L'autodestruction du capitalisme par la chute des taux

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, l'autodestruction du capitalisme par la chute des taux
La banque centrale américaine baisse (encore) son principal taux directeur !
La banque centrale américaine baisse (encore) son principal taux directeur ! (Crédits : Chris Wattie)

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Jusqu'où peut aller la baisse des taux ? Nous sommes dans une situation inédite aujourd'hui. Jamais les taux d'intérêt n'ont été aussi faibles dans le monde développé. La faiblesse des niveaux atteints par les taux longs sans risque, en Europe comme aux États-Unis, n'ont pas de précédent depuis deux siècles. Mais surtout, cette configuration se produit alors même que s'amorce un ralentissement de l'économie mondiale. Autrement dit, les anticipations de croissance et d'inflation tirent les taux de marché vers le bas. Dès à présent les taux européens sont entrés en zone négative. Et les États-Unis s'en approchent.

C'est une situation extraordinaire dont il faut prendre toute la mesure. Des taux négatifs, c'est comme si tout un coup on inversait la polarité d'un circuit électrique. Et que la mécanique tournait en sens inversé. Cette mécanique, c'est tout le processus d'avance de fonds et d'accumulation qui sous-tend l'expansion du capitalisme. Les taux d'intérêt, c'est dans la représentation classique de l'économie, la récompense de l'acte d'épargne, de notre renonciation à la myopie de la satisfaction immédiate. Le niveau des taux nait de la tension entre ce désir de consommer tout de suite et celui de se projeter dans le futur à travers l'acte d'investissement. Et les taux seront d'autant plus élevés que l'appétence pour le futur est forte, et que les dépenses d'avenir contiennent de fortes promesses de retour sur investissement. Inverser la polarité de ce processus, c'est comme si les marchés se projetaient d'emblée dans un monde de baisse des prix et de décroissance. Où mille euros aujourd'hui valent moins que mille euros demain... autrement dit, un monde en attrition, en rétractation.

Le marché du capital d'occasion devient le creuset de la création de valeur

Dans ce monde sans désir de futur, c'est le passé que joue la finance, c'est la plus-value sur le capital ancien. Le marché du capital d'occasion devient le creuset de la création de valeur... on surenchérit sur la transmission des entreprises. On consolide l'existant, on renforce les économies d'échelle, les synergies, on bâtit des pouvoirs de réseau, de marché. Ce monde nous y sommes déjà. Il entre en étrange résonance avec ce que nous annoncent les prophètes du climat. Tout un pan de nos économies carbonées est condamné à disparaître. L'urgence climatique va disqualifier une masse considérable de capital accumulé. Les grands acteurs du transport, le l'énergie, de la construction entrent dans une phase d'attentisme, où investir as usual expose au risque de déclassement prématuré... mais où parier sur une technologie décarbonée, expose au risque de non adoption et de non solvabilité. Faute de coordination, faute de réglementations contraignantes, faute d'impulsion d'un grand état hégémonique pour donner le « la » technologique et bâtir rapidement des économies d'échelle, les investisseurs se regardent en chien de faïence, et ne se lancent pas. Le capitalisme financiarisé a poussé au plus haut la rentabilité du capital et les ressources d'autofinancement, les banques centrales ont poussé au plus haut la liquidité et face à l'abondance des fonds mobilisables, la demande de fonds pour bâtir un capitalisme durable reste paralysée. Les taux d'intérêt négatifs sonnent alors comme l'oraison funèbre d'un capitalisme financiarisé, où l'argent est surabondant, mais ne sait plus où s'investir pour porter la croissance de demain.

Les banques centrales, abreuvant le système financier en liquidités

Je n'ignore bien sûr pas le fait que la baisse des taux de marché a été renforcée par les options radicales de politiques monétaires des années récentes. Les banques centrales sont à la manœuvre, en apparence dans le mouvement décrue des taux. Elles ont abreuvé le système financier en liquidités. Et elles ont ramené leurs taux directeurs à zéro dans nombre pays pour endiguer la grande dépression de 2007-2008. Et ce qu'elles ont fait, pourquoi ne pourrait-elle pas le défaire ? Eh bien, précisément, ce que nous disent les taux longs de marché, c'est que les investisseurs n'y croient pas, à horizon de 10 ou 30 ans. Et ce faisant, les banques centrales se retrouvent coincées. Remonter les taux, ce serait étrangler tout le système bancaire. Et maintenir les taux de refinancement à zéro, si les taux longs continuent à s'affaisser, risque aussi de rapidement s'avérer insuffisant. Si rien n'est fait, et que la dépression s'approfondit, elles n'auront d'autre choix que d'accompagner la baisse et de briser elles aussi le tabou des taux négatifs. Avec le risque d'enclencher un nouveau tour de baisse des taux longs.

La seule issue, tout le monde la connaît, mais personne ne sait la mettre politiquement en œuvre. Que les États se coordonnent et bâtissent les normes et les infrastructures pour arracher le capitalisme à sa crise du futur.

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Commentaires 12
à écrit le 06/11/2019 à 1:15
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Les taux négatifs étaient évidemment impossibles avec l'Etalon Or. On peut voir cela comme une opportunité, surtout qu'il existe maintenant un produit digital strictement limité en quantité, et il le seul dont la rareté est réelle. Il s'agit évidemme...

à écrit le 05/11/2019 à 18:16
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pour gagner de l'argent dans un monde a taux négatif, il ne faut ni le placer, ni le dépenser. c'est la seul conclusion qui s'imposera lors de la prochaine crise boursiere

à écrit le 05/11/2019 à 17:29
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La force du capitalisme s' est de s' adapter à toutes les circonstances et tous les environnements. Son unique but est le profit et il détecte toutes les occasions qui y contribuent. Si les taux deviennent négatifs le capital va s' investir dans des...

à écrit le 05/11/2019 à 16:57
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Question : les fonds de pensions acceptent-ils des rendements négatifs ? J'en doute.

le 05/11/2019 à 20:31
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C'est pourquoi l'histoire des choix économiques, doivent mettre le commandant du navire pour éviter l'iceberg social !

à écrit le 05/11/2019 à 16:02
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Bonjour, La chute des taux n’est pas symptomatique d’une « chute » du «  capitalisme » c’est un «  changement d’orientation «  du capitalisme. Cordialement,

à écrit le 05/11/2019 à 15:24
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Excellente tribune, vraiment, comme on en lit rarement. Brillante synthèse de la crise présente.

à écrit le 05/11/2019 à 15:18
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Une fois que tout le monde aura dit que les taux très bas voire négatifs sont là pour durer, les dits taux commenceront à remonter. D'ailleurs, ils ont déjà commencé à le faire en octobre. Le monde, dieu merci, est ironique. Tant pis pour les phi...

à écrit le 05/11/2019 à 14:10
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Une question déterminante et nous le savons tous, les paradis fiscaux vont ils pratiquer aussi ces taux d'intérêts négatifs ? Vu que c'est là que les capitaux du monde se trouvent, s'ils y restent protégés, et c'est fait pour ça hein, s'ils ne so...

à écrit le 05/11/2019 à 12:04
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La chute des taux est une dévaluation déguisée mais favorable au business à court terme. La persistance des taux négatifs dévaluera l'épargne, les classes moyennes en feront les frais au premier rang. A long terme toute l'économie va en pâtir et les...

à écrit le 05/11/2019 à 11:44
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Il ne faut pas confondre allégrement capitalisme, finance et capitalisme de connivence. Si l'un joue avec du concret, les autres travaillent dans l'abstrait et le virtuel!

à écrit le 05/11/2019 à 10:00
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Une question déterminante et nous le savons tous, les paradis fiscaux vont ils pratiquer aussi ces taux d'intérêts négatifs ? Vu que c'est là que les capitaux du monde se trouvent, s'ils y restent protégés, et c'est fait pour ça hein, s'ils ne so...

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