Quand les « nouvelles femmes de droite » s’invitent dans la campagne

OPINION. À quoi fait référence le « féminisme identitaire » ? Peu nombreuses mais très visibles, de jeunes femmes influentes soutiennent des candidats d’extrême droite. Par Magali Della Sudda, Sciences Po Bordeaux.
(Crédits : Twitter)

Après avoir battu à gauche depuis les années 1980, le cœur des femmes pencherait-il à droite ? Le parti Les Républicains (LR) a investi, pour la première fois, une femme candidate à l'élection présidentielle. En 2022, l'incertitude électorale peut laisser envisager un duel de dames au second tour de cette élection taillée pour des hommes par le fondateur de la Cinquième République.

Phénomène tout aussi remarquable, le vote des femmes, jadis marqué par une réticence pour l'extrême droite et une prédilection pour la social-démocratie et l'écologie, penche désormais pour le Rassemblement national dans certaines catégories de femmes. Si l'on en croit les sondages, les ouvrières ont voté comme les hommes pour Marine Le Pen en 2012.

Depuis cette élection les femmes des jeunes générations seraient également plus enclines à placer Marine Le Pen en tête. En 2022, des sondages indiquent qu'elle serait la candidate favorite des femmes des classes populaires, même si d'autres indicateurs nuancent ce propos.

Faut-il y voir une mutation profonde de l'électorat féminin, dont les attentes seraient désajustées par rapport aux propositions des partis de gauche et écologistes qui portent traditionnellement la cause des femmes et du féminisme ? N'est-ce pas un effet de l'offre politique, avec l'arrivée d'une femme à la tête du FN et la récupération par les droites d'enjeux jadis portés par la gauche depuis #MeToo, telle que la cause des femmes ?

N'y a-t-il pas un effet des politiques d'égalités qui contraignent les partis à faire de la place aux femmes, même quand leur projet politique est opposé à l'égalité de genre ? Ces hypothèses sont complémentaires et rendent compte d'une visibilité nouvelle des militantes qui contestent les féministes. Mais en quoi sont-elles « nouvelles » ?

Féminismes et femmes en tension

L'opposition de femmes au féminisme n'est pas nouvelle. Le féminisme, depuis l'apparition des premières organisations revendiquant l'égalité des droits au XIXe siècle, a très tôt rencontré l'opposition des catholiques et des conservateurs, mais aussi, à gauche, de militants favorable à l'émancipation des hommes et nettement moins à celle des femmes. Des femmes se sont distinguées par leur lutte contre le suffrage des femmes, l'accès à la contraception, le droit au divorce ou à l'interruption de grossesse. Quand l'avortement devient un enjeu central des luttes féministes, dans les années 1970, on trouve des voix féminines pour s'y opposer en tant que femme, mais rarement en tant que féministe.

Aujourd'hui, l'espace de la cause des femmes est traversé par des tensions et des consensus. Les violences faites aux femmes sont unanimement condamnées, mais la manière de les envisager diffère. L'autonomie des femmes est revendiquée mais la manière de disposer de son corps soulève des débats où interviennent la conception de la laïcité, de la marchandisation et de santé.

La Manif pour Tous et l'appropriation des questions de genre par les droites

En 2012, quand le socialiste François Hollande gagne l'élection présidentielle, il débute son quinquennat par la mise en œuvre de sa promesse sur le mariage pour les couples homosexuels. Sans l'avoir anticipé, le gouvernement ouvre une opportunité inédite pour les droites de converger dans une opposition commune à la loi Taubira. Entre 2013 et 2014, des manifestations importantes témoignent d'un renouvellement générationnel du militantisme qui se caractérise par l'importance des femmes et une virtuosité médiatique.

Les figures emblématiques de la contestation sont des femmes - Frigide Barjot puis Ludovine de La Rochère à la tête de la Manif pour Tous, Béatrice Bourge incarne le Printemps Français.

Dans la rue et sur Internet, des collectifs de femmes font irruption. En mai 2013, les Caryatides naissent à Lyon et se placent sous le patronage de Jeanne d'Arc pour incarner une féminité traditionnelle, catholique et française. Le même jour à Paris, les Antigones, jeunes femmes vêtues de blanc se dressent face aux Femen pour incarner la véritable féminité. Tandis que les militantes des Identitaires se fondent dans les cortèges et s'illustrent aux côtés des hommes dans des actions spectaculaires, telle l'occupation du siège du parti socialiste, astucieusement relayée sur les réseaux sociaux.

Femmes antiféministes

Qui sont ces femmes qui contestent les féministes ? Dans son ouvrage pionnier « Right-Wing Women », la féministe états-unienne, Andrea Dworkin caractérise les femmes de droite qui refusent l'égalité des droits. Elle évoque leur attachement à un modèle familial traditionnel dans lequel l'homme les protégerait, pourvoirait à leur besoin et leur crainte face à des normes plus égalitaires qui menacerait leur style de vie.

Les féministes qui critiquent l'inégalité menaceraient la complémentarité entre les sexes et leurs relations harmonieuses, déstabilisant les identités de genre. Ces femmes étaient souvent des mères au foyer, ayant quitté le monde du travail à leur mariage, vivant en banlieue pavillonnaire et dont la sociabilité est marquée par la famille et la communauté religieuse.

Comme je le montre dans mon ouvrage Les Nouvelles femmes de droite, les femmes croisées dans les cortèges de la Manif pour Tous, les veillées et dans cette enquête sont jeunes, étudiantes, diplômées, urbaines.

Si leur visibilité médiatique est importante, leurs effectifs demeurent très faibles, de l'ordre de quelques individus à quelques dizaines. Ce sont des «militantes de clavier» qui s'engagent sur la Toile dans la bataille culturelle. Depuis quelques années, certaines influenceuses ont rejoint ce combat, comme la catholique traditionaliste Virginie Vota, l'influenceuse identitaire Estelle Redpill ou Thonia qui fait campagne pour Éric Zemmour sur Instagram et TikTok.

Des femmes égales aux hommes dans leurs marqueurs identitaires

Elles partagent avec les « femmes de droite » un attachement à une féminité traditionnelle mais s'en distinguent par leur mode de vie, leur volonté d'embrasser une carrière professionnelle sans y sacrifier la maternité. Elles ont, pour la plupart d'entre elles, patrimonialisé certains acquis des luttes féministes comme des marqueurs civilisationnels. Ainsi, on trouve chez les militantes identitaires, la dénonciation de l'islam ou de l'immigration non occidentale au nom de la défense de la civilisation européenne, dans laquelle les femmes sont libres et égales des hommes.

C'est la même rhétorique fémonationaliste que la sociologue Sarah Farris avait mise en lumière au Front national depuis l'arrivée de Marine Le Pen à sa tête. En revanche, cette ré-appropriation s'arrête aux droits reproductifs : l'avortement ou la procréation médicalement assistée pour toutes les femmes. Hormis Solveig Minéo,fondatrice du féminisme occidentaliste, qui se fit connaître du grand public lors des attaques contre Mila, elles s'opposent à ce que l'accès à l'IVG ou à la PMA soient considérés comme des droits. Les arguments moraux des « femmes de droite » ont fait place à une rhétorique fondée sur la liberté des femmes, la santé des femmes ou leur autonomie vis-à-vis du pouvoir médical.

Chez les Antigones ou à la revue Limite, une appropriation des critiques féministes du pouvoir médical et de la marchandisation, au nom du respect de la nature et du corps des femmes. Ces arguments entrent en résonance avec les scandales sanitaires qui ont frappé les femmes ces dernières années, pilule de troisième génération, traitement de la ménopause, prothèses mammaires, mais aussi avec une critique féministe matérialiste de l'exploitation du corps des femmes. Elles articulent la féminité à l'écologie, selon leur perspective « alterféministe », en promouvant un « éco-féminisme conservateur ».

Leur poids politique, en terme d'organisation, est faible : ces groupes ne visent pas directement la conquête des suffrages et n'en auraient pas les moyens. En revanche, comme l'expliquait Thaïs d'Escufon, alors porte-parole des Identitaires, dans un débat avec Alice Cordier de Némésis, leur capacité à mettre à l'agenda médiatique leurs cadrages est notable. On peut citer aussi la trajectoire d'Eugénie Bastié, pigiste pour le magazine Causeur lors de la contestation de la loi Taubira et désormais centrale dans le paysage médiatique conservateur. Les activistes de clavier peuvent ainsi peser sur la construction des problèmes publics et diffuser leur idées bien au-delà des cercles militants restreints.

Ces Nouvelles femmes de droite pèseront moins dans la campagne électorale par leur engagement sur le terrain que par leur capacité à mettre leurs enjeux et leurs cadrage au centre de l'attention médiatique. C'est tout l'objectif de groupes tels que le Collectif Némésis, qui prône un « féminisme identitaire », ou des « Femmes avec Zemmour », crée en avril 2021 pour légitimer la candidature du candidat qui, du fait de son positionnement politique, peine à séduire un électorat féminin.

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Par Magali Della Sudda, Sciences Po Bordeaux.

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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Commentaires 2
à écrit le 08/04/2022 à 9:10
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Ouais bon enfin elles sont toutes floutées ! Je crois bien que c'est la première fois que je le vois sur votre site. Des femmes qui "savent faire le ménage" comme dit Pécresse et fières de le savoir ! Bref un regard amusé posè sur un déclin persistan...

le 11/04/2022 à 9:26
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Bon avec 7% vous avez eu raison de les flouter hein... ^^

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