Les normes volontaires ne sont pas solubles dans l'open data

Au moment où le Royaume-Uni vit un évènement qui va rendre inaudible son organisme de normalisation national, de l'autre côté de la Manche, le projet de loi sur la République numérique est sur le point de couper les ressources indispensables à l'expression des intérêts normatifs français en Europe et dans le monde. Par Olivier Cadic, Sénateur représentant les Français établis hors de France et Olivier Peyrat, Vice-Président de l'ISO, Administrateur du CEN,Directeur Général d'AFNOR (Association Française de Normalisation)

Le projet de loi sur la République numérique précipite une situation déjà critique du fait du nouveau Code des Relations entre le Public et l'Administration, résultant d'une surtransposition d'une directive européenne. Ces deux textes consacrent le principe de gratuité ou de quasi-gratuité d'accès aux documents de la normalisation volontaire. Ils peuvent affaiblir très durablement le système français de normalisation volontaire par effondrement de ses ressources.

En effet, la vente de normes constitue l'une des principales sources de financement des organismes de normalisation dans le monde. Un passage à la gratuité serait donc périlleux. Ce que le client ne paierait plus, ce que les entreprises n'apporteraient plus volontairement par la voie contractuelle, devrait être compensé par la contribution de l'Etat, et donc celle du contribuable.

 Les normes volontaires, dans un cadre contractuel

Désireux d'écarter ce risque, les sénateurs ont adopté dans le projet de loi pour une République numérique l'article 4 ter, stipulant que les normes volontaires ne sont pas des documents administratifs. Nous espérons que la Commission mixte paritaire constituée pour procéder à l'examen du projet de loi (et qui se réunira le 29 juin) aura la sagesse de maintenir cet article issu d'un amendement parlementaire.

Activité d'intérêt général, la normalisation volontaire permet, à la demande des acteurs économiques, l'élaboration consensuelle de documents de référence favorisant le développement durable et l'innovation. Contrairement à la loi et à la réglementation, qui sont intégralement financées par l'impôt (Pouvoirs Publics, Assemblée nationale, Sénat, Conseil d'Etat, Conseil constitutionnel...), une norme volontaire est financée, pour l'essentiel, dans un cadre contractuel privé par les entreprises et les organismes désireux de s'impliquer dans des commissions de normalisation ainsi que par la vente des normes, avec une marge intégrant la rémunération du droit d'auteur.

Synonymes d'efficience et d'interopérabilité

Vous lisez cet article en ligne ? Ce sont des normes volontaires qui vous le permettent : wi-fi, jeu universel des caractères informatiques, USB, pdf... Vous imprimez cet article? Le format A4 est également une norme volontaire internationale. Les normes volontaires sont synonymes d'efficience et d'interopérabilité. Ainsi, la norme sur les chargeurs de téléphones mobiles évite aujourd'hui le gâchis découlant de milliards de chargeurs incompatibles d'un appareil à l'autre ! Les normes rendent possibles et sûrs les retraits d'argent dans n'importe quel distributeur de billets de la planète. Au plan national, 90% des flux (et 80% des stocks) de normes volontaires nouvelles ou mises à jour sont des co-productions d'origine européenne ou internationale. Et contrairement à bien des idées reçues, moins de 1 % de ces normes volontaires sont rendues d'application obligatoire par la réglementation française, soit environ 300 sur un stock actif de de 34385 références ! Moins de 1% !

Chaque organisme de normalisation est titulaire des droits d'auteur

En France, AFNOR supervise la normalisation volontaire et la diffusion de toute norme volontaire. Les règles de l'Open Data sont, jusqu'à preuve du contraire, non-conformes aux règles européennes et internationales de normalisation. Or, AFNOR se situe au tout premier rang des instances de normalisation européennes (CEN/CENELEC) et internationales (ISO/ IEC) et, en qualité de représentant français dans ces instances, elle doit précisément se porter garante de leurs droits moraux et patrimoniaux.

Il y a déjà un précédent. En 2010, ayant appliqué loyalement un décret français datant de 2009, AFNOR a été menacée d'exclusion immédiate du CEN et de l'ISO pour non-respect de leurs règles. AFNOR a donc été conduite, avec l'accord du ministère de l'Industrie, à ne plus mettre en consultation gratuite des normes européennes et internationales, rendues d'application obligatoire par la réglementation française ! Les normes volontaires sont en effet des œuvres de l'esprit sur lesquelles chaque organisme de normalisation, qu'il soit national (AFNOR en France), européen, ou international, est titulaire des droits d'auteur au regard des législations applicables.

 Des normes volontaires exportées

Dès leur publication, la grande majorité des normes volontaires créées en France sont exportées, pour servir de base à la création de normes européennes ou internationales et ce, au bénéfice des acteurs économiques nationaux ayant contribué à leur élaboration. C'est notamment le cas pour les normes françaises parues sur les achats responsables (2012), la fiabilisation des avis des consommateurs sur Internet (2013), les cigarettes électroniques et les e-liquides (2015) ; premières normes au monde dans leur domaine, elles auront servi de base à des normes européennes ou internationales.

 Si l'amendement du Sénat n'était pas maintenu, le système français de normalisation serait confronté à un risque très élevé d'effritement significatif des contractualisations et des ventes de normes ; lequel serait synonyme d'une perte notable d'influence par épuisement de la source des projets d'origine française dans les processus d'élaboration des normes européennes et internationales. Il serait tout à fait paradoxal que, d'un côté, les Pouvoirs Publics français exhortent vigoureusement AFNOR à être un représentant français actif et influent au sein des instances européennes et internationales de normalisation, et d'un d'autre côté, qu'ils lui imposent des obligations débouchant sur une incapacité future à être force de proposition, et une mise en quarantaine par ces mêmes instances. Le véhicule et le moteur français ont montré leur performance dans la durée, pourquoi couper l'arrivée d'essence à ce stade de la course ?

Olivier CADIC, Sénateur représentant les Français établis hors de France

Olivier PEYRAT, Vice-Président de l'ISO (Organisation Internationale de Normalisation), Administrateur du CEN (Comité Européen de Normalisation), Directeur Général d'AFNOR (Association Française de Normalisation)

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Commentaire 1
à écrit le 28/06/2016 à 9:04
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Tout texte réglementaire qui s'impose à tous devrait être d'accès libre et gratuit, y compris les normes d'application obligatoire. C'est une question de principe car si nul n'est censé ignorer la Loi, tout le monde doit pouvoir y accéder libremen...

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