
Quel que soit le nom donné : couple, moteur, tandem, le franco-allemand est un « must ». Il n'y a pas d'option. Un lien inclusif, ouvert aux autres États membres de l'Union européenne (UE) ou même aux pays tiers partageant les mêmes idées, pour qui un pilier européen fort de l'alliance transatlantique est essentiel et l'ambition européenne d'autonomie stratégique une contribution nécessaire aux exigences de sécurité mondiale. Mais cette juste vision partagée par la France et l'Allemagne se heurte à un manque de confiance, de part et d'autre !
Sur le plan des intérêts industriels, chaque partie soupçonne l'autre de vouloir de plus en plus pour elle-même et de moins en moins pour le partenaire, et tente de tirer un avantage indu du partenariat. Et d'un point de vue plus stratégique, les Allemands restent convaincus que la France est toujours réticente à l'égard de l'OTAN et n'en apprécie pas suffisamment la valeur stratégique pour ses partenaires européens. Et les Français estiment que l'Allemagne est un allié trop crédule des États-Unis, malgré la claire évidence du syndrome de l'America First et le risque de versatilité dans l'attitude des États-Unis envers les alliés. Cependant, le rôle de l'administration Biden a été le plus déterminant pour s'opposer à l'agression russe contre l'Ukraine.
L'industrie doit respecter le cadrage des États
A l'issue de leur rencontre informelle à Versailles les 10 et 11 mars 2022, les chefs d'État et de gouvernement de l'UE ont adopté la déclaration suivante : « La relation transatlantique et la coopération entre l'UE et l'OTAN, dans le plein respect des principes énoncés dans les traités et de ceux que le Conseil européen a adoptés, y compris les principes d'inclusivité, de réciprocité et d'autonomie décisionnelle de l'UE, sont fondamentales pour notre sécurité globale. Une Union plus forte et plus capable dans le domaine de la sécurité et de la défense contribuera positivement à la sécurité globale et transatlantique et est complémentaire de l'OTAN, qui reste le fondement de la défense collective de ses membres ». La Boussole stratégique, adoptée à l'unanimité par les 27 États membres de l'UE le même mois, reprend les mêmes mots-clés.
Et en ce qui concerne la divergence des intérêts industriels, l'industrie doit respecter ses propres intérêts, mais aussi les exigences et le cadrage fixés par les pouvoirs publics concernés : le leadership nécessaire d'un côté (ou de l'autre), mais une pleine égalité en termes de volume et de valeur technologique entre les partenaires industriels. C'est ainsi que les plus hauts niveaux politiques et les chefs des forces armées de nos deux pays ont donné l'impulsion nécessaire sur les systèmes aérien et terrestres du futur, c'est-à-dire le système de combat aérien du futur (SCAF) et le système principal de combat terrestre (MGCS).
Comment renforcer la coopération franco-allemande
Ces mesures de convergence sont nécessaires, mais non suffisantes, pour renforcer la contribution de la France et de l'Allemagne à la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) plus autonome, souveraine et responsable. Deux points en particulier sont à souligner :
1. La méthode est essentielle
· Nous avons besoin de propositions conjointes plus systématiques et concrètes pour répondre aux exigences opérationnelles communes, assurer une réelle capacité opérationnelle militaire et maîtriser les technologies critiques d'aujourd'hui et de demain ;
· Il faut aller plus loin entre la France et l'Allemagne (pour commencer) que la Boussole stratégique, avec un Livre Blanc commun sur la sécurité et la défense, non pas pour dire que nous ferons tout ensemble, mais en nous engageant à avancer aussi loin que possible dans la coopération gouvernementale et industrielle afin de satisfaire au mieux les priorités communes et respectives ;
· En ce qui concerne les achats à court terme par chaque nation, nous devons dépasser les préférences nationales et, s'il n'y a pas de solution nationale, nous devons cesser de dénier l'existence d'autres solutions européennes disponibles (sur étagères, off the shelf), même si les solutions américaines ne peuvent évidemment pas être ignorées ;
· Les priorités à court terme devraient protéger la nécessité de préparer l'avenir par des développements communs. La coopération est une condition préalable à l'atteinte d'une masse critique ;
· Les exportations sont une autre condition préalable à la masse critique : la politique d'exportation d'armes doit être conforme à l'accord trilatéral sur le contrôle des exportations industrielles cosigné par la France, l'Allemagne et l'Espagne à Paris le 17 septembre 2021 et promulgué à l'été 2022, et accueillir d'autres pays désireux d'y adhérer, comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni ;
· Les programmes nécessaires pour promouvoir la consolidation doivent être suivis d'une intégration par le biais de centres d'excellence équitablement répartis entre les parties.
2. Une bonne communication par le biais des médias et des réseaux sociaux est importante :
· Si seuls les commentaires négatifs et le dénigrement dominent nos débats publics respectifs, le résultat positif de nos efforts mutuels sera plus difficile à obtenir ;
· Nous devons veiller autant que possible à ce que chaque élément de notre collaboration soit correctement relaté par les médias et les réseaux sociaux ;
.Un bon accord obtenu par simple consensus ou une performance commune, doit être divulgué et valorisé : par exemple, le succès récent du ravitailleur multi-rôles MRTT au Canada, qui, après bien d'autres succès internationaux, prouve que la solution européenne d'Airbus est la meilleure de sa catégorie. Nous devons valoriser la compétitivité de l'industrie européenne de la défense et de l'espace, notamment grâce à sa consolidation : dans les avions de transport militaire, les hélicoptères, les satellites ou les missiles tactiques ; nous sommes loin de nulle part, mais la concurrence internationale et américaine devient encore plus rude avec la guerre en Ukraine ;
. Un accord conclu dans la douleur ne doit pas être passé sous silence, par exemple l'accord franco-allemand sur le contrôle des exportations de l'industrie, signé en novembre 2019 (désormais rejoint par l'Espagne comme dit ci-dessus). Le consensus a été difficile à atteindre en Allemagne. Cacher un tel résultat, qui reflète la compréhension commune que la coopération et l'exportation doivent aller de pair, l'affaiblit ;
. Nous n'avons pas à cacher les cas de divergence, mais nous devons tout mettre en œuvre pour les surmonter : le système principal de combat terrestre MGCS en est un bon exemple récent ! Il n'y a aucune raison de ne pas envisager une éventuelle convergence sur l'Initiative allemande du Bouclier Anti Missile Européen (ESSI), à condition de remédier à ses insuffisances ! Il est impératif d'affiner le projet afin de l'aligner sur la planification de l'OTAN, d'inclure de façon plus cohérente la diversité des menaces et des possibles réponses opérationnelles, interopérables, défensives et offensives et de promouvoir les alternatives européennes à court-moyen et long terme ;
. Et si une impasse est constatée sur un sujet particulier, regardons les choses en face, rendons-la publique et valorisons la perspective de déblocage, s'il y en a une ;
. Il est clair que le dialogue doit être intensifié entre les homologues français et allemands impliqués dans les relations franco-allemandes en matière de défense : le récent séminaire interministériel coprésidé par le président Macron et le chancelier Scholz est une sage initiative, de par la nécessité d'une approche top down, de haut en bas ; le choix du Centre d'excellence d'Airbus à Hambourg pour lancer le séminaire était également judicieux. Mais le dialogue, de personne à personne, à chaque niveau de la nécessaire concertation entre les responsables respectifs, doit être systématisé : si cela ne suffit pas, pourquoi ne pas envisager la nomination par les plus hauts niveaux de nos pays respectifs de « care-taker » (chargés de bons offices), l'un allemand, l'autre français, venant de la société civile et dont la tâche serait de suivre l'évolution des relations bilatérales en matière de défense et d'alerter, de concert et en parallèle, le plus haut niveau de toute divergence sérieuse, face au risque de dénigrement mutuel dans les médias ?
En conclusion, la relation franco-allemande en matière de Défense est un « must »! Et nous pouvons probablement faire mieux grâce à des méthodes plus rigoureuses et une communication améliorée et contribuer ainsi à une confiance mutuelle appropriée.
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