La BCE a peur du « monstre de Gila »

CHRONIQUE. Le « monstre de Gila » serait ce serpent du désert qui continue de mordre, même une fois la tête coupée. La Banque centrale européenne a aussi son « monstre de Gila » : l'inflation ! Par Karl Eychenne, chercheur chez Oblomov & Bartleby
(Crédits : HEIKO BECKER)

La Banque centrale européenne (BCE) n'en a pas fini avec l'inflation. C'est en tous les cas le message qu'elle souhaite faire passer à qui veut bien l'entendre. Ce jeudi, elle a de nouveau monté ses taux d'intérêt directeurs de 4,25 à 4,50 %. Elle a cependant laissé entendre que ces niveaux de taux devraient suffire, avant que Christine Lagarde ne précise que cela ne voulait pas dire que la hausse des taux était terminée... On est un peu perdu :

« les taux ne devraient plus monter, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne monteront plus ».

Pourtant, l'inflation ne semble plus aussi menaçante, même si la BCE agite toujours le chiffon rouge des tensions salariales. Si bien que la question est posée. La BCE est-elle en train de lutter contre une menace fantôme ? La BCE en ferait trop, trop de hausses des taux directeurs pour mettre à mal une inflation qui s'essouffle d'elle - même.

La BCE aurait peur du monstre de Gila, ce serpent qui continue de mordre même une fois la tête coupée.

« Il ne lâche pas prise, même si on lui coupe la tête, même quand l'homme est mort ».

C'est ainsi qu'est décrit ce gros lézard, dans Le trésor de la Sierra Madre de John Huston (1948). Cette métaphore est ici empruntée au logicien Jean - Yves Girard qui l'utilise pour signifier l'anachronisme de certaines théories. Dans notre cas, la BCE aurait peur d'une inflation qui ne peut plus faire grand mal.

En vérité, la BCE n'est pas la seule à exagérer la crainte d'une inflation sauvage qui refuse de décélérer davantage et menace même de se raffermir. Les Banques centrales anglo-saxonnes sont aussi dans ce cas - là. Toutes continuent de pratiquer une politique et un langage restrictif qui contrastent de plus en plus avec la moindre vigueur de l'inflation depuis le début de l'année. Pour bien réaliser l'ampleur du phénomène en cours, il faut rappeler que l'inflation euro s'établit désormais à 5,3% en août 2023, alors qu'elle était encore à 10% fin 2022.

Certes, la bête noire de la BCE n'est pas cette inflation, mais l'autre : l'inflation dite sous-jacente, celle qui n'est pas polluée par les prix de l'énergie et de l'alimentaire. Cette inflation sous-jacente obéit essentiellement à la dynamique des prix des services, elle-même largement influencée par les tensions sur les salaires. Et il faut reconnaitre que cette inflation se montre beaucoup plus rétive à toute détente : elle a à peine décru de 5.7 à 5.3%.

Toutefois, il ne faut pas surinterpréter cette résilience de l'inflation sous-jacente. Elle peut - être typique des premiers moments d'une détente plus globale, où les prix les plus sensibles au cycle économique réagissent en premier comme c'est le cas aujourd'hui, avant que les prix des services n'emboitent le pas. Pour l'instant, la BCE considère qu'il est trop tôt pour créditer une telle thèse, elle n'est pas la seule. Elle préfère pointer du doigt les tensions persistantes côté salaires, entretenues par un marché de l'emploi sous pression. La courbe de Phillips chère aux économistes est ainsi ressuscitée, avec des salaires réagissant enfin à une baisse du taux de chômage en dessous de son niveau non inflationniste (le NAIRU). Pourquoi pas ?

Sauf que le fléchissement en cours de l'activité économique militerait pour davantage de prudence. Les indicateurs avancés sont en net recul depuis cet été, un recul bien plus fort qu'attendu et qui touche désormais aussi bien le secteur manufacturier ou service. Avec une angoisse particulière concernant l'Allemagne, dont l'économie semble la plus fragilisée au sein de la zone euro. Quant au rebond en cours du prix du pétrole, il faut largement relativiser. En effet, le prix du Brent est tout juste revenu au niveau qui était le sien il y a un an encore. En termes de contribution à l'inflation globale, il n'aurait donc en théorie aucun impact, en supposant qu'il ne monte pas davantage bien entendu.

Et pourtant, tout porte à croire que la BCE n'en démordra pas. Tout au plus accepte-t-elle de réviser à la baisse ses perspectives de croissance économique pour 2023, 2024, et au-delà, par contre pour l'inflation on repassera. La thèse la plus probable est que la BCE continue d'avoir peur, plus que de raison. Il faut dire qu'elle a des circonstances atténuantes. Tout le monde se souvient encore de son expression malheureuse « l'inflation est transitoire », qui justifia l'inaction de la BCE alors que l'inflation accélérait. Aujourd'hui pourtant, la recherche académique ne blâme pas la BCE, ni même les autres Banques centrales, tant il est vrai que les données alors disponibles n'invalidaient pas la stratégie des Banques centrales (le dernier papier d'Olivier Blanchard et de Ben Bernanke est à ce titre très instructif).

La technique de l'Overkill

Mais aujourd'hui, la peur d'une nouvelle erreur de lecture semble trop forte. La BCE préfèrera en faire trop que prendre le risque de voir l'inflation résister voire repartir, pour une raison exogène, et se faire accuser d'incompétence pour la seconde fois. La BCE préfèrera pratiquer la technique de l'Overkill, consistant à frapper plus que de raison l'« ennemi ». Une technique jadis utilisée par certaines peuplades afin de s'assurer que l'adversaire ne soit plus jamais en mesure de revenir à la charge, même dans l'au-delà.

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Commentaires 2
à écrit le 17/09/2023 à 10:28
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"« l'inflation est transitoire », qui justifia l'inaction de la BCE alors que l'inflation accélérait" : la BCE venait de doubler la masse monétaire (en jettant l´argent par les fenêtres), donc conjugué à d´autres déséquilibres (ex. matières premières...

à écrit le 16/09/2023 à 7:41
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Ben qu'ils arrêtent d’inonder de fric l'économie privée.

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