne vous surprendra pas, partagée :

  • La valeur locative cadastrale (l'estimation évoquée plus haut, dans son appellation administrative) fluctue chaque année en fonction d'un indice de révision qui, jusqu'à récemment, était voté par les parlementaires dans le cadre de la loi de finances.
  • Le taux lui relève, depuis le début des années 1980, des collectivités locales récipiendaires de l'impôt (aujourd'hui, les communes et les intercommunalités), qui le votent chaque année en parallèle de l'adoption de leur budget primitif.

En 2023, l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés bâties a augmenté de 7,1 %. Une hausse record, après une augmentation déjà inédite de 3,4 % en 2022. Pour mémoire, la hausse annuelle était en moyenne de 1,6 % entre 2005 et 2015. C'est là le premier ressort de la hausse de votre taxe foncière.

Tant qu'il y aura de l'inflation...

Comment expliquer une telle augmentation, alors que l'on pourrait pourtant imaginer les parlementaires soucieux de préserver le pouvoir d'achat de leurs concitoyens ? Depuis le début des années 1980, comme on l'a dit, les parlementaires déterminaient l'indexation annuelle de cette assiette : officiellement « en tenant compte de la variation des loyers », en réalité en étant toujours attentif au contexte économique et social.

Dans le cadre de la loi de finances pour 2017, les parlementaires, dans une démarche positiviste qui collait bien à l'esprit (initial) de la législature, ont fait le choix d'automatiser et donc de dépolitiser cette hausse : elle se fera désormais sur la base de l'indice des prix à la consommation. S'il était impossible à l'époque d'anticiper le retour de l'inflation que nous connaissons aujourd'hui, on peut reconnaître que les parlementaires ont été bien malheureux de renoncer à l'époque à cette prérogative (discutable certes) qui était historiquement la leur.

Tant qu'il y aura de l'inflation, dans le cadre réglementaire actuel, l'assiette de votre taxe foncière continuera donc d'augmenter.

Une hausse plus ou moins justifiée

On pourrait légitimement se dire que, si l'assiette augmente au niveau de l'inflation comme nous venons de le voir, le taux de la taxe foncière pourrait lui rester stable. Il n'en est rien, pour plusieurs raisons.

D'une part, parce que les autres recettes de fonctionnement des communes et de leurs intercommunalités augmentent elles bien moins vite que l'inflation. Les dotations versées par l'État, qui, rappelons-le, augmentaient il y a encore une quinzaine d'années du niveau de l'inflation et d'une partie de la croissance, se stabilisent après avoir connu quelques années de baisse (contribution du secteur local à la maîtrise des finances publiques).

D'autre part, parce que nous sommes encore dans la première partie du bien connu cycle électoral pour les communes. Les maires élus en 2020, rééligibles en 2026, ont naturellement augmenté les taux des impôts locaux en 2022 ou en 2023 pour financer la mise en œuvre de leurs programmes... et ne pas avoir à le faire à une ou deux années de leur retour devant les électeurs.

Enfin, parce que la taxe d'habitation a disparu, comme une décennie avant elle la taxe professionnelle. Bien qu'elle ait été compensée à l'euro près dans les budgets locaux, aucun nouveau levier fiscal n'est venu combler le vide qu'elle laissait. Résultat, quand il s'agit d'augmenter les ressources budgétaires, les exécutifs locaux ne peuvent plus mettre en œuvre de réelle stratégie fiscale (quelle catégorie de contribuables solliciter davantage cette année ?) et n'ont presque plus qu'une seule option : augmenter la taxe foncière. En football, c'est un peu comme de passer de Pep Guardiola à Igor Tudor...

Et ce ne sont là que les principales explications. Nécessité mettre les investissements publics au niveau des attentes des citoyens, restaurer les équilibres budgétaires après quelques années de « quoi qu'il en coûte » à la sauce locale, absorber les augmentations budgétaires imposées par l'État comme la hausse de la rémunération des fonctionnaires... Autant de raisons, plus ou moins légitimes, que les élus locaux mobilisent pour justifier la hausse des taux qu'ils ont décidée.

Et demain ?

Alors, 2023 sera-t-il une année record ou bien une étape de plus dans la hausse tendancielle de votre taxe foncière ? Soyons prudents en matière de prévision, même les meilleurs s'y cassent les dents (on rappellera que, lorsqu'on lui a annoncé la fin de la guerre froide pendant son sommeil hypothermique, Austin Powers s'exclama « Enfiiin ! Ces porcs capitalistes vont payer pour leurs crimes ! N'est-ce pas tovarisch ? »...).

Dans le cadre réglementaire actuel, c'est-à-dire sans révision des modalités de calcul et d'évolution des valeurs locatives cadastrales (aux dernières nouvelles, ce ne sera pas avant 2028) et sans changement dans les leviers à la disposition des élus locaux pour moduler leurs ressources, il est peu probable que la facture ne s'alourdisse pas dans les prochaines années. Notamment parce que les mairies et leurs intercommunalités, plus encore que les autres strates de collectivités, sont face à un mur d'investissement pour adapter à moyen terme nos villes aux conséquences du changement climatique. À suivre...

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Par Thomas Eisinger, Professeur associé en droit, gestion financière et management des collectivités, Aix-Marseille Université (AMU)

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Commentaires 9
à écrit le 16/09/2023 à 14:18
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Ne savent pas faire d'économies ? Normal l'état ne donne pas l'exemple.

à écrit le 15/09/2023 à 13:41
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Merci pour votre article. Ma taxe foncière pour un 37 m2 (j'habite au rdc) avec vue sur les motos a dû être calculée à la g... du client. Avec la pollution de la rue, je ne peux pas aérer l'appartement. Elle se monte à 848 euros. Pas de chauffage par...

le 16/09/2023 à 14:22
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Les gens des impôts sont sympas. N'hésitez pas à aller les voir , les explications de vive voix sont les meilleures.

à écrit le 15/09/2023 à 5:20
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Cette annee la taxe fonciere en Coree a ete abaissee de 30% apres promesse du President. Actee, nombre de citoyens apprecient cette mesure. Une parole donnee en Asie est generalement tenue. En occident j'ai ete souvent arnaque par bcp de clients ind...

à écrit le 14/09/2023 à 11:54
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Le mouvement est en marche: par le biais de cette taxe qui va continuer à augmenter , le propriétaire deviendra progressivement locataire de la commune, du département , de la région, et bien d'autres parasites.

à écrit le 14/09/2023 à 8:55
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Alors qu'il y aurait tant à faire sur les résidences secondaires parasites par définition mais bon les chats vont pas se bouffer entre eux quand même hein.

le 14/09/2023 à 12:53
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"parasite par définition" en v'à une analyse qu'elle est bonne... (Coluche). On suppose que la maison de votre grand mère, dont vous avez hérité après sa mort, vous l'avez fait raser scéance tenante ???

le 15/09/2023 à 8:28
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""parasite par définition" en v'à une analyse qu'elle est bonne... (Coluche" Tu as sorti ça encore une fois de ton chapeau magique non ? La maison de ma grand mère est habité par des actifs depuis longtemps maintenant et c'est comme ça qu'il faut fai...

le 18/09/2023 à 13:41
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Si la maison de votre grand'mère est une hôtel particulier Avenue FOCH, bien, tant mieux pour vous. Par contre si elle est située à l'écart de tout centre (qu'il soit administratif ou commerciel, ou...) cela change les paramètres. C'est un marché; et...

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