Le nouveau réglement européen sur les marchés numériques (DMA) protège-t-il vraiment des GAFAM  ?

OPINION. Alors que le Digital Markets Act (DMA) s’apprête à entrer en application le 2 mars prochain, Olivier GIANNONI, membre du cercle Montesquieu, directeur juridique de l’UGAP, décrypte cette nouvelle réglementation en la replaçant dans la lignée d’une longue tradition juridique et estime, qu’à elle seule, elle ne suffira pas à favoriser l’émergence d’une souveraineté numérique européenne.
(Crédits : Reuters)

En s'imposant comme des intermédiaires obligatoires pour accéder à un marché, les GAFAM (acronyme désignant les géants du numérique Google, Apple, Meta -Facebook-, Amazon et Microsoft) ont créé une nouvelle forme de monopole. Face à cette situation, l'Union Européenne a choisi de poursuivre sa politique de répression fondée sur des amendes dans le cadre du nouveau règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act) qui s'apprête à entrer en application le 2 mars prochain.

Les GAFAM ont créé un nouveau type de monopole

L'histoire économique du XXème siècle a été marquée par l'apparition régulière de réglementations visant à éviter la constitution de monopoles de fait, qui feraient obstacle à la libre concurrence entre opérateurs économiques. Les Etats-Unis sont les pionniers de ce type de législation anti-concurrentielle avec le Sherman Antitrust Act de 1890, complété en 1914 par le Clayton Antitrust Act. C'est sur leur fondement que les empires économiques constitués par l'American Tobacco et la Standard Oil en 1911 ou AT&T en 1984 ont été démantelés.

Le phénomène des GAFAM est venu bouleverser ce cadre législatif. En l'espèce, il ne s'agit plus d'une question de concentration dans un secteur économique donné mais d'une position d'intermédiaire obligatoire lors de la réalisation d'une transaction entre opérateurs économiques tiers. Le modèle économique des GAFAM étant fondé sur le concept de place de marché. Amazon, Google ou Facebook constituent des lieux virtuels dans lesquels des entreprises et des consommateurs interagissent.

Ces places de marchés virtuelles sont rapidement devenues incontournables car l'accroissement des interactions est réalisé avec un coût marginal nul. Or, les données recueillies à l'occasion de ces interactions et surtout la capacité des opérateurs de places de marché à contrôler l'accès à leurs services, constituent un pouvoir économique considérable qui peut conduire à l'exclusion d'autres acteurs économiques.

Ainsi, la connaissance des ventes réalisées par les entreprises tierces sur son site, permet à Amazon de proposer ses propres produits sur les segments d'achats les plus rentables à des prix plus compétitifs. Google a la capacité de diriger les internautes vers un site particulier en fonction de son rang de classement dans les résultats de son moteur de recherche.

Une nouvelle réglementation dans la continuité de la politique de l'Union Européenne

La législation sur les marchés numériques adoptée par le Parlement et le Conseil de l'Union européenne cette année, a pour objectif de supprimer les pratiques monopolistiques des GAFAM en réduisant leur capacité à imposer leurs propres services. Il s'agit de protéger les consommateurs, mais aussi les entreprises concurrentes. La logique choisie est d'énumérer les manquements constatés à l'encontre de chacune des grandes entreprises qui composent les GAFAM, de prévoir un dispositif de dénonciation puis de mettre en place des pouvoirs d'investigation et de prononcer des amendes ou des astreintes par la Commission européenne.

Ces sanctions, présentées comme une arme de dissuasion massive, sont significatives : les amendes peuvent s'élever jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires en cas d'infraction et jusqu'à 20 % en cas de récidive. Les astreintes sont susceptibles d'atteindre 5% du chiffre d'affaires journalier moyen mondial. Toutefois cette réponse n'est pas nouvelle car cette politique a déjà été appliquée par le passé avec un succès relatif : Apple, condamné à 13 milliards d'euros en 2016, a vu sa condamnation annulée. Google, condamné à 8,2 milliards d'euros au total, a vu une seule de ses amendes confirmée en appel pour l'instant, soit 2,4 milliards d'euros. Microsoft a été condamné à 899 millions d'euros en 2004, montant limité par rapport à son profit.

Cette réglementation favorise-t-elle la souveraineté numérique européenne ?

A elle seule, cette législation ne semble pas constituer une première pierre à l'institution d'une souveraineté numérique européenne. En effet, il s'agit davantage d'encadrer le comportement des GAFAM pour éviter des abus de positions dominantes que de permettre l'émergence d'entreprises capables de contester leur position. Pour ce faire, il aurait fallu doter la Commission européenne du pouvoir de s'opposer à l'acquisition par les GAFAM d'entreprises innovantes susceptibles de développer des nouvelles technologies qui renforcent leur monopole.

L'analogie avec le règlement sur la protection des données personnelles - qui portait une logique similaire - est intéressante de ce point de vue. Les décisions de la Cour de Justice de l'Union Européenne « Schrems I et II », qui ont remis en cause la légalité des transferts de données entre l'Union Européenne et les Etats-Unis, n'ont pour l'instant pas abouti à l'émergence d'alternatives industrielles crédibles. Mais elles ont créé une incertitude juridique pour les entreprises obligées d'utiliser les services des géants américains.

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Commentaire 1
à écrit le 05/01/2023 à 13:31
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Tribune sans grand intérêt car elle ne fait qu'efleurer le vrai problème: l'application réelle des sanctions. Or comme disait Richelieu: légiférer et ne point punir est autorisé la chose que l'on veut interdire. Par ailleurs, le vrai sujet est le sc...

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