La vieille économie prend-elle sa revanche sur la nouvelle économie  ?

OPINION. Les licenciements massifs et la chute des valorisations dans la Tech signent-ils le déclin de la nouvelle économie face à l'ancienne dont les fleurons alignent d'excellents résultats? En réalité, l'avenir verra plutôt se développer la transversalité entre ces deux mondes. Par Pascal de Lima, chef économiste CGI Business Consulting.
(Crédits : Reuters)

« La vieille économie serait en train de prendre sa revanche sur la nouvelle. » Cette vieille économie que l'on associe aux fleurons traditionnels de l'industrie, aéronautique, automobile, mais aussi luxe, pharmacie, agriculture, immobilier, construction, banques serait en train de prendre sa revanche sur la nouvelle économie, logiciels complexes, web, smarthphone, cloud, blockchain, IA, Gafam, Tesla... En effet, cette nouvelle économie connait non seulement des licenciements sans précédent mais aussi des dévalorisations boursières surprenantes. Est-ce la fin d'un règne ?

Ce serait donc la fin d'un règne!

La liste des licenciements des multinationales de la tech n'a cessé de s'allonger: Alphabet, Twitter, Amazon, Facebook, Microsoft, et par ruissèlement de nombreuses startups du secteur, toutes sont concernées. L'affaire la plus retentissante étant bien sûr Twitter avec un dégraissage de 50% de ses salariés. Après l'euphorie des années Covid (si l'on peut dire) et les besoins d'une économie en confinement, on est allé trop loin, trop vite dans les investissements.

Pendant la pandémie, pas loin d'un million de personnes ont été recruté et ont rejoint les équipes des Gafam. On disait même que les Gafam étaient avant-gardistes dans l'économie du confinement. Amazon cochait toutes les cases, le cloud pour le télétravail, l'e-commerce pour le shopping, l'offre prime video pour le divertissement, l'économie du confinement avant l'heure ! 26,9 milliards de dollars de profit entre avril 2020 et mars 2021, soit 2 milliards de plus que le bénéfice cumulé entre 2017 et 2019.

Mais les licenciements sont là et de nombreuses critiques commencent à émerger : la Silicon Valley se serait montrée particulièrement créative en bullshit job dit-on ! Les années 2020-2022 ne seraient donc ni plus ni moins que des années de survalorisation boursière. Les marchés financiers qui ont connu de fortes pressions en 2022 ont tout simplement corrigé ces survalorisations. Dans la Tech européenne, près de 400 milliards de dollars de valorisation parties en fumée en 2022. Une chute pour compenser les excès ? Peut-être, en tout cas, toutes les excuses sont bonnes : des années difficiles avec le conflit en Ukraine, l'inflation ensuite, car le secteur est naturellement très consommateur d'énergie et de matières premières, la hausse des taux, à des niveaux jamais vu depuis la crise financière. Ça c'est pour la conjoncture.

Côté structurel, on déplore plusieurs ajustements qu'il était nécessaire de réaliser. D'abord, il faut le dire, on atteint une certaine limite dans le million voire le milliard d'utilisateurs captés. Au bout d'un moment le modèle sature. Ici aussi, les arbres ne montent pas au ciel. Que peut-on vendre à quelqu'un qui a déjà un ordinateur, un smartphone, une télé. Car les montres et autres objets connectés ne s'adressent pas à un marché aussi global.

Enfin, last but not least, on se rend compte aussi que le monde immatériel repose sur beaucoup de matériel. Le numérique nécessite une logistique mondiale et optimisée conçue durant la pax america avec le dollar comme courroie d'entraînement de l'économie mondiale, mais au moindre composant indisponible en provenance de Chine, c'est tout le château de cartes qui s'effondre, les usines sont à l'arrêt, le produit ne peut plus être fabriqué. D'autant que la pénurie peut provenir en amont de la fabrication, sur les matières premières. À mesure que le monde se numérise, des métaux comme le cobalt, le cuivre, l'aluminium ou le lithium deviennent critiques.

L'ancienne économie traverse l'histoire sans jamais disparaître

Au contraire l'ancienne économie paraît très solide face aux aléas géopolitiques, à l'inflation, et finalement au soubresaut cyclique de l'économie quels qu'ils soient. On dirait que l'ancienne économie traverse l'histoire sans jamais disparaître, et, aujourd'hui, on se demande même si elle ne finira pas dans le long terme par gagner. Avec un nombre de création d'emplois industriels toujours aussi important, avec Airbus en France, LVMH, l'immobilier, l'automobile, les banques paraissent dans une forme étonnante avec des valorisations boursières à l'opposé des Gafam.

En France, AXA et Stellantis ont eu d'excellents résultats en 2022 comme la plupart des grandes multinationales traditionnelles du CAC 40. Par exemple, le constructeur automobile né de la fusion de PSA et Fiat Chrysler affiche des performances exceptionnelles de même que Renault. Doit-on en conclure que c'est la fin de la nouvelle économie ? Non ! Certainement pas et pour plusieurs raisons :

D'abord la nouvelle économie, comme l'ancienne, connait aujourd'hui une certaine saturation. Les excès de la vision processus à l'origine d'une certaine perte de sens dans le monde du travail, avec l'émergence des courants job quitting post Covid et de la démission silencieuse en Europe. Comme dans tous les secteurs de l'économie qui atteignent des paroxysmes, la nouvelle économie vit une certaine lassitude commune à l'ancienne économie dans les années 1980 mais, surtout, un processus de transformation indiscutable et une destruction créatrice.

Car la réalité est qu'il s'agit d'un simple ralentissement de leur activité et d'un recentrage, donc d'un processus de transformation. Car les chiffres d'affaires ne sont pas si mauvais que cela sauf pour Meta et Spotify. Google, c'est un résultat net de 13,9 milliards de dollars, au troisième trimestre 2022. Amazon, 2,9 milliards de profit et un chiffre d'affaires de 127,1 milliards d'euros. Les poids lourds de ce secteur mondial, à l'exception de Meta qui semble courir à sa perte en se jetant corps et âme dans le metavers et qui subit un vieillissement de la population d'utilisateurs, sont pourtant loin d'être au bord du gouffre.

Il s'agit donc bien d'un processus de transformation. Avant, c'était le modèle de la publicité pour Meta, sur les grandes plateformes sociales, ils visaient large en terme de tranche d'âge. Mais aujourd'hui, ils ont une meilleure connaissance de leur client. Ils peuvent donc publier moins et avoir des taux de conversion très bons. Mais il a fallu stopper les projets trop avant-gardistes pour se focaliser sur des activités plus rentables (recentrage sur le cloud notamment pour Microsoft). Dans cette transformation, il ne faut pas oublier de nombreuses cordes à leur arc : l'IA, et le metavers qui n'est (d'après nous) pas aussi mort que cela. Surtout, n'oublions pas que la destruction créatrice est l'ADN de ces entreprises de la Tech.

Les Etats-Unis mènent l'offensive

Alors quelle perspective donner à tout cela ? Aujourd'hui, dans la guerre mondiale des puces électroniques, les Etats-Unis mènent l'offensive. Les Chinois voient leur espoir de rattrapage s'envoler. ChatGPT cartonne, en France la Tech Pasqal, cette graine de champion née sur le plateau de Saclay, vient de lever 100 millions d'euros pour développer sa technologie d'informatique quantique à base d'atomes neutres, un point fort de la French tech.

Quant aux perspectives sur le marché du travail, elles sont juste excellentes : le chômage est de 2% dans la tech aux Etats-Unis et les talents retrouvent un emploi quasi immédiatement, déclarent certains licenciés de Twitter. Il ne faut pas oublier non plus les secteurs tech qui cartonnent, en particulier les cleantech pour optimiser la consommation d'énergie ou les startups dans le tracking de colis. Le meilleur exemple est celui de Next40 en France lié à la transition écologique. En effet, les startups liées à la transition écologique cartonnent bien mieux que les autres en proposant des services transversaux aux trois grands secteurs de l'économie.

Finalement, c'est certainement de leur transversalité avec l'ancienne économie et non par la création de services totalement séparés que revient l'avenir de la nouvelle économie, presque un processus de transformation pour un mariage avec l'ancienne. Une espèce d'hybridation de l'ancien et nouveau monde en se fondant sur des success stories comme les cleantech, avec les enjeux de la nouvelle économie du futur, les métiers de demain, l'IA et l'environnement, RSE oblige.

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