Politique monétaire au Maroc : deux décennies de stabilité des prix

OPINION. Durant les années 2000, le Maroc a lancé plusieurs réformes d’envergure d’ordre institutionnel, économique et sociétal, de vastes chantiers d’infrastructure et de nombreuses stratégies de développement sectoriel. Il a pu ainsi accélérer sa croissance économique de manière significative et résorber une partie de ses déficits sociaux. Par Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib
Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib
Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib (Crédits : Reuters)

S'inscrivant dans cet élan, Bank Al-Maghrib a opéré plusieurs tournants dans le cadre de la réalisation de ses missions notamment en matière de politique monétaire. Ses statuts ont connu deux refontes majeures, renforçant son autonomie et élargissant ses attributions, en ligne avec les meilleurs standards internationaux. Pour mieux appréhender l'ampleur de ces changements, il conviendrait de les contextualiser dans une perspective historique et dans le cadre des mutations de l'environnement national et international.

Après la création de Bank Al-Maghrib en 1959, la conduite de la politique monétaire était basée essentiellement sur des instruments directs tels que l'encadrement du crédit et les emplois obligatoires. Avec l'enclenchement du processus de libéralisation économique au début des années 80, les autorités monétaires ont commencé à s'orienter vers des approches indirectes, instaurant les interventions sur le marché monétaire et assouplissant graduellement la réglementation des taux d'intérêt, puis abandonnant les contraintes quantitatives sur les concours bancaires.

Les années 90 ont constitué une période de transition importante dans ce processus. Les statuts de la Banque centrale de1993 lui assignaient comme mission de veiller à la stabilité de la monnaie et à sa convertibilité et de développer le marché monétaire. La Banque a ainsi maintenu la fixation d'une cible de progression monétaire annuelle et a entrepris plusieurs mesures dans ce cadre, instaurant en particulier à partir de 1995, le mécanisme de gestion de la liquidité à travers les appels d'offres.

La politique monétaire à partir des années 2000 : la stabilité des prix comme principal objectif

L'année 2006 a été un tournant stratégique, avec l'adoption d'un nouveau statut de la banque centrale, renforçant son indépendance et lui assignant la stabilité des prix comme mission fondamentale. Dans son article 6, il est stipulé que « dans le but d'assurer la stabilité des prix, la Banque arrête et met en œuvre les instruments de politique monétaire [...] À cet effet, la Banque intervient sur le marché monétaire en utilisant les instruments appropriés [...] ».

Bank Al-Maghrib, a ainsi adopté une nouvelle approche basée sur l'évaluation des pressions inflationnistes et des risques entourant les prévisions d'inflation à moyen terme. Ces analyses étaient supportées par un dispositif de prévisions permettant d'établir des projections pour l'inflation et des principaux agrégats macroéconomiques.

Pour ramener l'inflation à sa trajectoire compatible avec l'objectif de stabilité des prix, la Banque utilisait deux principaux instruments, à savoir le taux directeur, appliqué à ses injections hebdomadaires sur le marché monétaire, et la réserve obligatoire utilisée pour réguler la liquidité bancaire.

Sur le plan de la mise en œuvre, la Banque s'est fixé comme cible opérationnelle le taux moyen pondéré sur le marché interbancaire, dont elle a réussi progressivement à maîtriser le niveau et à réduire la volatilité.

En termes de gouvernance, l'action sur les deux instruments de politique monétaire relève des compétences du Conseil de la Banque. Ce dernier se réunit trimestriellement selon un calendrier annuel publié à l'avance. Présidé par le Gouverneur, ses membres sont choisis parmi des personnalités reconnues pour leurs compétences en matière monétaire, financière et économique.

Bank Al-Maghrib veille dans le cadre de la réalisation de ses missions à garantir une transparence totale de son processus de prise de décision à travers la diffusion d'un communiqué de presse annonçant la décision de politique monétaire, du rapport sur la politique monétaire, ainsi que la tenue par le gouverneur d'un point de presse à l'issue de chaque réunion du Conseil.

La crise financière internationale : adaptation de la politique monétaire et élargissement des missions de la Banque

La dernière décennie a été marquée par la sévère crise financière et économique qui a débuté en 2008, ainsi que par la forte volatilité des prix sur les marchés des matières premières, notamment le pétrole. Si le système financier marocain a pu démontrer une certaine résilience, l'économie réelle a été impactée à travers plusieurs canaux, notamment la demande étrangère et les transferts des Marocains résidant à l'étranger.

Tirant les enseignements de cette crise et tenant compte des mutations de l'économie et du système financier nationaux, Bank Al-Maghrib a entrepris plusieurs réformes majeures. Ainsi, en 2015, une nouvelle loi bancaire est entrée en vigueur, élargissant le périmètre de la supervision bancaire, introduisant les dispositions régissant les banques participatives, renforçant les règles relatives à la gouvernance bancaire, ainsi que la protection de la clientèle. La Banque a mené depuis un travail de fond pour mettre en œuvre, conjointement avec les autres régulateurs, et de manière coordonnée et concertée, les bases d'une surveillance macro prudentielle, reposant sur un dispositif institutionnel, légal, analytique et opérationnel visant à identifier et réguler les risques systémiques et gérer les crises éventuelles.

La Banque a engagé également une refonte de son statut, aujourd'hui en phase finale d'adoption. Celui-ci élargit les missions de la Banque à la stabilité financière et à la contribution à la promotion de l'inclusion financière. Il renforce en outre son autonomie en matière de politique monétaire, en lui conférant en particulier le pouvoir de définir l'objectif de stabilité des prix et de conduire la politique monétaire en toute indépendance.

Sur le plan des réalisations, la Banque a été très active dans cette conjoncture difficile. Elle a ainsi abaissé son taux directeur à plusieurs reprises pour le ramener à partir de septembre 2016 à un niveau historiquement bas de 2,25%. Elle a réduit progressivement le taux de la réserve obligatoire qui est passé de 16,5 % en 2008 à 4 %.Face à la décélération du crédit et aux difficultés que connaissent les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME), la Banque a lancé plusieurs mesures non conventionnelles dont notamment la mise en place en 2012 d'un dispositif de prêts garantis à 3 mois, qui permet aux banques de se refinancer en contrepartie d'un collatéral constitué d'effets privés sur la TPME. Ce mécanisme a été renforcé à partir de 2014 par un nouveau programme permettant aux banques de bénéficier d'avances pour une durée d'une année à hauteur des montants qu'elles prévoient d'octroyer à cette catégorie d'entreprises.

Ces efforts ont produit des résultats encourageants, la part des crédits accordés aux TPME dans l'encours global du crédit bancaire ayant atteint 37 % en 2014, une proportion parmi les plus élevées dans la région MENA.

Sur le plan de l'évolution des prix, l'inflation est revenue d'une moyenne annuelle de 4,5% au cours de la décennie 90 à 1,6 % depuis 2000.

La politique monétaire dans le cadre d'un régime de change plus flexible

La politique monétaire a été menée jusqu'à présent dans le cadre d'un régime de change fixe avec l'ancrage de la monnaie nationale à un panier de devises. Néanmoins, elle bénéficie d'une certaine autonomie au regard notamment de l'ouverture partielle du compte capital pour les résidents. À partir du début des années 2000, la pertinence du maintien du régime de change fixe était de plus en plus remise en question avec l'accélération de l'ouverture de l'économie et la volonté d'ériger Casablanca en hub financier régional.

Dans ce cadre, après une longue réflexion menée par la banque centrale, les autorités marocaines ont initié le 15 janvier 2018une transition vers un régime plus flexible. La première étape de cette réforme a consisté en l'élargissement de la bande de fluctuation de +/-0,3 % à +/-2,5 %, tout en gardant le panier de référence en vigueur pour le calcul du cours central du dirham. Cette transition devrait renforcer la capacité de l'économie à absorber les chocs externes, soutenir sa résilience et servir de levier aux autres politiques macroéconomiques. Elle devrait assurer également davantage d'autonomie à la politique monétaire et lorsqu'elle sera à un stade avancé, la Banque pourra mettre en place un cadre de ciblage d'inflation avec comme ancre nominale l'inflation au lieu du taux de change actuellement.

En préparation de cette réforme, la Banque a lancé en 2013 un chantier majeur d'adaptation de son dispositif de conduite de la politique monétaire. Elle a ainsi développé un nouveau cadre d'analyse et de prévision à même de supporter cette transition. Ce dernier est articulé autour d'un modèle central de politique monétaire permettant de produire des projections cohérentes à moyen terme et intègre un modèle structurel pour la simulation d'impacts à moyen et long terme des politiques publiques et des réformes structurelles. En 2016, ce cadre a été déployé et un nouveau processus d'élaboration des prévisions a été mis en place.

De même, le dispositif informationnel supportant ce cadre d'analyses a été progressivement renforcé, avec notamment un élargissement graduel de la couverture des statistiques monétaires et la mise en place de plusieurs nouvelles enquêtes régulières. Il s'agit en particulier, des enquêtes portant sur les taux débiteurs, les conditions d'octroi de crédit et les anticipations d'inflation. En outre, la Banque a mis en place, en collaboration avec l'Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie, un dispositif de suivi trimestriel de l'évolution des prix des actifs immobiliers.

En parallèle, la communication autour de la politique monétaire a été adaptée, renforçant son caractère prospectif et améliorant la transparence du processus de prise de décision. Ainsi, plusieurs améliorations importantes ont été introduites au niveau du rapport sur la politique monétaire, avec notamment l'ajout d'un nouveau chapitre dédié aux prévisions macroéconomiques, et du communiqué de presse publié à l'issue des réunions du Conseil.

Aujourd'hui, Bank Al-Maghrib poursuit l'adaptation graduelle de son dispositif de conduite de politique monétaire, s'attelant en particulier à développer un cadre de référence pour le ciblage d'inflation. Elle ambitionne de la sorte à continuer à réaliser son objectif de stabilité des prix et à renforcer sa contribution à la croissance et à l'emploi.

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Commentaires 2
à écrit le 24/11/2020 à 18:26
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Verry good

à écrit le 25/07/2019 à 8:59
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Et ils en pensent quoi les jeunes ils ne veulent plus se barrer de votre pays du coup ? Parce que les mots hein...

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