L'argent, l'argent, sans lui tout est stérile

Face aux flambées boursières et à l'engouement pour les crypto-monnaies, petit rappel des principes de la vente à découvert. Par Michel Santi, économiste(*).
Michel Santi.

Ils sont peu nombreux, ceux qui comprennent vraiment le concept de ventes à découvert, en anglais «shorter» une position. Pourtant, nous sommes toutes et tous un peu comme Monsieur Jourdain qui pratiquait la prose sans le savoir car nous vendons tous à découvert. Nos dépenses par carte de crédit, nos prêts hypothécaires, nos lignes de crédit sont en effet autant de ventes à découvert dans le sens où nous empruntons de l'argent - donc nous sommes à découvert - jusqu'à ce que ce prêt soit remboursé en faisant l'acquisition d'euros, de dollars ou de francs suisses. Comme le fruit de notre travail est quasiment toujours rémunéré en argent, nous savons toujours quelle somme devra être remboursée si nous sommes à découvert en argent, tandis que nous ne saurons jamais quelle somme devra être restituée si nous empruntons en actions... ou en bitcoins, du fait de la volatilité et de l'incertitude liées à l'évolution des cours de ces sous-jacents.

Les atouts de la maîtrise de l'inflation

Rien de plus simple en effet que de prévoir rembourser un prêt de 5.000 euros en un mois si notre revenu mensuel est de 5.000 euros. En outre, comme les salaires ont tendance à rester très statiques, nous sommes au moins intuitivement rassérénés dans nos prévisions de remboursement car nous savons que nous n'aurons pas besoin de fournir plus de labeur qu'estimé pour couvrir notre position "short" en euros résultant de notre prêt, de notre ligne de crédit ou de nos dépenses par carte bancaire.

Enfin, nos nations occidentales bénéficient d'un atout fondamental consistant en la maîtrise de l'inflation nous autorisant à faire des plans sur le long terme, nous sommes forts de la certitude qu'un euro aujourd'hui nous achètera quasiment la même quantité de marchandises ou de services l'année prochaine.

La problématique est radicalement d'une autre nature dès lors que nous vendons à découvert des actions (par exemple, Facebook) ou des Bitcoins. En effet, comme nous ne sommes pas payés dans ces instruments mais bien en argent, nous ne saurons jamais quelle quantité de travail fournir - réglée en argent - afin de couvrir notre position à découvert en actions Facebook ou en Bitcoins. A l'extrême, la valeur de ces actifs serait susceptible de monter à l'infini, nous contraignant en théorie à travailler à l'infini pour rembourser une dette non libellée en argent... alors que le remboursement d'un emprunt en argent est un geste relativement banal à planifier car nous sommes rémunérés à l'aide du même médium d'échanges.

La vente à découvert, jonction vitale entre le passé et l'avenir

Ceci étant dit, le principe des ventes à découvert est absolument crucial au sein de nos sociétés car il autorise d'établir une passerelle entre nos prévisions de consommation et nos revenus. Comme nos appétits de dépense ou nos plans d'investissements ne coïncident pas systématiquement avec nos rentrées d'argent, la vente à découvert réalise ainsi une jonction vitale entre le présent et l'avenir, et c'est précisément la raison pour laquelle le médium utilisé dans un tel cadre se doit d'être stable et résilient.

Supposons un moment emprunter en Bitcoins pour acquérir une voiture et devoir rembourser quasiment du jour au lendemain le double de cette somme si la valeur du Bitcoin passe de 10.000 à 20.000 ! Dans une telle hypothèse, c'est à la fois nous - le débiteur - mais également notre créancier qui serions condamnés à la faillite, avec toutes les conséquences nuisibles aisées à imaginer pour l'ensemble de la société.

Une telle volatilité du sous-jacent shorté ou emprunté est donc foncièrement nocive à l'économie, tandis qu'une vente à découvert libellée en argent bénéficie d'une pérennité assurée par les banques, elles-mêmes chapeautées par la banque centrale disposant du pouvoir exclusif de création monétaire. Ainsi, cette dernière pourra le plus simplement du monde imprimer des euros - fiduciaires et scripturaux - en cas de ruée vers l'argent dans le cadre de crises bancaires ou de déflation, et garantir en conséquence l'approvisionnement en argent. Tandis qu'elle ne sera évidemment pas en mesure d'imprimer des actions Facebook ni des Bitcoins si la valeur de ces derniers venait à s'envoler.

Sachons donc garder la raison et le recul nécessaire face aux flambées boursières et face à l'engouement vis-à-vis des crypto-monnaies car aucun médium n'est aujourd'hui à même de prétendre remplacer notre bon vieil argent.

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(
*) Michel Santi est macro économistespécialiste des marchés financiers et des banques centrales. Il est fondateur et Directeur Général d'Art Trading & Finance.

Il est également l'auteur de : "Splendeurs et misères du libéralisme""Capitalism without conscience""L'Europe, chroniques d'un fiasco économique et politique""Misère et opulence". Son dernier ouvrage : «Pour un capitalisme entre adultes consentants», préface de Philippe Bilger.

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Commentaires 4
à écrit le 29/01/2018 à 19:41
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C’est une histoire de dépendance , d’egoisme ( ego) et d’etre Complètement déconnecté de la nature humaine . Pour faire fluctuer ils ( les rapaces ) ont besoin de cash et «  vite » Pour investir et gagner le plus de marges C’est comme «  un jeu » ...

à écrit le 29/01/2018 à 13:25
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Rappelons que la bourse est un jeu à somme nulle; et que la banque gagne toujours( elle sait tout a levier infini et recherche de la contrepartie pour la rincer donc la majorité parmi les joueurs a toujours tort et si la banque perd malgré tout vous ...

à écrit le 29/01/2018 à 12:28
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ce qui est curieux c'est qu'il n'y a pas si longtemps, vous faisiez un article sur ' les transmissions des politiques economiques' ( oui en clair comment l'inflation generee par des banques centrales aux mains de gouvernants allait regler les pbs de ...

à écrit le 29/01/2018 à 11:29
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"Rien de plus simple en effet que de prévoir rembourser un prêt de 5.000 euros en un mois si notre revenu mensuel est de 5.000 euros. " Heu... sans manger, sans boire, sans payer les autres emprunts, sans payer l’électricité, sans payer les cours...

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