Juridiction unifiée des brevets  : révolution annoncée du contentieux en Europe

OPINION. C'est une petite révolution. A compter du 1er juin 2023, le titulaire d'un brevet européen pourra dorénavant choisir de défendre ses droits sur son invention auprès de la toute nouvelle Juridiction Unifiée des Brevets (JUB). Par Francine Le Péchon-Joubert, avocate associée chez De Gaulle Fleurance
(Crédits : DR)

L'avantage évident d'un tel choix réside dans la possibilité d'obtenir une unique décision valable pour l'ensemble des pays parties prenantes à cette nouvelle juridiction multinationale, soit à l'heure actuelle 17 pays européens*. Le titulaire d'un brevet européen devait en effet jusqu'alors engager des actions en contrefaçon séparées dans chaque pays européen où son brevet était contrefait. Tout cela était non seulement long et très onéreux, mais aussi porteur d'un risque de décisions contradictoires d'un pays européen à l'autre.

Au-delà de cet avantage territorial évident, la mise en place de cette nouvelle juridiction comporte autant d'opportunités que de risques.

Près d'une décennie après l'adoption de ses textes fondateurs, la JUB va décupler les options contentieuses parfois méconnues dans certains États ou sous-exploitées par l'industrie.

En effet, l'enjeu du litige n'a nul besoin de concerner l'ensemble des 17 États pour que la JUB puisse en être saisi. À titre d'exemple, le titulaire d'un brevet européen enregistré et valable dans seulement quelques pays, dont la France, peut ainsi choisir d'introduire une action devant la JUB pour trancher un différend qui l'opposerait à une ETI franco-française sans aucune activité internationale avérée.

En pratique, ce choix sera plus coûteux pour le demandeur qu'un contentieux classique devant le Tribunal judiciaire de Paris... mais les opportunités procédurales de la JUB pourront dans certaines circonstances justifier un tel surcoût.

Ainsi, contrairement aux affaires actuellement tranchées à Paris, des juges scientifiques dans le secteur concerné peuvent siéger à la JUB aux côtés des juges au profil plus habituel. Ces juges affectés par les États seront aussi de différentes nationalités ce qui, à court terme, peut permettre d'instruire et de plaider en anglais ou en allemand... et devrait à plus long terme permettre une uniformisation de la jurisprudence européenne en matière de brevet.

Cette nouvelle juridiction pourra mettre en œuvre différents mécanismes judiciaires opérés exclusivement jusqu'ici au sein de certains pays membres : conditions de recevabilités des actions, modes de preuves, séquençage de l'affaire, audition de témoins ou encore garanties notamment pécuniaires fournies par le demandeur pour permettre l'indemnisation d'un défendeur victorieux... Certains opérateurs, en particulier les « chasseurs de brevets » opportunistes, sauront certainement tirer profit de la nouveauté et de la complexité indéniable de ce nouvel outil pour défendre leurs intérêts.

Et ceci d'autant plus que cette nouvelle juridiction a une ambition de célérité clairement annoncée, avec l'objectif de rendre des décisions en l'espace d'une année.

À l'inverse, face à un risque de saisie-contrefaçon ou d'interdiction provisoire, le potentiel défendeur disposera désormais de nouvelles armes, comme la possibilité de déposer des « protective letters » auprès de la JUB alors que cet outil n'existait principalement qu'en Allemagne.

L'entreprise, titulaire ou non de brevet, doit donc revisiter profondément sa stratégie brevet. En particulier, une cartographie des opportunités, mais aussi des risques au regard de ses concurrents mondiaux devient incontournable. Il est urgent d'évaluer aujourd'hui la pertinence de conférer un effet unitaire à une demande de brevet ou encore de décliner ou d'accepter la compétence de la JUB pour les brevets européens déjà délivrés. Car, avec cette nouvelle donne, la protection des brevets est plus que jamais un élément déterminant de la performance de l'entreprise.

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(*)  Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède.

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