La déroute de l'industrie alimentaire française

La Tribune publie chaque jour des extraits issus des analyses diffusées sur Xerfi Canal. Aujourd'hui, la déroute de l'industrie alimentaire française

La filière agroalimentaire française est totalement plombée. Pourtant, une fois de plus, le chiffre mis en avant et repris en boucle par la profession comme les pouvoirs publics est celui de son excédent  extérieur : encore plus de 7 milliards d'euros en 2018. C'est normal, dans un pays systématiquement déficitaire depuis 2004, c'est l'un des rares bastions de notre balance commerciale qui tient encore. Mais c'est quand la mer se retire que l'on voit ceux qui se baignent nu dit Warren Buffet... Et le roi est nu. Une fois ôtées les boissons, l'excédent se mue en déficit  depuis 2004. Un déficit qui se creuse et qui dépasse désormais 5 milliards d'euros, c'est un record !

Mécanique infernale

L'industrie alimentaire, notre fameux pétrole vert, est de plus en plus mal exploitée et c'est un fiasco. Les symptômes du mal se trouvent notamment dans l'évolution du taux de marge duquel dépend la capacité des entreprises à investir pour rester dans le coup face à une concurrence internationale qui se durcit et répondre aux exigences d'une distribution en quête permanente de petits prix. Sans surprise, ce taux est en baisse, mais là où il faut particulièrement s'inquiéter c'est 1) que la baisse s'accélère alors même que ce ratio intègre les performances des entreprises des boissons, qui elles, dominent leur marché. En creux cela signifie une chute encore plus spectaculaire dans l'alimentaire. C'est 2) l'opposition des trajectoires entre les IAA en perdition et le reste de l'industrie manufacturière qui remonte un peu la pente. C'est historique, pour la première fois, le taux de marge dans les IAA est passé en 2018 sous celui du reste de l'industrie manufacturière. La filière viande résume à elle seule la mécanique infernale qui s'est mise en place. Le point de retournement c'est 2004 et depuis cela va de mal en pis.

Trois forces sont en jeu : pressions externes, avec une concurrence parfois déloyale. Pressions internes mises par la grande distribution, mais aussi par de grands industriels sur leurs sous-traitants sur un marché en perte de vitesse. Archaïsme des structures de production.

Concurrence étrangère

La première vague venue de l'extérieur fut allemande au milieu des années 2000. Des concurrents très déterminés qui ont usé et abusé de la directive de 1996 sur les « travailleurs détachés » pour faire chuter leur coût du travail et évincer les producteurs français. Sous le feu des critiques, les industriels allemands ont eu ensuite beau jeu de rentrer dans le rang, une fois la concurrence à terre. La deuxième vague est venue d'Espagne peu après la grande récession. Des industriels ibériques qui ont engrangé les dividendes de la « dévaluation interne », autrement dit de la forte baisse des salaires. C'est en enfin aujourd'hui, une offensive polonaise : les importations en provenance de Pologne ont été multipliées par 2,6 depuis 2011 et notre déficit par 3 avec une fantastique accélération en fin de période.  Difficile de résister en effet quand le coût du travail d'un salarié dans la filière viande varie du simple au quadruple.

Pressions de la grande distribution

Mais cela serait une erreur de limiter les déboires des producteurs français à la seule concurrence étrangère. Deux éléments sont à prendre en compte. D'abord, les relations houleuses entre grande distribution et industriels et le poids de la restauration hors foyer qui recourt majoritairement à l'importation. En axant d'abord leur stratégie sur celle des petits prix, les grands distributeurs exercent une forte pression sur le tissu productif en amont et elle est d'autant plus forte que la consommation des ménages plafonne voire désormais flanche en volume ce qui exacerbe la concurrence et la course aux parts de marché. Idem dans la restauration hors foyer.

Archaïsme des structures de production

Il y a enfin l'absence de restructuration qui a freiné l'industrialisation et la modernisation de nombreux opérateurs. Or les investissements ne peuvent pas s'amortir sur des structures qui sont restées trop modestes pour affronter la concurrence internationale. De même, la montée en gamme est restée insuffisante pour s'arracher de la seule concurrence par les coûts. Bilan, le taux de marge des industriels français de la viande est laminé et l'écart varie du simple au double par rapport aux plus proches concurrents selon les données d'Eurostat et c'est une véritable hécatombe : une entreprise sur deux a disparu en moins de 10 ans. Certes, certaines se sont rapprochées ce qui est une bonne nouvelle, mais beaucoup ont disparu et les savoir-faire avec.

Sur les neuf grandes branches composant les industries alimentaires, cinq sont désormais en déficit. C'est une véritable déroute pour ce qui devrait être l'un de plus grands points forts de l'économie française.

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Commentaires 15
à écrit le 22/02/2019 à 16:18
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Un engagement d'un plan de suramortissement spécifique pour la modernisation agricole? Un plan long sur 5 an au minimum

à écrit le 22/02/2019 à 15:32
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Le divers régimes, depuis 30 ans on éxécuté l'industrie lourde, puis l'industrie de transformation, maintenent c'est la fin de l'agroalimentaire. Votre article est clair les causes bien expliquées. L'importation sans règle et la grande distribution. ...

à écrit le 22/02/2019 à 12:01
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Nous sommes dans un pays économiquement analphabète et il n'est pas rare de lire sur les réseaux sociaux et pas que ces réseaux, des commentaires dénonçant la richesse des industries agroalimentaires . Ce qui est dommage c'est que ceux qui s'exprime...

le 22/02/2019 à 13:29
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Je suis d'accord avec vous : les IAA sont prises en FRANCE en étau aentre des agriculteurs qui produisent à des coûts largement supérieurs aux coûts des autres produits, et des consommateurs qui veulent les prix les plus bas possibles, ce qui est bie...

le 22/02/2019 à 13:29
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Je suis d'accord avec vous : les IAA sont prises en FRANCE en étau aentre des agriculteurs qui produisent à des coûts largement supérieurs aux coûts des autres produits, et des consommateurs qui veulent les prix les plus bas possibles, ce qui est bie...

le 22/02/2019 à 19:43
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Il est rare de voir une situation aussi clairement et simplement résumée. En effet, les français produisent trop cher et/ou très mauvais et, comme ils ont de plus en plus de mal à vendre donc à être rémunérés, ils veulent payer le moins cher possibl...

à écrit le 22/02/2019 à 11:52
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On ne risque pas de dire "merci" a cet administration hors sol qu'est l'UE de Bruxelles. Autant une Nation "s'adapte" de l'intérieur autant, "les réformes" sont imposée de l'extérieur suivant un schéma d'uniformisation!

le 22/02/2019 à 13:30
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toujours Bruxelles ! la "pravda' ?: la France dans le domaine agri-agroalimentaire est toujours une copie des kolkhozes soviétiques . . . avec banque obligatoire Crédit Agricole (fossoyeuse du monde paysan)

à écrit le 22/02/2019 à 11:10
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Il faudrait ouvrir un suramortissement "agricole" pour 10 années.

à écrit le 22/02/2019 à 10:45
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Et qui est responsable ? La FNSEA, relais des industriels de l'IAA. La FNSEA ne défend pas les agriculteurs. Elle défend un modèle productiviste capitaliste, tout le contraire de ce qu'est l'essence de l'agriculture.

à écrit le 22/02/2019 à 10:11
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ce n'est pas d'industrie agroalimentaire dont nous et nos enfants avons besoin.

à écrit le 22/02/2019 à 10:08
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3 actionnaires milliardaires au sein de la seule société lactalis, comment voulez vous que celle-ci puisse dégager des investissements alors qu'elle doit donner beaucoup d'argent à des gens qui s'évadent fiscalement ? Mais bon c'est une tendance ...

à écrit le 22/02/2019 à 10:05
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Il faut dire aussi que la France a pris très très tard le train du bio, alors qu'à l'étranger et même maintenant en France la demande avait explosé. Aujourd'hui la France rattrape ce retard, mais les filières industrielles sont lentes à bouger et l...

le 22/02/2019 à 16:29
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Et productions locales qui à mon humble avis font leurs chemins..Pour le Bio il doit être de proximité et produit par de vrais paysans.

le 22/02/2019 à 18:25
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Les définitions du "bio" varient d'un pays à l'autre. Ce qui "mérite" l'appellation "bio" en Espagne ne correspond pas au même cahier des charges en France (et vice-versa ?). Dans ces conditions, les consommateurs achètent du "bio" alors que, bien so...

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