Le poison du "planisme" à la française

La conversion de François Hollande à l'économie de l'offre ne change pas fondamentalement le travers français: la volonté du pouvoir et de sa majorité de faire confiance à l'Etat pour tout planifier. Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, professeurs, Essec

Dans la durée, la croissance d'une économie dépend pour l'essentiel des multiples innovations générées par ses entreprises de toute taille et par ses entrepreneurs. Le passage de l'idée brillante ou pragmatique à l'innovation réussie dépend de l'existence d'une infrastructure et d'un écosystème maintenant bien connu. L'innovation ne peut s'épanouir que dans un monde de liberté entrepreneuriale, irriguée par un marché du capital mature à même de financer les idées originales, avec des droits de propriété bien définis et une justice transparente et efficace permettant d'assurer le respect des contrats. A l'inverse, un environnement de taxation excessive et de règles bureaucratiques pesantes et omniprésentes ne peut que décourager l'initiative économique.

L'illusion persistante du planisme

La conversion officielle, il y a deux ans, du président François Hollande à l'économie de l'offre n'a malheureusement pas généré de changement de cap dans cette direction. En effet, à quelques exceptions près, l'ensemble du gouvernement et de la majorité parlementaire, pour ne pas parler de l'opposition, demeure fasciné par la même illusion du « planisme ».

Le planisme vise à concevoir une « organisation parfaite » de l'économie, organisation dans laquelle chaque individu est placé là où son action est censée être la meilleure pour l'ensemble. Il s'agit non seulement d'un ensemble de règles, de contraintes, d'objectifs, incitations et sanctions mais aussi d'une morale ou l'individuel s'efface devant le collectif et se met à son service. Pour les adeptes du planisme, seul l'Etat est à même de saisir ce qui est le mieux pour chacun d'entre nous. Il sait comment organiser tous les compartiments de notre vie, pour nous rendre plus heureux.

Cette puissance omnisciente et bienveillante qu'est l'État

Ceux qui doutent des bienfaits du planisme deviennent des parias, car comment peut-on douter de l'intérêt public ? Celui qui sort de la norme devient naturellement un ennemi du système, car il refuse le jeu de l'organisation par cette puissance omnisciente et bienveillante qu'incarne l'Etat et son appareil bureaucratique de 4.4 millions de fonctionnaires (Insee, fin 2013, hors fonction publique hospitalière). Ceux qui pensent autrement sont insultés, marginalisés, victimes de la violence du collectif. Au nom de sa propre morale le planisme stigmatise, exclue, moque tous ceux qui refusent la vision officielle.

L'ampleur de l'emprise du planisme sur notre pays, se révèle par un certain nombre de décisions phares prisent ces dernières années.

L'État omniscient sait quel temps nous devons consacrer au travail. En 2001, un gouvernement socialiste avait imposé la norme des 35 heures de travail statutaire. Cette norme a généré une perte durable de compétitivité de l'économie et a désorganisé le service public notamment hospitalier. La semaine dernière, un ministre socialiste évoquait publiquement le passage à 32 heures avant d'être repris par le premier ministre, mais plus d'un parlementaire est près à lui emboîter le pas.

Loyers, études, marché des turbines.... l'Etat décide de tout

L'État omniscient connaît les bons prix des loyers et leur bonne évolution bien mieux que le marché de l'immobilier et a décidé de les fixer lui-même. L'État omniscient connaît la valeur du travail non qualifié mieux que le marché du travail qui l'utilise. L'État omniscient a décidé qu'il était bon que 80% d'une classe d'âge ait le bac et entreprenne dans études universitaires supérieures indépendamment des capacités et vocations des jeunes citoyens, indépendamment de la valeur des diplômes reçus à la sortie et plus grave, indépendamment de la capacité d'insertion sur le marché du travail avec ce type de diplômes.

L'année dernière, la firme américaine GE cherchait à acheter la division turbine d'Alstom. Cette perspective d'une évasion d'un grand pan d'une entreprise nationale emblématique hors de son contrôle a poussé l'État omniscient à passer une loi sur les investissements stratégiques qui le remet en place de décideur ultime. L'État omniscient sait mieux que les dirigeants des firmes concernées ce que doit être la stratégie appropriée sur le marché mondial des turbines.

L'Etat omniscient a décidé que l'anorexie était une maladie marketing créée par les firmes de vêtements qui utilisent des mannequins trop maigres. L'Etat lui connait le poids minimal qu'un mannequin doit avoir et il sait que l'anorexie n'est pas une affection psychologique.

L'État aimerait que son omniscience soit relayée par les entreprises et leur a demandées dans le cadre du compte pénibilité d'enregistrer toutes les opérations pénibles qu'un employé a pu réaliser pendant sa carrière. Quoi de plus séduisant pour les entreprises que de devenir les relais de l'omniscience, de mesurer et enregistrer toutes les positions possibles prises par un travailleur dans une journée dans toutes les entreprises de France et définir les seuils de pénibilité, calculer les dépassements et les convertir en points de préretraite.

L'individu de moins en moins censé prendre des décisions

Toutes ces lois et régulations récentes dont nous n'avons évoqué que les plus emblématiques indiquent une évolution de la société française vers les glaçantes sociétés qu'avaient imaginées Franz Kafka, George Orwell et Aldous Huxley. Dans le monde planiste, l'individu est de moins en moins censé prendre des décision en fonction du contexte dans lequel il se trouve. Il n'a donc plus besoin de son autonomie guidée par des valeurs. Il a juste besoin de recevoir les consignes que l'État lui transmettra via panneaux d'information sur l'autoroute, SMS, medias, Internet et à les appliquer. Prendre sa place attribuée dans la collectivité justifie l'extinction de la liberté individuelle, de l'autonomie, de l'originalité et de la créativité.

Ce monde est bien sûr monstrueux et il convient de s'insurger, comme l'appelle à le faire à juste titre Gaspard Koenig dans son ouvrage - Le Révolutionnaire, l'Expert et le Geek, chez Plon (2015). Dans cet essai, il prend le risque de rappeler les heures sombres du planisme français lorsque le régime de Vichy en avait fait son principe de base dans sa recherche de l'organisation étatique parfaite. Il nous rappelle le fait que plusieurs institutions à vocation éminemment planiste, comme les célèbres statuts de la fonction publique, furent mises en place à ce moment et jamais remises en cause.

Tant que la France ne trouve pas un antidote contre la fascination du planisme et de l'organisation parfaite par un État présumé omniscient, les performances économiques deviendront de plus en plus médiocres. Contrairement à la doxa du planisme, la croissance et la dynamique d'une économie s'appuient non pas sur l'Etat et ses serviteurs, mais sur les individus libres et créatifs avec un Etat à sa vraie place de garant du droit et de la liberté.

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Commentaires 12
à écrit le 26/06/2015 à 14:10
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Dans certains états le "planisme" ça n'a pas trop mal marché. Les décollements de la Chine ou de la Corée du Sud ne sont pas les résultats du marché livré à lui même mais bien les fruits d'une volonté politique. Dans les décennies qui viennent, pou...

à écrit le 26/06/2015 à 14:01
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Tant que l’état avait prise sur l’économie "productive", il pouvait exercer un rôle de transmission et de régulation entre le politique et la société, ne serais que de consommation. Mais c'est devenu autre chose : une question d’héritage, d’éducatio...

à écrit le 26/06/2015 à 12:41
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Excellent article...

à écrit le 26/06/2015 à 12:40
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"Mon cher jeune ami, dit Mustapha Menier, la civilisation n'a pas le moindre besoin de noblesse ou d'héroïsme. Ces choses-là sont des symptômes d'incapacité politique. Dans une société convenablement organisée comme la nôtre, personne n'a l'occasion ...

à écrit le 26/06/2015 à 8:48
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Le mondialisme n'est que le résultat du passage d'une politique de "la demande" a celui de "l'offre" rendant caduque le partage du travail, de l’État et de prévision au niveau du collectif! Le mondialisme c'est le chacun pour soi n'ayant d'autre comm...

à écrit le 26/06/2015 à 8:26
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Les "politiques" doivent agir sur le "changement".

à écrit le 26/06/2015 à 8:23
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De toute façon, les Français sont toujours contre; contre si c'est trop, contre le changement si c'est pas assez.

à écrit le 26/06/2015 à 8:14
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La taxation a effectivement un role important: ni trop, ni pas assez. Il existe un point d'équilibre que l'on peut obtenir "progressivement". C'est le role de l'Etat.

à écrit le 26/06/2015 à 7:14
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Très intéressant, à mettre en parallèle avec la liberté de création qu offre le digital, et la créativité dans ce domaine. Deux univers qui s ignorent !

à écrit le 26/06/2015 à 6:35
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L'état français est un boulet qui se trompe toujours dans ses choix. Une exception peut être? Le nucléaire?

à écrit le 26/06/2015 à 1:26
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Le planisme n'aurait-il pas échoué dans certains domaines? On entend parler de filières déficitaires, les allemands exportent des automobiles, nous avons réduit la quantité sous le niveau Espagnol. Pourquoi ça ne marche pas, que fait l’Etat ? On a tr...

à écrit le 25/06/2015 à 22:30
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La Russie soviétique nous a donné l'illustration de l'excès de planification centralisée et bureaucratique. Pourquoi crée un nouveau mot le planisme? Comme le laicisme est un excès de la laîcité. Tous ces "ismes' reposent sur la croyance que l'Etat e...

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